Ces 21 et 28 septembre, France 2 diffuse les six épisodes de Laëtitia, une reconstitution de l’affaire du même nom qui avait secoué le pays en 2011. La jeune fille de 18 ans disparaissait dans la nuit du 18 au 19 janvier du côté de Pornic, en Loire-Atlantique. Dès le lendemain, Tony Meilhon, délinquant sexuel multirécidiviste, était placé en garde à vue pour le meurtre de Laëtitia Perrais. Les conclusions de l’enquête révèleront plus tard qu’il a violé l’adolescente avant de la tuer, de découper son corps et de tenter de le faire disparaître en le jetant dans un étang. Il purge aujourd’hui une peine de prison à perpétuité.
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C’est peu après la sortie du livre d’Ivan Jablonka, Laëtitia ou la Fin des hommes, en 2016, que l’idée de l’adapter en série est née. C’est Jean-Xavier de Lestrade, réalisateur chevronné et oscarisé en 2002 pour son documentaire Un coupable idéal, qui a la lourde tâche de porter à l’écran, dans une mini-série de six épisodes, l’histoire tragique de ce féminicide. Ce terme qui, au moment de l’affaire, ne faisait pas partie de l’usage courant, il a fallu se battre pour se l’approprier et le faire apparaître à la une des journaux. Le féminicide est politique parce qu’il est sexiste. C’est ce qu’a tenté de démontrer, en filigrane, Jean-Xavier de Lestrade avec Laëtitia. Elle a été la première série française sélectionnée au Sundance Film Festival 2020.
Le réalisateur choisit ici la fiction plutôt que le documentaire et fait un travail de reconstitution, dans tous les sens du terme. Car seule l’œuvre de fiction lui permettait de donner un corps, une voix, un regard – celui qui nous sert de fil rouge durant ces six épisodes – à Laëtitia. On dit souvent de ce genre de séries qu’elles sont “difficiles, mais nécessaires”. Celle-ci a la décence, contrairement à bien des séries de true crime, de ne pas faire du meurtre de la jeune fille le centre du récit. Elle est, en revanche, le point de convergence des maltraitances qu’elle a subies depuis toute petite. Elle dénonce la violence des hommes, l’emprise qu’ils exercent sur les femmes, la facilité déconcertante avec laquelle ils peuvent les détruire, moralement ou physiquement, mais aussi le cauchemar administratif et humain des enfants placés, trimballés de famille d’accueil en famille d’accueil. Ce fut le cas de Laëtitia et sa sœur Jessica, mais aussi de Tony Meilhon. L’enfance de ce dernier a été marquée par l’inceste, dont à été victime sa mère, et par les accès de rage de son beau-père, avant qu’il soit confié à l’aide sociale à l’enfance.
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La série interroge sur ce qui relève du hasard cruel et ce qui tient du déterminisme social. Elle y répond en partie en démontrant que l’horrible succession d’événements subis par les deux sœurs aurait pu être enrayée. Au lieu de ça, les adolescentes étaient extirpées des mains d’un bourreau pour presque aussitôt se retrouver dans les griffes d’un autre loup. Le cycle infernal des abus sexuels que l’on tait, ou que l’on ne veut pas voir.
Laëtitia dissèque, patiemment, méticuleusement, les mécanismes de l’injustice sociale et, du micro au macro, montre comment un crime révèle une société et ses dysfonctionnements. Une société où les femmes qui se refusent aux hommes le payent cher. C’est le “non” de la mère des filles, prise au piège d’un mari qui la frappe et la viole. C’est le “non” de Laëtitia, d’abord sous le charme puis terrifiée par Tony Meilhon, qui lui coûtera la vie.
Le regard que porte Jean-Xavier De Lestrade sur cette affaire et sur ses protagonistes n’est pas moralisant. Il ne juge pas mais tente plutôt de comprendre comment on fait des monstres et se demande d’ailleurs s’ils en sont vraiment. Mais surtout, c’est une fiction qui ressuscite Laëtitia, d’une certaine manière. Une entreprise pour le moins délicate, puisque la famille s’était d’abord vivement opposée à ce projet pour finalement “tolérer” la démarche de Jean-Xavier de Lestrade. Car pour les vivants, les proches de la jeune fille et en premier lieu sa jumelle Jessica, c’est une plaie qu’ils auraient préféré ne jamais rouvrir.
“Il faut prendre soin de ceux qui restent. Et sans l’accord de sa sœur Jessica et de ses plus proches parents, je n’aurais jamais fait la série. C’était inconcevable. D’une certaine façon, il fallait leur participation à la série, pour ne pas qu’ils se sentent une nouvelle fois dépossédés de cette histoire qui est leur histoire”, nous confiait le réalisateur lors d’une interview à découvrir prochainement sur Biiinge.
Il n’y a pas vraiment de délai idéal pour réaliser ce genre de séries, entre le moment du drame et le celui de son adaptation sur les écrans. Il faut choisir ce que l’on montre et ce que l’on cache. Ici, Jean-Xavier de Lestrade filme le viol de Laëtitia, mais laisse son assassinat dans l’angle mort. Pour cette scène de fellation forcée, le réalisateur a pris soin de mettre à l’aise la jeune actrice, de la faire se sentir en sécurité et en contrôle absolu de la situation. Il nous explique qu’il a demandé aux femmes de son équipe de s’asseoir en première ligne, derrière la caméra. Il leur faisait confiance pour lui dire si la séquence, vue de l’extérieur, devenait trop insoutenable. Elle l’est. Son but, nous dit-il, n’était pas de choquer mais de montrer la vérité de cette emprise et ce que d’autres appelleraient la “zone grise” du consentement. Laëtitia ne consent pas, ne se débat pas, elle s’exécute sous la contrainte. Le dégoût et la peur sont pourtant clairement visibles sur son visage. Des signes que Tony Meilhon refuse de voir.
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Laëtitia est, paradoxalement, écrite et filmée avec beaucoup de délicatesse, et c’est très difficile à regarder. La beauté de l’approche et les intentions les plus respectueuses ne font pas tout ; il est parfois impossible de ne pas avoir la nausée au visionnage de certaines scènes. Un tel sujet, une histoire si bouleversante et révoltante nécessitaient une approche pleine d’empathie et de pudeur. C’est ce que parvient à faire Jean-Xavier de Lestrade, avec une grande sobriété dans la narration et un soin particulier donné à la réalisation. Les dialogues sonnent juste et frappent fort. Ils sont écrits spécifiquement pour celles et ceux qui les prononcent, contrairement aux tirades interchangeables entendues dans Un homme ordinaire, autre tentative (ratée) de reconstitution d’une affaire criminelle.
La comparaison s’arrête là tant Laëtitia existe dans une autre sphère artistique, esthétique et humaine. Le casting, admirable de bout en bout, est la touche finale, le souffle de vie nécessaire pour faire exister ses protagonistes dans l’espace-temps de cette adaptation. Les performances de Marie Colomb et de Sophie Breyer, qui jouent respectivement Laëtitia et Jessica, nous laissent le cœur en miettes. Et les seconds rôles, Sam Karmann, qui incarne Gilles Patron, le père d’accueil, Noam Morgensztern, dans la peau de Tony Meilhon et Alix Poisson, qui joue l’assistante sociale, sont tout aussi méritants.
Jean-Xavier de Lestrade voulait montrer la vie de Laëtitia, et cette vie, hélas, s’est construite autour de la violence des hommes. Le genre de maltraitances qui lui ont fait croire qu’elle était un corps à prendre. Elle et sa sœur rêvaient de partir, de monter un restaurant toutes les deux, d’avoir un mari qui ne les battrait pas. Cette mini-série prend à la gorge du début à la fin, sans fausse note, sans voyeurisme en dépit du sujet. Elle est aussi intime que politique.
En plus de sa diffusion sur France 2, les 21 et 28 septembre, les six épisodes de la mini-série Laëtitia sont à découvrir sur la plateforme France.tv.