Si la saison 8 de Game of Thrones a laissé tomber les femmes, il en est une qu’on peut considérer comme la grande gagnante de l’histoire, à la lumière du final diffusé ce dimanche 19 mai sur HBO (et OCS en France). Je parle évidemment de Sansa Stark. La “petite colombe” comme la surnommait Cersei Lannister dans la première saison a fait du chemin. Passée par l’école des monstres, comme nous le détaillait Marianne Chaillan dans son analyse pop philo, la fille de Ned Stark, qui rêvait de conte de fées à Port-Réal, a subi les tortures physiques et psychologiques de Joffrey puis de Ramsay, qui la viola le jour de ses noces. Entre-temps, elle a été guidée par l’implacabilité de Cersei Lannister et par le machiavélique Littlefinger, tantôt son sauveur, tantôt son bourreau.
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Comme l’avait prévu Tyrion, Sansa leur a tous et toutes survécu. Dotée d’une extraordinaire résilience et d’un sens du devoir envers le Nord qu’elle a reçu en héritage, la petite colombe est devenue une louve protectrice, et la clé de la reconquête des Stark de Winterfell (organisée avec l’aide de Jon Snow et Littlefinger) et de tout le Nord. Hormis ce trope pénible, déjà dénoncé par maintes plumes, du “personnage féminin fort” qui a dû en passer par la case viol pour devenir badass, on peut considérer que la Dame de Winterfell a pris sa revanche et mérite bien sa couronne et les cris “Queen of the North” des lords à la fin de la série.
Et pourtant, cet empowerment – le fait de voir un personnage féminin prendre confiance en elle, en son pouvoir, et inspirant ainsi d’autres femmes à faire pareil – possède un goût des plus amers. Dans un premier temps, on peut considérer que si Sansa fait montre d’une sacrée paire d’ovaires en déclarant à Bran Le Brisé, nouvellement élu roi, que le Nord restera indépendant. Écoutons précisément son discours :
“I love you little brother, and I always will. You’ll be a good king. But ten of thousands of Northmen fell in the Great War defending all of Westeros. And those you survived have seen too much and fought too hard to ever to kneel again. The North will remain an independant Kingdom, as it was for thousands of years.*”
Dans un premier temps, Sansa en appelle aux liens familiaux et affectifs de Bran tout en le plaçant en position de “petit” frère. Elle évoque ensuite les hommes du Nord – et uniquement eux, comme si cette région n’était pas aussi peuplée par des femmes et des enfants – et leur souffrance pendant la Grande Guerre, où ils se sont battus aux côtés des armées de Daenerys pour effectivement sauver le monde des Marcheurs blancs et du roi de la Nuit. Puis le fait qu’ils ne plieront plus jamais le genou. À ce moment, Sansa évoque implicitement le fait que Jon Snow avait prêté allégeance à la Mère des dragons sans consulter les seigneurs du Nord ou elle-même. On sait que cette dernière est ensuite responsable du massacre de Port-Réal et s’est avérée se comporter en tyran.
Sansa se sert donc de ce traumatisme pour faire passer la pilule à Bran, faisant oublier à tout le monde au passage qu’il est un Stark, donc pour le coup, le Nord n’aurait eu aucun souci à plier le genou devant le dernier fils vivant de Ned. Ce passage nous montre que la nouvelle Reine indépendante a plus que retenu les leçons de Cersei : elle manipule sa famille et l’aura des Stark dans le Nord pour prendre le pouvoir.
Pourquoi Sansa s’excuse auprès de Jon lors de leurs adieux, ce dernier lui donnant sa bénédiction dans la foulée pour régner (parce qu’il n’a pas compris que sa cousine l’a extrêmement bien manipulé) ? Si on regarde de plus près, elle a effectivement des choses à se reprocher. La Dame de Winterfell a largement participé à rendre le Nord extrêmement hostile à Daenerys, dès son arrivée à Winterfell, alors même que la Reine Targaryen réalisait un détour pour aider Jon et toute cette région à battre le roi de la Nuit. Rappelons même qu’en saison 7, elle a sacrifié un de ses dragons pour sauver celui qui était alors le roi du Nord. Si Dany avait été accueillie par Ned Stark après un tel acte de bravoure, garant des valeurs de la famille des loups, le patriarche aurait marqué sa reconnaissance. Sansa a tout fait pour isoler une femme bienveillante envers elle, de son âge, qui a subi, comme elle, la violence d’une société sexiste et patriarcale.
Sans les armées de Daenerys (les Immaculés et les Dothrakis) et ses dragons, les Marcheurs blancs auraient peut-être remporté la bataille. Et pourtant, même après la Grande Guerre, Sansa a continué à encourager la xénophobie des lords du Nord envers Daenerys, cette “pute étrangère” comme la surnommait Cersei, sa première mentor. Quand la Khaleesi a tenté de se rapprocher d’elle, pensant à tort que Sansa était suspicieuse quant à son amour pour Jon Snow (en fait, ce n’était que du calcul), elle s’est fait fermer la porte au nez.
L’héritière des Targaryen avait certes des prédispositions à la violence (le feu et le sang, tout ça tout ça) mais elle a en réalité été tuée par le patriarcat et le manque de sororité. Sansa l’a sciemment isolée, sous le seul prétexte qu’elle était une femme étrangère, avec du pouvoir, et qui avait en plus le malheur de posséder la beauté.
©HBO/OCS
Puis l’aînée des Stark a ensuite appliqué la technique Littlefinger, informant les conseillers de Daenerys du lien de parenté entre la reine et Jon Snow. Ainsi, les deux s’entre-déchiraient dans la chambre à coucher, tandis que Varys et Tyrion en faisaient de même sur le plan politique. Sachant que Jon est un grand romantique un peu benêt et parfaitement honnête, Sansa n’avait ensuite qu’à regarder tout ce petit monde partir en fumée, un sachet de pop-corn à la main. À l’inverse des valeurs progressistes que prônait Daenerys, Sansa a donc écrasé une femme (et joué avec la vie de Jon au passage) qui représentait le changement pour en arriver à poser ses fesses sur le Trône du Nord, qu’elle méritait par ailleurs depuis sa reprise de Winterfell.
Personnage paradoxal, Sansa Stark est capable en saison 8 d’expliquer au Limier que si elle n’avait pas connu des psychopathes qui l’avaient violentée, elle serait restée une “petite colombe” toute sa vie (justifiant ainsi son viol), mais aussi de faire taire son oncle Lord Edmure Tully, qui tentait maladroitement de postuler au titre de “roi des Sept Couronnes” d’un jouissif “sit down, uncle”. Tout d’un coup, ce n’est plus Cersei ou Littlefinger que l’on entend, mais Olenna Tyrell, que Sansa avait rencontré en saison 3, alors qu’elle était captive des Lannister à Port-Réal. Malheureusement, l’influence des femmes Tyrell, qui avaient appris à se faufiler dans le jeu sexiste du Trône de Fer sans s’en prendre aux femmes mais plutôt en créant des alliances féminines – Margaery a certes des intérêts mais elle instaure une vraie sororité avec Sansa, Olenna s’allie avec Daenerys, comme Yara –, n’a pas été aussi forte que celle de ses bourreaux.
La tenue finale de Sansa lors de son couronnement reflète son apprentissage : elle a été réalisée avec le même tissu que la robe de mariée de Margaery Tyrell, sa couronne possède un design similaire à celle de Cersei Lannister quand elle accède au Trône de Fer à la fin de la saison 6, et le col de sa robe est un clin d’œil aux tenues de Littlefinger. En apparence comme au fond d’elle, la “Queen of the North” est la somme de ses expériences. À la fois victime, sauveuse et bourreau, Sansa a appris à naviguer et à tirer le meilleur d’une société sexiste qu’elle n’a aucune envie de changer – contrairement à Daenerys, dont elle a précipité la chute. Sa “victoire” est à l’image de ce que George R. R. Martin annonçait : douce-amère.
*”Je t’aime, petit frère, et je t’aimerai toujours. Tu feras un bon roi. Mais des dizaines de milliers de Nordiens sont morts durant la Grande Guerre en défendant Westeros. Et ceux qui ont survécu en ont trop vu et se sont battus trop dur pour plier le genou une nouvelle fois. Le Nord restera un royaume indépendant, comme il l’a été pendant des milliers d’années”.