Greg Berlanti est sans doute le plus célèbre des showrunners dont vous n’avez jamais entendu parler. L’homme n’a pas le temps de faire la couverture des tabloïds, réciter des discours mielleux ou sortir avec des stars de la pop music.
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C’est un businessman à l’emploi du temps de ministre. Depuis 2012, il bosse sur les séries Arrow, The Flash, Legends of Tomorrow, Les mystères de Laura, Blindspot et Supergirl. Il produit ses propres programmes, est l’auteur d’une bonne partie des épisodes des séries citées, prépare Riverdale adaptée des BD de l’éditeur Archie Comics… La pause café/clope n’est pas un concept envisageable pour lui.
Comme Barry Allen, il semble avoir été frappé par la foudre. Rapide, efficace, créatif, la chaîne CW lui doit ses plus beaux jours. Tout ce qu’il touche semble se transformer en or. Le Midas du petit écran puise judicieusement la source de son talent dans une pop culture intarissable, quand il n’était pas en train de révolutionner les feuilletons familiaux 15 ans auparavant.
Le parcours de l’homme qui a fait des super-héros le nouveau fer de lance des programmes “young adults” à la télévision est jalonné d’anecdotes croustillantes, de narration innovante et d’une bonne humeur constante.
Né dans les terres du divertissement
Depuis son plus jeune âge, Greg aime conter des histoires. Quand son voisinage organise des anniversaires, il en profite pour monter des spectacles de marionnettes, écrits et joués par ses soins. Adolescent, il déménage à Chicago, où il intègre la prestigieuse université de dramaturgie Northwestern.
C’est là qu’il rencontre une amie fidèle en la personne de Julie Plec. La jeune femme ne sait pas encore qu’elle sera à la tête d’une série de vampires “young adult” (The Vampire Diaries), qui va rendre la CW compétitive sur le marché des networks.
Lorsque le duo sort de Northwestern, Julie Plec introduit Berlanti auprès du scénariste Kevin Williamson, plume aguerrie du cinéma d’horreur (Scream et Souviens-toi… l’été dernier). L’homme se dit impressionné par les premières ébauches de Berlanti. Il le présente à Warner Bros., et lui propose d’intégrer l’équipe de scénaristes de son bébé de l’époque : Dawson.
Les premiers pas avec Dawson et Everwood
Greg Berlanti a tout juste 26 ans quand il fait ses premiers pas en tant que scénariste dans la deuxième saison de Dawson. Phénomène incontournable de la fin des 1990’s, la série est appréciée pour ses jeunes personnages, qui traversent des épreuves réalistes. Toute une génération peut s’identifier à eux.
James Van Der Beek (Dawson), Joshua Jackson (Pacey), Katie Holmes (Joey) et Michelle Williams (Jennifer) ont tous débuté leur carrière dans la série. Berlanti a assisté en partie à leur explosion, une expérience qui les a fait mûrir. Il est revenu pour Entertainment Weekly sur les premiers inconvénients de la gloire :
“On était tous très jeunes. On a grandi ensemble, au même moment. C’était impossible d’aller manger quelque part [à Wilmington, en Caroline du Nord, le lieu de tournage principal de la série, ndlr] avec eux sans que des dizaines de fans se bousculent pour avoir un autographe. Ils voulaient qu’on signe parfois des parties intimes de leur corps, sans aucune pudeur.“
À la fin de la deuxième saison, Kevin Williamson quitte son poste de superviseur pour se consacrer à Sream 3 et L’île de l’étrange. Les prétendants se succèdent, mais Williamson voit en Greg Berlanti le showrunner capable de faire perdurer son oeuvre.
Outre les affinités créées entre les deux hommes, ils partagent la même vision. C’est ainsi qu’à 27 ans, Berlanti devient un des plus jeunes showrunners de l’histoire de la télé américaine.
Les producteurs et les chaînes de télévision adhèrent à sa nouvelle manière d’écrire les drames de première partie de soirée. La plupart du temps, ces derniers suivaient le même fil rouge : une intrigue centrale, ponctuée par des événements mineurs qui venaient s’accoler à l’arc narratif principal. Berlanti modernise ce schéma. Il divise les épisodes à l’aide d’histoires parallèles qui se chevauchent dans le même acte.
Everwood, sa première création à seulement 30 ans, est l’illustration de ce changement de direction. Dans l’épisode 4 de la saison 2, le Dr Brown, veuf, préfère ne plus porter sa bague de fiançailles. Au même moment, son fils, Ephram, rédige une dissertation à l’école, au sujet de son incapacité d’abandonner ses sentiments pour une fille qu’il aime. Le parallèle est subtile, pertinent, intelligent.
Ces sujets intergénérationnels, montés de manière innovante, feront la gloire de la série Everwood pendant 4 saisons et 89 épisodes. La série fut également l’une de ses premières associations avec la Warner Bros.
À l’époque, le mastodonte américain avait encore sa propre chaîne de network, The WB. Le 24 janvier 2006, elle s’associe avec UPN, et de cette alliance naît la CW.
Une collaboration de longue date avec Warner Bros.
En 2004, Greg Berlanti s’attaque à Jack et Bobby, un projet vendu à Warner Bros. À l’origine, la série avait été écrite par Brad Meltzer et Steve Cohen (le réalisateur des Goonies). Mais le script du pilote ne parvint pas à convaincre la chaîne.
Warner Bros. demande alors à Berlanti de reprendre les choses en main. Il s’entoure de sa collaboratrice Vanessa Taylor (productrice sur Alias et Everwood) pour remodeler le scénario. Ils inversent le destin des frères, et font de leur mère une accro à la marijuana, de sorte que la famille renvoie une image moderne.
Dans le pitch final de Jack et Bobby, les parents McCallister ont donné naissance à deux enfants. L’un voit son destin tout tracé : il deviendra Président des États-Unis en 2041. La mise en scène est ponctuée de nombreux allers retours entre la jeunesse des personnages, et leur futur. La série dessine des parallèles évidents entre enfants et adultes.
Cette manière originale de décrypter la personnalité des protagonistes permet de réunir autant les parents que les adolescents devant la télévision. C’est au final un drama tout ce qu’il y a de plus humain. Warner Bros. valide les changements du showrunner. Malheureusement, l’enthousiasme ne durera que le temps d’une saison.
De Arrow à Supergirl, le showrunner des super-héros
L’architecte de l’univers DC Comics sur le petit écran ne s’arrête pas là. En 2015, il déploie une super-héroïne avec Supergirl. La première saison est diffusée sur la chaîne CBS. Cette année, la série a été récupérée par la CW, facilitant l’exploitation des cross-overs.
Un an plus tard, Berlanti assemble une “mini Justice League” avec Legends of Tomorrow. La série reprend des personnages et des vilains d’Arrow et The Flash comme Sarah Lance (Caity Lotz), Atom (Brandon Routh), Captain Cold (Wentworth Miller) ou encore Vandal Savage (Casper Crump), l’ennemi principal de la première saison.
Les Upfronts de cette année ont montré la puissance de Greg Berlanti : toutes ses séries ont été renouvelées sur la CW. Un mur de super-héros, qui pourrait pratiquement faire renommer la chaîne The GB. Ces séries se sont emparées ont en grande partie forger la nouvelle identité de la CW, aux côtés des vieillissants Supernatural et The Vampire Diaries.
L’homosexualité et la communauté LGBT
Fils unique d’une famille italo-irlandaise, installée dans une communauté blanche protestante (les fameux WASP des années 60), Berlanti s’est forgé un sacré caractère.
Dès ses 13 ans, il ne pouvait s’empêcher de voler des copies du journal The Village Voice, un hebdomadaire new-yorkais comportant des articles d’enquête. Il finira par tomber sur des articles gay. Quelques années plus tard, il se passionne pour les films de l’acteur Montgomery Clift et Rock Hudson, deux comédiens homosexuels de l’Âge d’or du cinéma hollywoodien.
À 23 ans, las de dissimuler son homosexualité dans les croquis de super-héros qu’il dessine, il fait son coming-out. Il trouve dans leur double vie une comparaison idéale à son secret : “Je refoulais mes sentiments, mon homosexualité” confie-t-il à Entertainment Weekly, “je me sentais esseulé“.
Au début des années 80, il se met à regarder Dynastie sur ABC. Cette série raconte l’histoire d’une famille du Colorado, les Carrington. Au programme du soap : personnages riches et puissants, amourettes en surnombre, mais aussi protagonistes aux sexualités diverses.
Intrigué, Greg Berlanti se dit intéressé par la communauté homosexuelle depuis son adolescence, comme il l’a révélé dans Advocate en 2015.
“Je me souviens des séries télévisées avec des personnages gay comme la série Dynastie. Je me disais : j’ai quelque chose en commun avec ces individus. C’était bien avant l’arrivée d’internet, et du potentiel de diffusion que les réseaux sociaux ont apporté. Je me sentais vraiment seul. Alors quand je voyais ces personnages à la télé, je savais que je ne l’étais pas.”
Il est également devenu papa l’année dernière, annonçant sur son compte Instagram la naissance de son fils Caleb Gene Berlanti, avec le joueur de foot Robbie Rogers. Une révélation intime de sa vie comme il en fait rarement.
Depuis ses débuts, Berlanti apporte un soin particulier aux personnages LGBT dans ses productions. L’exemple le plus récent est le personnage de Sara Lance, la Black Canary des premières saisons d’Arrow. La super-héroïne incarnée par Caity Lotz est très éloignée de son homologue des comics de 1947.
On la voyait embrasser passionnément Nyssa Raatko dans l’épisode 13 de la saison 2, alors qu’elle avait été en relation avec Oliver Queen (Stephen Amell). Elle incarne une justicière badass et bisexuelle, une hypothèse qui se confirmait de nouveau dans Legends of Tomorrow, où elle s’éprenait d’une infirmière dans l’épisode 8.
The Flash comporte de nombreux personnages gays : David Singh, le directeur du commissariat de Central City, ou encore le flûtiste Hartley Rathaway (Andy Mientus), l’un des premiers personnages DC Comics à assumer son homosexualité.
Lors d’une interview pour Advocate l’année dernière, Berlanti est revenu sur le travail des showrunners et la possibilité de diffuser des messages auxquels ils tiennent :
“Il y a des gens qui font ça beaucoup mieux que moi dans les séries et je les salue. Mais je suis fier de jouer mon rôle et d’encourager ce genre d’histoires. C’est un environnement qui a énormément changé en 15 ans, depuis que j’ai commencé à faire ce job, et c’est plaisant d’avoir fait partie de cette évolution.”
Le boss dont tout le monde rêve
Greg Berlanti est décrit par ses collaborateurs comme une personne sensible, à l’écoute. Contrairement à Shonda Rhimes, Ryan Murphy ou Chuck Lorre qui cartonnent dans le monde des showrunners, il préfère rester en retrait, à l’abri derrière ses personnages.
“Je suis très, très prudent“, révélait-il dans une interview accordée à Entertainment Weekly l’année dernière. “Je pense que je ressemble fortement aux personnages dont j’écris l’histoire. Mon credo, c’est que demain est un autre jour, un jour meilleur”.
Le charme de Berlanti ne laisse aucun de ses collaborateurs insensibles. Élégant et souriant, il ressemble à Tom Cruise plus jeune, plus modeste aussi. Au cours d’une interview réalisée par le New York Times, plusieurs scénaristes qui ont travaillé avec Berlanti n’avaient que des compliments à partager.
“C’est un être humain, tout ce qu’il y a de plus humain. Je n’ai jamais eu autant d’affection pour un de mes patrons qu’envers lui” – Marc Guggenheim, scénariste pour Eli Stone, Arrow et Legends of Tomorrow
“Son énergie est contagieuse. La plupart des showrunners sont à l’inverse plus du genre ‘Je déteste ma vie, je déteste mon boulot, donc je te déteste’ “ – Barbie Kligman, scénariste pour Jack et Boby, Everwood et The Vampire Diaries
“Avec lui, vous ne ressentez pas cette culture de la peur qui a perverti Hollywood” – Jonathan Lisco, producteur sur Jack et Bobby
Porte-drapeau de la pop culture dans le monde des séries, grand amoureux des super-héros, Greg Berlanti en est devenu un dans la vraie vie. Ce super-showrunner a comme pouvoir de raconter des histoires universelles, et qui font de lui l’un des rois de l’entertainment sur le petit écran.