La nouvelle série du créateur de Mad Men est une série de petits films inégaux.
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Après le succès international de Mad Men, Matt Weiner avait un boulevard devant lui pour faire ce qu’il voulait. Mais aussi la pression de “l’œuvre d’après”. Amazon s’est empressée de lui dérouler le tapis rouge, lui accordant une carte blanche et 50 millions de dollars pour se lancer dans son nouveau projet. Ce sera The Romanoffs, une série anthologique tournée aux quatre coins du globe, dotée d’un casting alléchant, où chaque épisode raconte une histoire contemporaine, en rapport avec la fameuse dynastie russe massacrée par les bolcheviks en 1918. Entre les imposteurs, qui s’autoproclament descendants des Romanov, la transmission de (faux ?) traumatismes familiaux sur lesquels se forge une identité ou la fascination qu’exerce encore aujourd’hui cette famille royale, il y avait matière à créer. Les deux premiers épisodes, diffusés le 12 octobre sur Amazon Prime Video, montrent les limites d’une œuvre ambitieuse, soignée, mais qui sonne trop souvent creux.
Le premier épisode se déroule à Paris. On y suit les pérégrinations d’une poignée de personnages agaçants : Anushka (Marthe Keller), richissime descendante des Romanov (enfin c’est ce qu’elle dit), vit dans un magnifique appartement, héritage de famille que convoite son neveu Greg (Aaron Eckhart), et sa femme, Sophie (Louise Bourgoin). Mais la vieille femme, hypocondriaque et constamment insatisfaite, est compliquée à gérer. Après avoir viré toutes ses femmes de ménage, elle va faire la connaissance d’Hajar (Inès Melab). Passé le moment de rejet et les multiples réflexions racistes que se prend la jeune femme dans la figure, les deux personnages commencent à tisser d’improbables liens.
Si un réalisateur américain pouvait filmer la vie des Parisiens loin des clichés de la baguette de pain, du béret ou encore des “no-go zones” à la Jack Ryan, on se disait que c’était bien Matt Weiner. Il évite bien ceux-là, mais cet épisode tombe dans d’autres écueils presque aussi gênants. La pauvre Louise Bourgoin se retrouve ainsi prisonnière de l’image d’Épinal de la Parisienne canon, sexy et vénale. Weiner aborde le racisme (un vrai sujet, évidemment, en France) avec la délicatesse d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il essaie bien de mettre en scène un Paris plus réaliste socialement que celui vu dans d’autres fictions américaines, mais échoue malgré tout – en tout cas, d’un point de vue de Française habitant à Paris, l’épisode sera sûrement plus exotique pour des étrangers – à force de réflexions simplistes. Heureusement que Marthe Keller, parfaite en comtesse insortable, est là pour nous divertir. Mais une performance ne fait pas un bon épisode. “The Violet Hour” se veut un conte moderne social, mais il manque d’émotion pour nous toucher.
Huit variations sur un même thème
Le deuxième épisode, “The Royal We” est un poil plus convaincant. Les excellents Corey Stoll et Kerry Bishé incarnent un couple qui bat de l’aile, et vont chacun faire face à la tentation de l’infidélité le temps d’un week-end. D’un côté, Shelly part seule pour une croisière express où sont conviés les descendants des Romanov. De l’autre, son mari prend très au sérieux son devoir de juré dans une affaire criminelle, enfin surtout parce qu’il a un gros crush sur une des jurées, au look de femme fatale.
L’épisode, plutôt bizarre (mais pourquoi pas), propose deux ambiances très différentes : d’un côté, un jeu de séduction façon polar noir, de l’autre une romance à l’eau de rose, entrecoupées de spectacles kitsch qui mettent en scène la dynastie russe lors des soirées royalement chelou sur le paquebot. Le twist final est assez bien vu. D’ailleurs, on remarque que dans ces deux épisodes, les protagonistes féminines sont plus fortes, les hommes souvent lâches ou effacés. Pendant ce temps, dans la vraie vie, Matt Weiner a été accusé d’instaurer un climat professionnel sexiste par Kater Gordon, une scénariste de Mad Men.
Ces deux épisodes, inachevés, inaboutis, laissent cette impression tenace d’assister à l’œuvre d’un auteur en roue libre, qui a décidé de se faire plaisir formellement, mais a oublié d’apporter de la profondeur et de la sincérité à ses histoires. Reste un exercice de style pas toujours déplaisant à suivre, mais trop inégal.
Peut-on vraiment qualifier The Romanoffs de série ? Matt Weiner propose un format cinématographique avec des épisodes de 1 h 30 en moyenne. Comme d’autres showrunners avant lui (coucou David Chase), il a peut-être toujours été frustré de ne pas avoir été accueilli par la grande famille du cinéma, son seul film, Are you here (2013), étant passé inaperçu. Si beaucoup trop de showrunneurs décrivent leur série comme “un long filme de x heures” pour tenter de la vendre maladroitement, Matt Weiner a clairement réalisé huit petits films, huit variations sur un même thème. Certaines d’entre elles vaudront le détour, à n’en pas douter, d’autres non. Ces deux premières mises en bouche n’ont pas autant de saveur qu’escompté, mais cela ne nous empêchera pas de commander la suite, en espérant un plat principal à la hauteur de la fascination qu’exerce la dynastie russe, 100 ans après son éradication.
The Romanoffs est diffusée sur Amazon Prime Video chaque semaine depuis le 12 octobre.