Ce n’est pas un hasard si Netflix a choisi le 8 mars 2018, Journée internationale des droits de la femme, pour lancer la saison 2 des aventures de sa justicière Jessica Jones. Son interprète, Krysten Ritter, optimiste, volontaire et engagée, confirme cette impression.
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Biiinge | À la fin de la première saison, Jessica venait à bout de son bourreau, Kilgrave. Dans quel état d’esprit la retrouve-t-on en ce début de saison 2 ?
Krysten Ritter | Au début de la saison 2, Jessica est vraiment dans une mauvaise passe. Elle a du mal à se reprendre en main et elle ressasse ce qu’il s’est passé avec Kilgrave, le fait qu’elle l’a tué. Tous ses problèmes ne disparaissent pas juste parce qu’il est mort. Et puis, elle ne veut pas tuer des gens. Elle est en conflit avec elle-même et se demande si elle est une tueuse de sang-froid, si elle a pris la bonne décision.
Elle n’est pas vraiment au top de sa forme, mais elle enchaîne les affaires quand Trish, sa meilleure amie, l’encourage à se regarder dans un miroir, espérant qu’en regardant dans son passé, cela l’aidera à avancer. C’est vraiment le sujet principal de cette saison. On a beaucoup travaillé sur les origines de Jessica Jones. Ça va devenir très sombre, choquant et surprenant pour Jessica, mais au final elle verra la lumière au bout du tunnel.
Kilgrave, interprété par David Tennant, était un méchant d’anthologie particulièrement proche de Jessica. Est-ce que sa mort a changé la manière dont vous jouez Jessica, voire la nature de la série elle-même ?
Ça n’a pas changé la façon dont je joue le personnage, parce que c’est une base qui est là. La manière dont Jessica se comporte, et qui elle est, ça ne change pas. Cette saison 2 est très excitante pour moi, parce qu’on a dû trouver un nouveau méchant qui soit tout aussi personnel pour Jessica que ne l’était Kilgrave. Et qui soit surprenant. C’est vraiment intéressant la façon dont les scénaristes ont géré ça. C’est complètement différent et je pense que c’est tout aussi divertissant que la première saison.
Manifestement, le stress post-traumatique est l’un des thèmes centraux de la série. Dans la saison 1, Jessica ne peut pas vraiment le gérer car son bourreau est de retour. Comment va-t-elle s’attaquer à son PTSD en saison 2 ?
Eh bien, Jessica n’est pas très bonne pour gérer ce genre de choses. Elle boit beaucoup [rires, ndlr] ! Jessica utilise l’alcool et le sexe pour masquer ses émotions et ne plus réfléchir. Mais elle va devoir trouver une nouvelle façon de gérer ça et c’est ce que nous faisons avec cette saison 2.
Comme vous l’avez mentionné, l’alcoolisme est une des conséquences de son PTSD. Il est souvent utilisé pour la blague dans la série, peut-être parce qu’elle est dans le déni de son addiction. Est-ce qu’elle y fera face sérieusement un jour ?
Je n’en sais vraiment rien ! Avec un peu de chance, elle réussira à mieux gérer cela. Je pense que son alcoolisme est quelque chose de frustrant pour elle. Parce que c’est une super-héroïne, avec une histoire particulière, sa super-force fait que là où il nous faut un ou deux verres, il lui en faut sept pour être pompette. Elle ne sirote pas son whisky, elle va droit au but. C’est le choix d’interprétation que j’ai fait. Il lui en faut beaucoup pour être saoule.
Vous pensez que c’est quelque chose qu’elle contrôle ?
Je ne sais pas, au moment où on en est avec elle, si elle serait capable de s’arrêter. Je pense que ce genre de vice vous rend très dépendant·e à la longue. Je ne suis pas certaine que Jessica puisse le contrôler. Peut-être qu’elle s’y attaquera à un moment donné.
“Jessica méprise ses pouvoirs”
Une réplique de cette nouvelle saison m’a particulièrement marquée : “De grands pouvoirs impliquent de grandes maladies mentales” (“With great powers comes great mental illness”). C’est un bon résumé de la série.
Oui, complètement ! Cette réplique représente le ton de notre show. Jessica cache constamment sa noirceur et ses émotions sous couvert de sarcasme. C’est une façon pour elle de s’autodéprécier, mais aussi de montrer son dédain face aux choses. Ce dialogue capture l’essence du personnage de Jessica Jones.
Oui, et puis habituellement, c’est plutôt cool d’être une super-héroïne ou un super-héros. Mais pour Jessica, on a l’impression que ça tient davantage d’une malédiction.
Jessica a effectivement du mal à gérer ses pouvoirs. Elle les méprise. Elle ne sait pas comment bien les utiliser. On ne la voit d’ailleurs pas utiliser ses pouvoirs si souvent que ça dans la série. En fait, pour elle, c’est quelque chose qui lui est arrivé contre son gré. Elle se voit comme un monstre de foire. C’est quelque chose de très lourd à porter pour elle, et cela traverse toute la série.
Parmi ses pouvoirs, celui de pratiquement voler est assez intrigant. Va-t-on en apprendre davantage sur cette capacité ?
Quand elle doit absolument le faire, elle est capable de sortir cette capacité, mais je ne peux pas vous en dire davantage parce que ce serait vous divulguer des spoilers sur la saison 2.
Vous avez expliqué dans des interviews que des femmes souffrant de PTSD viennent vous aborder dans la rue, parfois en larmes, heureuses de se sentir enfin représentées avec Jessica Jones.
Oui, ça m’arrive assez souvent, notamment quand je suis de passage dans une convention. Ces femmes sont très émues et m’expliquent qu’elles sont aussi des survivantes d’agressions sexuelles, et qu’elles ont dû gérer des troubles mentaux, et que ça leur fait du bien de voir une Jessica Jones sur un écran. Ce sont des moments très intenses et émouvants. Si ma performance touche ne serait-ce qu’une, cinq ou dix femmes, c’est que je fais quelque chose qui a du sens. Et ça veut tout dire pour moi.
Du coup, ressentez-vous une forme de responsabilité envers ces femmes quand vous incarnez Jessica Jones ?
Oui, mais la conséquence est plutôt saine je trouve, parce que ça me donne juste envie de travailler encore plus dur et de creuser davantage le personnage. Ce n’est pas tous les jours que l’on tombe sur une partition aussi fantastique dans une série, qui est un format long. Cela me donne le sentiment de faire quelque chose d’important, d’inspirant, qui ouvre des discussions et affecte la vie des femmes. Donc je veux juste être à la hauteur de l’enjeu.
L’équipe a annoncé que la saison 2 serait réalisée uniquement par des femmes. Je vais vous poser une question très naïve : qu’est-ce que ça change pour vous et pour la série ?
D’un certain point de vue, il n’y a pas de différence : le talent n’a pas de genre. Je dirais en revanche que faire ce choix, publiquement, est très stimulant. Je ne sais pas si vous avez regardé les Oscars la nuit dernière, mais ce moment où Frances McDormand encourage toutes les femmes à se lever dans la salle avec elle était magique. Ce sentiment, je ne peux même pas le définir par les mots. J’ai senti la force de cette célébration et cet enthousiasme.
Engager des réalisatrices sur Jessica Jones, c’est pareil. Je me sens très fière et en même temps, je ne me rends pas sur le plateau en me disant : “Oh maintenant, j’ai une réalisatrice femme”. Ce n’est pas comme ça, le boulot est le même. Mais l’excitation de ce moment pour les femmes est palpable. Tout ce mouvement, et Jessica Jones est toujours aussi fun. Les vibes sont ultrapositives sur le plateau du tournage. Ça envoie vraiment du lourd [rires, ndlr] !
Nous vivons dans une société où les mouvements comme Time’s Up ou Me Too ont donné un nouveau souffle au féminisme. Cela a éveillé les consciences de nombreuses personnes, et parfois changé leur vision du féminisme. Est-ce que cela a été votre cas ?
J’étais déjà très consciente de tous les problèmes liés au sexisme. J’ai l’impression d’attendre depuis des millénaires que les choses changent. Mais de voir qu’enfin les projecteurs sont braqués sur ces sujets, c’est très enthousiasmant, parce que maintenant, les choses sont vraiment en train de changer. Nous allons écrire un nouveau chapitre. C’est extraordinaire, aujourd’hui j’arrive au top de ma carrière, et je suis heureuse d’avoir la chance de pouvoir faire partie de ce mouvement de fond, d’avoir un premier rôle dans une série qui donne l’exemple.
Je suis heureuse et fière quand je vois que notre série prouve que ce n’est pas si difficile que ça d’inclure des femmes et des hommes de couleur et issu·e·s de toutes les diversités. On vit une époque passionnante et on le ressent.
“Jouer dans Breaking Bad a changé ma carrière”
Breaking Bad a soufflé ses 10 ans d’existence il y a quelques semaines. J’ai discuté à cette occasion avec Vince Gilligan, et nous avons parlé de votre personnage, Jane, et du choix difficile qu’il a fait de le tuer. Quel souvenir gardez-vous de cette époque ?
Ça a été une expérience incroyable. J’ai moi-même revisionné la série pour célébrer les 10 ans. Et la qualité de l’écriture, de toute sa conception, m’a encore frappée. Jouer dans Breaking Bad a vraiment changé ma carrière. Cette série m’a ouvert des portes. Et cela m’a fait comprendre dans quel environnement de travail je me sentais bien. Toute l’équipe travaillait si bien ensemble, et s’entendait très bien aussi. Tout le monde en a un souvenir impérissable. Et ça m’a donné envie d’avoir mon propre show avec cette ambiance-là. Je suis fière d’avoir participé à cette série.
Je suis une grande nostalgique de votre précédente série, Apartment 23. Elle vous a permis de déployer tout votre talent comique. Est-ce que ce genre, la comédie, vous manque ?
Oh, j’ai adoré tourner dans Don’t trust the B ! Ça a été un des sommets créatifs de ma carrière. C’est une autre showrunneuse [Nahnatchka Khan, ndlr] avec laquelle j’ai entretenu un lien spécial. Elle me comprenait vraiment et savait ce dont j’étais capable. J’ai le même sentiment avec Jessica Jones. J’ai une connexion particulière, que je chéris, avec ma showrunneuse. Je pense d’ailleurs que c’est la clé pour développer correctement un personnage principal. En tout cas, je garde un super souvenir d’Apartment 23. C’était un show si drôle. Je me suis vraiment éclatée et j’aimerais beaucoup refaire quelque chose comme ça à l’avenir.