Le 31 mai dernier, Amazon Prime lançait la mini-série événement Good Omens, adaptée du roman éponyme paru en 1990. À l’occasion de l’avant-première mondiale à Londres, Biiinge a pu s’entretenir avec son showrunner Neil Gaiman, son réalisateur Douglas MacKinnon, son irrésistible duo Michael Sheen et David Tennant, qui jouent l’ange Aziraphale et le démon Crowley, ainsi que Jon Hamm, qui interprète un ange Gabriel aussi charmant qu’insupportable, et Adria Arjona, qui incarne la brillante sorcière Anathema Device.
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Retranscrire à l’écran l’univers de Terry Pratchett et Neil Gaiman, les auteurs du roman, ne fut pas chose facile. Au début des années 2000, Terry Gilliam, ex-membre des Monty Python et réalisateur maudit, s’y est cassé les dents et son projet de film n’a jamais vu le jour.
En 2014, Neil Gaiman reçoit un mail de son partenaire d’écriture Terry Pratchett lui disant : “Je sais que tu es débordé, mais tu es la seule personne qui partage ma compréhension et ma passion pour Good Omens, et tu dois en faire une série télé. Je veux voir ça avant de mourir, je t’aiderai autant que je pourrai, mais tu dois le faire.” C’était devenu une mission pour Neil Gaiman :
“J’ai dit oui. Et il est décédé. Soudain, c’était devenu sa dernière volonté que je me devais d’honorer. La pression était énorme ! Le plus dur, ce n’était pas les deux ans passés à écrire le script, c’était après, les deux ans à showrunner la série et à travailler avec Douglas, en dépit de tous les obstacles, pour faire une série que Terry aurait adoré voir.”
Douglas Mackinnon, qui a réalisé les six épisodes, a vite pris la mesure de la tâche à accomplir :
“Tous les jours sur le tournage, on avait le livre avec nous pour représenter Terry. D’une certaine façon, j’avais la pression d’avoir les deux auteurs dans mon dos quand je filmais. Ce livre a une vraie valeur sentimentale, qu’il est presque impossible de retranscrire à l’écran. Je devais mettre une sorte de barrière invisible entre eux et moi.”
Pour trouver ceux qui allaient incarner ses héros, Neil Gaiman n’a pas eu à chercher très loin. Ami de longue date de l’acteur Michael Sheen, lui-même un grand fan du roman qu’il a lu quand il avait 18 ans, l’auteur l’imaginait d’abord dans la peau du démon Crowley. Ce qui a donné lieu à un petit malentendu entre les deux hommes, comme nous le raconte l’acteur :
“Au fur et à mesure qu’il avançait dans l’écriture, on savait lui et moi que je serai impliqué d’une manière ou d’une autre. Il pensait que je voulais jouer Crowley, et moi je pensais qu’il voulait me voir jouer Crowley. Et en lisant le script, je me disais que je n’étais probablement pas la bonne personne pour ce rôle, et qu’Aziraphale était plus pour moi. Sur ce gros quiproquo, on s’est retrouvés autour d’un dîner, et en fait, on pensait tous les deux que je devrais jouer Aziraphale, mais aucun n’osait le dire. Finalement Neil a dit : ‘Ça te dirait de jouer Aziraphale ?’ Et je me suis exclamé : ‘Mon Dieu, quel soulagement ! Oui !’ [Rires.]”
Neil Gaiman ⎜ “Pour David, il y a une scène dans l’épisode 3 dans laquelle Crowley entre dans une église. Comme c’est un démon, je voulais qu’il entre en sautillant comme si le sol lui brûlait les pieds. Je devais trouver quelqu’un capable de magnifier cette scène tout en étant drôle. Quand j’ai pensé à David Tennant, c’est devenu une évidence. C’était très facile d’avoir Michael qui a dit oui tout de suite, pour David j’ai dû convaincre les hautes instances d’Amazon. Ça m’a pris plusieurs mois.”
David Tennant ⎜ “Je me suis jeté là-dedans empli de joie et de curiosité, et c’est après que j’ai réalisé à quel point ce livre était important pour tant de gens. Et soudain je me suis dit : ‘Eh bien, tu y es. Tu vas porter à l’écran ces rêves, qui sont si précieux pour toutes ces personnes. Est-ce que tu vas être à la hauteur ?’ Ayant participé à d’autres franchises vénérées par beaucoup de monde [il a joué Barty Croupton Jr. dans Harry Potter et la coupe de feu, et a incarné le héros de Doctor Who de 2005 à 2013, ndlr], on a toujours cette petite voix en nous qui murmure ‘Il ne faut surtout pas que je le casse’.”
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Pour Jon Hamm, qui joue l’ange Gabriel, le boss prétentieux et agaçant d’Aziraphale, c’était aussi un rêve qui se réalisait. C’était le premier livre qu’on ne l’avait pas forcé à lire durant ses études, nous confie-t-il. Aussi, quand Neil Gaiman lui a avoué qu’il pensait à lui pour la série, il a dit oui tout de suite, sans même savoir quel rôle allait lui revenir.
“Neil m’a dit : ‘Je veux que tu sois dans la série, ton personnage n’est pas dans le roman mais je vais le développer.’ Je lui ai renvoyé un mail qui disait juste ‘Oui !’, bim, c’est tout. Sauf qu’il a une réponse automatique qui dit ‘Je ne lis pas mes mails’ [rires].”
S’il semble taillé pour le rôle, Jon Hamm s’est quand même vu affublé de lentilles de contact violettes. Ironiquement, le réalisateur estimait qu’il n’était pas assez beau, qu’il fallait le rendre honteusement parfait. Il a donc eu l’idée de lui donner ce regard, inspiré par la couleur des yeux d’Elizabeth Taylor.
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Adria Arjona n’avait pas lu le roman, mais elle a tout de suite été emballée par le script. Son personnage de sorcière tiraillée entre son héritage et une destinée qu’elle doit se choisir pour elle-même, lui a évoqué ses racines portoricaines :
“Je crois que j’aimerais être un peu plus comme elle. J’adore le fait qu’elle soit aussi dévouée pour quelque chose qui ne lui appartient même pas, avec son héritage. Et ça, ça résonne tout particulièrement avec ma culture, ma langue. Anathema a dû faire un choix entre trouver son propre chemin, ou continuer de suivre les schémas moraux et les opinions qui lui ont été transmis depuis si longtemps.”
Jon Hamm ⎜ “Ce n’est pas vraiment à moi de dire ça, mais je vais me le permettre : Neil est très doué pour écrire des personnages féminins. Il a imaginé une héroïne dont le but n’est pas de finir avec un homme mais de remplir sa mission. Dans un monde où l’on a le test de Bechdel et ce genre de choses, Anathema est assez unique. Elle est puissante, aussi, parce qu’elle fait avancer l’histoire avec elle. Elle n’est pas au service des héros masculins, elle trace sa propre route, et c’est super cool à regarder, surtout pour moi. Je joue le bel idiot, je l’ai déjà fait avant, c’est pas trop dur pour moi [rires]. Mais j’adore le faire parce que ça vient court-circuiter pas mal d’idées préconçues à mon sujet…”
Et lorsqu’on demande à celui qui a incarné une certaine idée de la masculinité toxique dans Mad Men s’il est beaucoup victime de préjugés à son égard, sa réponse est juste parfaite :
“Oh oui, c’est siiiii dur d’être beau. Et blanc. Et un homme. Et riche. Et hétérosexuel. Ohhh, c’est vraiment horrible ! Pauvre de moi ! Non. Évidemment, je suis incroyablement privilégié. Mais disons que ces privilèges sont accompagnés d’un certain nombre d’idées reçues : ‘Vous ressemblez à ça, donc vous devez être comme ça.’ Bien entendu c’est totalement faux, et l’humanité se nourrit de la diversité : on a nos défauts et nos qualités. Tina Fey a parfaitement joué sur ce plan avec mon personnage dans 30 Rock – et Gabriel est une version de ça, aussi.
Il est littéralement parfait, donc il ne peut pas avoir tort, et pourtant il est complètement à côté de la plaque et ignore totalement ce qu’il se passe sur Terre. Je trouve ça très drôle. C’est juste un patron idiot qui se vautre dans le mansplaining. C’est un type ultra-toxique. On a tous et toutes eu des patrons comme lui qui sont incompétents mais veulent quand même t’expliquer la vie. J’ai bossé dans des bars et des restaurants qui avaient des spécimens du genre. Et Aziraphale et Crowley ont le même genre de relation avec leur boss.”
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Bien sûr, Good Omens n’a pas la même pertinence aujourd’hui qu’à l’époque de sa parution. Vingt-quatre ans séparent le livre de la série. Pourtant, si ce n’est l’auto-radio-cassette remplacé par un lecteur de CD jouant du Queen dans la Bentley de Crowley, presque aucune modification n’a été faite pour adapter l’histoire à notre époque, comme le confirme Neil Gaiman :
“Vous savez, j’aurais bien aimé que ce soit le cas, et qu’on ait eu à changer des choses. Ça aurait signifié que le monde avait changé depuis la parution du livre. Quand j’ai écrit Good Omens avec Terry, je me souviens, après le premier jet, je lui ai dit : ‘Tout le monde s’entend si bien en ce moment, Armageddon paraît si improbable, on devrait écrire quelque chose là-dessus dans le livre.’
Du coup, on a rajouté une ligne de dialogue où un présentateur de JT dit : ‘Il y a une hausse massive des tensions internationales, ce qui est étrange parce que tout le monde s’entendait si bien.’ J’aimerais qu’on puisse remettre ce dialogue dans la série… J’ai dû la retirer, parce que le monde est assis sur un baril de poudre aujourd’hui.”
Les six épisodes de Good Omens sont disponibles sur Amazon Prime Video.
Propos recueillis dans le cadre de tables rondes.