Ces derniers jours, on a vu fleurir pas mal d’articles sur le thème “les femmes reprennent le pouvoir“. Est-ce que tu as eu cette impression en regardant cet épisode ?
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Théo Chapuis (journaliste à Konbini et grand amateur de Game of Thrones) : C’est vraiment ce qu’on peut se dire en visionnant cet épisode. La scène de Daenerys m’a évoqué une renaissance. Elle refait ce truc avec les Dothrakis et on revient à quelque chose de plus terre-à-terre. Elle s’en était éloignée en devenant la reine étrangère de toutes ces cités. C’est la seule famille qu’elle a connue en fait, les Dothrakis.
Marion : Oui, il y a un côté “back to roots”, mais je ne suis pas trop d’accord avec toi. Pour moi, elle fait du sur place, et surtout, elle a toujours besoin de rappeler qu’elle peut mettre la pâtée à tout le monde en deux secondes. Cette scène fait écho à celle de la première saison, mais que s’est-il passé entre les deux ?
“J’ai vu une femme dans toute sa force”
Tout le monde semble avoir oublié ce dont elle est capable. Les Dothrakis se foutent d’elle et elle doit leur rappeler “yo les gars, je suis La Mère des Dragons, l’Imbrûlée, la Reine des Andals, la Khaleesi…”. C’est hyper-énervant !
Théo : Cette séquence fonctionne comme un “Deus ex machina” pour moi. Et puis Daenerys a une destinée particulière, et cette scène te rappelle que, ouais, elle est pas juste là pour jouer aux échecs. Ne me dis pas que tu n’as pas kiffé cette scène !
Marion : Si, bien sûr, elle est jouissive. Ce qui m’embête, c’est que Dany ait toujours besoin de faire ses preuves, parce que c’est une femme. Juste avant, elle se fait menacer de viol et insulter copieusement par le Khal en place.
Théo : Ça m’a bien fait marrer, parce que je savais que ça n’allait pas arriver.
Marion : Il n’y a pas de ‘full frontal’ (nudité intégrale), mais la caméra s’attarde sur ses jolis seins. Est-ce qu’on avait besoin de ça ?
Théo : Peut-être qu’en tant qu’homme, tu apprécies ce genre de scène mais encore une fois, je vois ça comme une renaissance, et donc comme un bébé qui nait, elle est toute nue. Elle montre sa toute puissance, toute nue, sans artifice. “J’ai cette puissance en moi, et je vous la montre”, surtout aux Dotrahkis qui vivent à moitié à poil.
Ils auraient pu rester dans la suggestion, mais c’est un parti pris. La série ne s’est jamais cachée de ce côté sexy. Mais je n’ai même pas trouvé ça sexy en vrai, j’ai vu une femme dans toute sa force. C’est pas parce qu’on voit ses seins qu’on a forcément la langue qui pend.
” Game of Thrones se complaît dans le ‘male gaze’ “
Marion : Je te rejoins sur la lecture de la renaissance, d’autant que Jon Snow a passé quelques épisodes nu car il meurt puis renait. Pourquoi pas. Là où le bât blesse côté nudité dans Game of Thrones, c’est qu’elle se complaît dans le “male gaze”. Il y a énormément de scènes dans cette série qui sont faites pour faire fantasmer les hommes.
Théo : Oui, d’un côté tu as la force toute nue de Daenerys dans cet épisode, et à l’opposé de ce spectre, souviens-toi de la marche de la honte de Cersei, où le but des scénaristes n’est clairement pas de fantasmer sur elle.
Marion : Non, c’est sûr. Mais il existe des infographies fouillées qui te montrent que de toute façon, il y a deux fois plus de femmes que d’hommes à poil dans Game of Thrones.
Théo : Et tu ne verras presque jamais un appareil génital masculin. Ça, c’est des années et des années de censure. Je regardais un film des années 1970 l’autre jour, tu vois des nanas à poil, mais pas les mecs. Ou du moins, tu vois rarement des teubs.
Marion : Dans GoT, la nudité des hommes n’est pas du tout traitée de la même façon que celle des femmes. On voit les fesses et le torse de Jon Snow. Il représente cette petite tentative des scénaristes de faire aussi plaisir à son audience féminine. Alors que le corps de la femme est très important. Il peut être une faiblesse et un atout à la fois. Dans la marche de la honte, le corps de Cersei se retourne contre elle.
Celui de Daenerys est à son avantage maintenant. Mais son parcours me dérange, comme celui de Sansa. À la base, elle se fait violer par Khal Drogo. Syndrome de Stockholm, elle tombe amoureuse de lui. Et donc, c’est parce qu’elle se fait violer qu’elle apprend ensuite à devenir une femme forte. Elle finit par avoir le dessus sur lui grâce à son corps.
Sansa et Cersei se font aussi violer. Et dans GoT, celles qui sont malignes et ont intégré les règles du jeu masculines, elles rusent, comme cette malheureuse Osha qui tente un coup de poker en se servant de ses charmes.
“Dans Game of Thrones, les femmes on les prend, les hommes, on les tue”
Théo : Oui, elle utilise sa sexualité pour prendre le dessus. Il me semble qu’elle le fait déjà dans les saisons précédentes. Elle a une “sexyness bizarre” cette actrice. Elle aurait pu jouer davantage la duplicité, mais elle meurt comme une merde, comme plein d’autres personnages dans la série. De toute façon dans cette série, les femmes on les prend, les hommes on les tue. Ou on leur arrache un membre important qui représente leur virilité : sa bite pour Theon, le bras qui porte son épée pour Jaime.
Marion : Theon justement, on voit pendant de longs épisodes qu’il est profondément traumatisé par ce qu’il lui est arrivé. A contrario, quand les femmes se font violer, on ne voit pas les conséquences. La caméra s’attarde sur le visage de Theon quand Sansa se fait violer dans la dernière saison. On n’a peu indications sur ce qu’elle ressent.
Ça, c’est encore un regard d’auteurs masculins [les showrunners sont deux hommes, l’auteur des livres aussi, ndlr]. Pour moi, Game of Thrones est une série faite par des hommes, et ça se voit trop.
Théo : La série dépeint effectivement un monde d’hommes. Elle est calquée sur un monde médiéval où les femmes ne pouvaient pas lever le petit doigt. Une héroïne comme Brienne m’évoque Jeanne d’Arc. C’est un mythe. De ce qu’on sait de cette époque, il n’y avait pas de femmes combattantes. Elles restaient à la maison et faisaient des enfants. Game of Thrones aurait pu être une série de mecs à 100%. Ce n’est pas le cas.
Marion : Dans GoT, à part Brienne, les femmes se battent peu, elles complotent dans les coursives. Et en cela, je trouve que cette série fait perdurer d’une certaine manière les stéréotypes masculins/féminins.
Théo : Mais pourtant, l’une des scènes les plus mémorables pour moi, et les plus bourrines de la série, c’est ce combat entre Brienne et le limier. Ils se foutent sur la gueule à coup d’épée et de poings. Tu hurles comme dans un match de foot ! Et elle a le dessus sur ce guerrier super-puissant.
Il y a les Dorniennes aussi. Ce sont des personnages super intéressants qui jouent de leur sexualité, notamment avec Bronn dans sa cellule. Cette scène marche très bien je trouve.
Marion : Alors là, non ! Ça, c’est un ‘plot’ pour faire baver les mecs. Les meufs sont à moitié à poil, et tout ce qu’elles font, c’est séduire et empoisonner Bronn pour finir par leur donner l’antidote. Elles ne servent à rien !
Théo : Je n’y avais pas pensé comme ça.
Marion : L’intrigue à Dorne, je la trouve hyper sous-exploitée. On ne voit que ces nanas dénudées dont on ne connaît pas les noms.
Théo : Je les trouve géniales, moi ! Elles ont de l’humour, elles sont jolies, fortes, stylées. Ce sont des guerrières !
Marion : Donne-moi le nom de ces meufs, est-ce qu’on en a retenu un ? Ces personnages, les Aspics des sables, sont mal caractérisés. Elles sont presque un prétexte pour rétablir la balance. Je trouve ça maladroit.
Théo : Ouais, mais elles humilient les hommes. Elles se battent contre Bronn et Jaime Lannister, des personnages super aimés des fans, et leur foutent une branlée. Et puis elles décident, selon leur plan, de tuer Myrcella. Elles ont gagné contre les Lannister d’une certaine façon. Game of Thrones n’est pas une série où les hommes débarquent, défoncent tout le monde, et où les femmes doivent fermer leur gueule.
Mais c’est super dur de parler des femmes dans cette série, parce qu’il y en a toujours plus que ce que tu crois. Il y a les personnages principaux, comme Daenerys, et d’autres plus en retrait.
“C’est super dur de parler des femmes dans cette série”
Marion : On n’a pas parlé de Melisandre, aussi, qui utilise énormément son corps, de façon un peu gratuite. Mais dans cette saison, elle prend toute sa valeur. Et le twist sur son vrai visage à la fin du premier épisode de la saison 6 est un joli pied de nez.
Théo : La mise en scène est superbe dans cette scène. L’ambiance est pesante. Oui c’est une façon de dire aux mecs qui fantasmaient sur elle, voilà, regarde, c’est ça que ça devient un corps à la fin.
Marion : J’ai l’impression de façon générale que les femmes ont pris tellement cher dans les précédentes saisons, que les auteurs se rachètent un peu. Il ne manquerait plus qu’une psychopathe de l’acabit d’un Joffrey ou d’un Ramsay. On n’a jamais vu un homme se faire abuser, humilier ou briser par une femme.
Théo : Il y a pas mal de personnages féminins qui battent la notion du bien et du mal. Cersei est un des personnages les plus remplis de haine dans la série. Je me demande si ça ne sera pas too much de voir débarquer une psychopathe. Comme si ça devenait politique : “Alors, comment rétablir l’équilibre, bon, Cersei va violer un mec avec un gode dans le prochain épisode !” (rires)
Marion : Mais est-ce que la plus belle des victoires pour les femmes ne serait pas prévue par les auteurs pour la fin, où l’on verrait Daenerys prendre le Trône de Fer, qui n’a jamais été occupé par une femme ?
Théo : J’ai ma théorie là-dessus depuis la première saison. Le bouquin s’appelle “A song of fire and ice”. Et si c’est aussi simple que dans ma tête, “Fire”, c’est Daenerys sur le Trône de Fer en reine juste, et conseillée par Tyrion. Et “Ice”, c’est Jon Snow en gouverneur du Nord. Ces deux-là, après tout ce qui leur est arrivé, ils sont immortels de toute façon.