Conte philosophique à l’ambition gargantuesque et doté d’un budget de blockbuster, Foundation est une épopée SF sublime et exigeante qui pourrait bien devenir la nouvelle saga de genre, depuis Game of Thrones, dont tout le monde parle. Mais pour cela, il va falloir lui accorder toute votre attention car la série, adaptée de l’œuvre éponyme d’Isaac Asimov, est pour le moins complexe. Suffisamment pour nous perdre par moments, mais pas assez pour nous gâcher le voyage. Avec un budget estimé à 45 millions de dollars pour dix épisodes, cette première saison, showrunnée par David S. Goyer (Blade: Trinity, The Dark Knight) et Josh Friedman (la série Snowpiercer), a arpenté les merveilleux paysages de Malte, des îles Canaries, d’Islande, ou encore d’Irlande. Le résultat offre une cinématographie grandiose, comme le laissait espérer le trailer, à la beauté tantôt brutale, tantôt poétique.
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L’histoire suit un mathématicien du nom de Hari Seldon, l’un des pontes de la psychohistoire (une discipline à mi-chemin entre la science et la divination), qui recrute Gaal, une jeune surdouée venue d’une planète lointaine, la seule à avoir résolu l’une de ses impossibles énigmes. Il voit en elle la clé qui pourrait empêcher l’effondrement de la civilisation. Car Hari a entrevu le futur et la chute de l’Empire, un régime autoritaire incarné par trois figures tyranniques, Dawn, Day et Dusk (soit Aube, Jour, et Crépuscule), des clones à différents âges de leur existence. Leur règne étant menacé par les visions de ce prophète, ils vont tout faire pour se débarrasser de lui et de ses adeptes, dont le nombre grandit un peu plus chaque jour. Plutôt que de l’exécuter et de prendre le risque d’en faire un martyre, ils décident de l’exiler sur Terminus. Là-bas, sur cette planète désolée, le mathématicien, aidé d’une poignée de révolutionnaires, va établir un camp de base qui sera peut-être le dernier rempart face à l’extinction programmée de l’humanité.
Bien que très fidèle à l’œuvre d’origine, la série Foundation a dû adapter certains aspects à son époque. La trilogie d’Asimov ayant été écrite dans les années 1940 et 1950, une époque où la SF était encore – et le restera pendant de longues décennies – une affaire d’hommes, il a fallu opérer quelques subtils changements. Les femmes, dont les rôles étaient périphériques dans les livres, sont ainsi replacées au cœur de l’histoire. Au casting de cette épopée se déroulant sur plusieurs siècles et dans différents endroits de la galaxie, on retrouve quelques noms bien connus des sériephiles, comme ceux de Jared Harris (Chernobyl, The Crown, Mad Men) dans le rôle de Hari Seldon, Lee Pace (Pushing Daisies, Halt and Catch Fire) qui y incarne l’empereur Day, et Alfred Enoch (How to Get Away with Murder) qui est Raych Seldon, le fils adoptif du mathématicien. On y découvre aussi de nouveaux visages qui gagneraient à être connus, comme ceux des jeunes Lou Llobell dans la peau de Gaal, dont c’est le premier rôle, et l’acteur·rice non-binaire Leah Harvey en interprète de Salvor Hardin.
L’impossible adaptation
Chacun et chacune se montre à la hauteur du défi que représente l’adaptation, jusqu’ici réputée impossible, de l’œuvre colossale d’Isaac Asimov, fondatrice du genre futuriste en littérature, et sans qui Dune, autre monument de la SF se payant actuellement une seconde vie au cinéma, n’aurait sans doute jamais existé. Mais, comme le confiait récemment David S. Goyer au Hollywood Reporter, le plus grand défi à relever se trouvait principalement dans l’écriture de cette fresque épique :
“Il y a trois aspects retors qui, je pense, ont fait couler les autres adaptations : le premier est que l’histoire s’étend sur 1 000 ans, avec pas mal de sauts dans le temps, ce qui complique la narration. Le deuxième, c’est que les livres empruntent parfois une forme anthologique, avec des parenthèses centrées sur un personnage en particulier, comme Salvor Hardin, puis on fait des sauts d’un siècle dans le temps pour se retrouver avec un tout nouveau protagoniste. Le troisième, enfin, c’est que les romans ne sont pas vraiment chargés émotionnellement.”
© Apple TV+
D’autres avant lui s’y sont en effet cassé les dents. En 1998, le studio New Line Cinema a dépensé 1,5 million de dollars pour développer un long-métrage couvrant la trilogie. Un échec qui l’a finalement conduit à se lancer dans un autre projet d’envergure l’année suivante, et qui rencontra cette fois-ci un succès sans précédent : Le Seigneur des Anneaux. En 2009, Columbia Pictures se lançait à son tour et s’offrait pour l’occasion les services de Roland Emmerich à la réalisation, mais là encore, le projet est abandonné. En 2014, HBO rachetait les droits d’adaptation et c’est Jonathan Nolan (cocréateur de Westworld) qui était choisi pour écrire le script et produire la série.
La suite, on la connaît : c’est finalement Apple TV qui aura le dernier mot et parviendra, avec Josh Friedman et David S. Goyer à la barre, à faire renaître l’œuvre d’Asimov à l’écran. Pour convaincre la marque à la pomme qu’ils sont les showrunners de la situation, ce dernier a présenté le pitch en une phrase : “Fondation, c’est une partie d’échecs entre Hari Seldon et l’Empire, qui dure mille ans. Tous les autres personnages sont des pions, mais certains d’entre eux deviendront rois ou reines au cours de la saga.”
©AppleTV+
Comme souvent avec la SF, surtout quand elle est aussi réussie, les thèmes abordés résonnent implacablement avec le présent. On y parle de régimes totalitaires, et de leur peur panique des idées libres qui fragilisent leur emprise, de la censure qui aide à les maintenir en place, de peuples opprimés qui subissent de plein fouet les inégalités. Les préoccupations écologiques sont aussi au cœur de ce récit au parfum terriblement prémonitoire, et qui se demande à quoi tient la survie de l’humanité.
Foundation est une épopée SF sublime et un conte prophétique doublé d’une fable géopolitique et spirituelle, parfois dense à digérer tant sa mythologie est complexe et son écriture exigeante. Mais les trois premiers épisodes que nous avons pu voir laissent présager une belle montée en puissance des enjeux. En chemin, la série tente de rattraper le manque d’engagement émotionnel des romans, mais pèche encore un peu à vraiment nous saisir par les tripes.
La beauté et l’ambition de la série finissent toutefois par emporter notre intérêt aux confins de la galaxie, avec l’espoir qu’elle pourra étendre son univers bien au-delà de cette première saison. C’est en tout cas le pacte que signent avec nous les showrunners, qui n’envisagent pas moins de 80 épisodes pour raconter cette histoire millénaire.
Les dix premiers épisodes de Foundation sont disponibles sur Apple TV+.