Sur le papier, Motherland: Fort Salem avait tout pour nous plaire, avec son casting 100 % féminin (du jamais vu !) et sa thématique aussi intéressante que lourde de sens. On y suit trois jeunes femmes qui, du fait de leur héritage, sont appelées à servir leur pays pour combattre une terrible menace terroriste. L’armée qu’elles intègrent est constituée uniquement de sorcières. Belle ironie, elles sont le dernier rempart contre la barbarie, chargées de protéger une société qui a persécuté leurs aïeules.
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Les sorcières ont la cote en ce moment. Symbole de la puissance des femmes, figures bienfaitrices ou vengeresses (ou les deux), elles connaissent un retour en grâce à l’ère post-MeToo, qui s’explique par un besoin de montrer des héroïnes qui reprennent le contrôle. Motherland: Fort Salem affichait donc de belles promesses et il y avait tant à dire sur la crainte qu’inspirent des femmes puissantes dans nos sociétés patriarcales. Le pitch de départ n’était d’ailleurs pas sans rappeler le formidable roman de Naomi Alderman, Le Pouvoir, dans lequel les jeunes filles, partout dans le monde, se découvrent soudain la capacité d’envoyer des chocs électriques très puissants. Certaines deviennent prophétesses, d’autres renversent des états, d’autres encore prennent leur revanche sur les hommes…
Imaginée par Eliot Laurence – qui a créé Claws –, Motherland: Fort Salem est diffusée sur la chaîne Freeform, qui nous a déjà offert des petits plaisirs coupables bien foutus, comme The Bold Type, Good Trouble ou plus récemment la petite merveille de et avec Josh Thomas, Everything’s Gonna Be Okay. On avait donc toutes les raisons d’y croire mais, hélas, le premier épisode fut une vraie déception. La série a pourtant un parti pris très fort, en racontant l’histoire alternative d’une Amérique où, pour mettre fin aux persécutions qu’elles subissaient il y a 300 ans, les sorcières ont signé un deal avec le gouvernement : en échange de l’arrêt des procès et autres tortures, elles devraient se constituer une armée d’élite au service de la nation.
On voyait déjà poindre les enjeux politiques, les vendettas personnelles, les héroïnes insoumises voulant tout faire péter de l’intérieur et la difficile démarche de pardon (ou de réparation) quand toute une population est visée par ce genre d’exactions. Peut-être est-il trop tôt pour planter le dernier clou du cercueil de Motherland: Fort Salem, mais force est de constater que son premier épisode n’a pas réfléchi aussi loin et qu’on reste sur notre faim. Si on peut bien sûr tolérer une forme de naïveté et d’absence de nuances, la série ne se relève pas, en revanche, d’un scénario confus, à la mythologie obscure, incapable de poser des bases solides et intelligibles pour son récit.
© Freeform
La motivation des personnages est changeante et on passe son temps à se demander ce qu’elles font et pourquoi elles le font. Les règles du jeu sont tout aussi troubles et gênent considérablement la compréhension d’une série aux ambitions pourtant modestes. Les séries aux récits volontairement complexes, avec des intrigues imbriquées et des mystères à résoudre, à l’instar des deux premières saisons de Westworld, affichent une autre forme de maîtrise quand elles jouent à nous perdre dans leurs méandres. Ici, il ne s’agit évidemment pas de ça, mais bien d’une maladresse flagrante dans l’écriture, qui a de quoi laisser perplexe.
On espère toutefois que Motherland: Fort Salem trouvera rapidement une solution, parce qu’on a tout de même envie de voir ce qu’elle a sous le capot. On veut bien lui donner le bénéfice du doute en ce qui concerne le discours politique, car en faisant des sorcières — figures de sororité, de puissance et symbole des libertés individuelles des femmes — le bras armé d’un état, elle a choisi une configuration pour le moins étonnante. Les diverses représentations que l’on en a eues à travers la littérature, le cinéma et les séries, ne sont pas vraiment compatibles avec une mission de servitude en uniforme. Cette approche plutôt inédite intrigue, c’est évident, mais l’écriture faiblarde nous fait craindre qu’une révolte en carton soit à l’horizon.
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