Avec Game of Thrones, voire la tragique mais jamais oubliée Rome pour les plus anciens, HBO a lancé une nouvelle période de la production télévisuelle : l’ère des blockbusters sériels. Le succès incontournable et incontestable de la série créée par D. B. Weiss et David Benioff a déclenché un effet boule de neige chez tous leurs concurrents pour déterminer qui lancera le prochain Game of Thrones, à savoir une œuvre de fantasy/science-fiction à la fois communautaire et authentique, spectaculaire mais profonde. Forte de son expérience, la chaîne câblée américaine s’y est logiquement attelée avec des spin-off, dont House of the Dragon, et, pour la première fois de son histoire, devra compter sur un rival d’envergure sur sa période de diffusion : une série Le Seigneur des anneaux.
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Les Anneaux de pouvoir n’est pas à proprement parler une adaptation, tout du moins d’un roman ou d’une suite de romans précise de Tolkien. Pour concevoir sa série, Amazon a négocié avec la Tolkien Estate pour s’emparer temporairement d’événements, lieux et personnages qui font partie de l’imaginaire de l’écrivain britannique. Ainsi, il ne s’agit pas de la trilogie du Seigneur des anneaux ou du Hobbit, mais d’éléments souvent fragmentés, et pour la plupart compilés, par Christopher Tolkien, le fils du créateur. Les showrunners Patrick McKay et J. D. Payne en ont ensuite tiré une trame principale, qui a lieu sur la Terre du Milieu mais pas que, et se déroule principalement pendant le millénaire du Deuxième Âge.
Si on retrouve bien sûr les peuples emblématiques de cet univers, comme les Hommes, les Elfes, les Nains mais aussi les Piévelus, les ancêtres des Hobbits, le fil rouge de la série s’articule autour de Galadriel et son combat contre les forces du mal, désormais menées par le serviteur de Morgoth, Sauron. Au cours de son périple, la future dame de la Lothlórien sera au cœur d’événements majeurs qui découle du Deuxième Âge (et dont nous connaissons une partie des conséquences dans le Troisième Âge) tels que la création des Anneaux de pouvoir, la chute d’une île mystérieuse appelée Númenor, ou encore le retour de Sauron et la fondation de sa sombre forteresse du Mordor.
Et une nouvelle communauté fut forgée
© Amazon
Une nouvelle adaptation de l’imaginaire de Tolkien était un risque colossal pour quiconque oserait s’attaquer à un projet aussi ambitieux. D’abord pour ne pas froisser les lecteurs et lectrices de cet univers, mais aussi les fans de la trilogie cinématographique de Peter Jackson, dont la saga est réputée comme l’une des meilleures de toute la pop culture. En vérité, Amazon a drastiquement réduit les risques de plusieurs façons.
Premièrement, avec une proposition qui n’avait encore jamais été faite sur nos écrans, le Deuxième Âge, afin d’éviter tout risque de comparaison. Ensuite, en gardant en tête d’affiche un personnage emblématique de la saga, Galadriel, dont la personnalité reste inconsciemment ancrée dans l’esprit des fans. Enfin, en s’appuyant régulièrement sur les designs inventés par Peter Jackson et ses équipes, avec une saison tournée majoritairement en Nouvelle-Zélande et une imagerie nostalgique de la trilogie (l’apparence des cités elfes, le design de Sauron, et même certains gimmicks de narration, comme le cold open de l’épisode 1 sur la guerre contre Morgoth, sont directement hérités des films culte).
Pour convaincre ses détracteurs et rassurer les fans anxieux, Amazon a avancé un argument de poids tout au long de sa campagne de communication : un budget faramineux, le plus gros jamais vu dans l’histoire du petit écran. Des chiffres budgétaires à nous en décrocher la mâchoire, s’élevant parfois jusqu’au milliard de dollars, pour répondre aux demandes très élevées du public. Et l’investissement alloué à la création visuelle et esthétique de l’univers de Tolkien ne déçoit pas. Les Anneaux de pouvoir est une claque visuelle incontestable, sublimée à travers des effets spéciaux d’une grande précision et d’une grande beauté, jalonnée de ballades mélodieuses composées par Bear McCreary, en digne héritier d’Howard Shore sur les films de Peter Jackson.
Devant la série, on retrouve le plaisir de s’émerveiller face à l’abondance de paysages différents qu’offre la Terre du Milieu, tout en ayant une vraie sensation de voyager au-delà des limites connues pour les moins initiés. Des côtes lumineuses de Valinor jusqu’aux profondeurs silencieuses de Khazad-Dûm, le fief des Nains, Les Anneaux de pouvoir est généreuse et aussi épique qu’on pouvait l’espérer. Les deux premiers épisodes nous donnent aussi un bel aperçu des créatures qui se terrent à l’ombre du soleil, dont un combat spectaculaire avec un troll des neiges, qui n’est pas sans rappeler une certaine séquence mythique de La Communauté de l’anneau. En termes d’échelle, la série nous en met clairement plein la vue.
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Mais la Terre du Milieu n’est pas qu’une étendue sauvage et sublime à explorer indéfiniment. Ce sont bien ses différentes races, et les relations souvent instables qu’elles entretiennent, qui la rendent unique aux yeux des fans. Elfes, Nains, Hommes et mêmes Orques sont bien présents, avec au passage quelques nouveautés et créations inédites pour la série. Des idées bienvenues pour moderniser le cadre de Tolkien, dont les derniers écrits remontent tout de même à la fin des années 1960, comme des femmes Nains ou l’apparition des Piévelus, un peuple nomade qui finira par s’installer dans le Comté et devenir les Hobbits. Des prises de risque audacieuses qui ont terrifié les puristes, voire agacé une minorité aux propos problématiques parmi les fans de Tolkien, avec l’apparition de personnages de couleurs. Des reproches sexistes et racistes qui gangrènent malheureusement d’autres franchises phares de la pop culture, comme Star Wars ces dernières années.
La création et la modernisation d’un récit forment pourtant l’essence même d’une adaptation, d’autant plus de l’imaginaire de Tolkien, où certains passages de cette mythologie tentaculaire n’ont jamais été comblés. Avec une telle galerie de personnages, Les Anneaux de pouvoir tombent souvent sur un défaut, dans ses deux premiers épisodes tout du moins, que Game of Thrones ne connaissait que trop bien : une perte de rythme, à cause d’intrigues moins flamboyantes que la quête de Galadriel ou de personnages moins creusés que la psychologie des Elfes, clairement au cœur de cette première saison.
En termes de fidélité à l’univers, le choix de Galadriel en tant que personnage principal pourra aussi faire débat chez les fans. Les showrunners et scénaristes de la série ont complètement réinventé son histoire pour la rendre plus épique, avec une Galadriel bien moins pacifiste et passive que celle décrite dans les livres. Mais le personnage incarné avec brio par la jeune Morfydd Clark fait aussi la beauté de la série. Après des années à voir des héros masculins à la tête des œuvres de fantasy sur nos écrans (Jon Snow, Geralt de Riv, ou même Aragorn, pour rester dans l’univers), Les Anneaux de pouvoir nous permet de découvrir une héroïne intrépide et attachante. Une Elfe dont il nous tarde de découvrir le passé, puisqu’elle nous avait surtout terrifiés dans la scène du miroir d’eau lorsqu’elle était incarnée Cate Blanchett.
Après seulement deux épisodes diffusés (et partagés à la presse), il est honnêtement très difficile de donner une opinion définitive sur ces Anneaux de pouvoir. Pour le moment, on y voit sans déplaisir un blockbuster prometteur, beau et ambitieux, peut-être la plus grande prouesse visuelle du petit écran à ce jour. Mais on ne sait pas encore réellement ce qui se cache derrière ces forêts enchantées et ces montagnes vertigineuses, si l’histoire, les personnages et le sous-texte de la série lui assureront gloire et prospérité. Une série pour les gouverner toutes, et dans les ténèbres les lier ?
La première saison du Seigneur des anneaux : Les Anneaux de pouvoir est diffusée sur Amazon Prime Video.