Qu’on se le dise, la tendance sérielle du moment est au revival sous la forme d’un long-métrage. Après Deadwood, le récent Downton Abbey et le prequel des Soprano en développement chez HBO, ce sont Vince Gilligan et Netflix qui ont surpris tout le monde en annonçant une suite à Breaking Bad dans un ultime film. Une idée qu’il gardait secrète depuis 2017, et qui lui est même venue pendant le tournage de la seconde partie de la saison 5, soit dès 2013. Finalement, El Camino, du nom de la Chevrolet avec laquelle s’enfuyait Jesse dans le series finale “Felina”, a été écrit et tourné dans le plus grand des secrets un an plus tard, jusqu’à ce que Bob Odenkirk, aka Saul Goodman, vende la mèche à la fin de l’été passé.
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Après plusieurs mois d’attente, la plateforme de streaming l’a mis en ligne ce vendredi 11 octobre. Les fans pouvaient l’attaquer avec une certaine appréhension, et ce pour deux raisons : la fin de Breaking Bad est considérée populairement comme l’une des meilleures de l’histoire des séries, et elle apportait une véritable conclusion à l’arc narratif de Walter White. Toutefois, et la présence d’Aaron Paul et Bryan Cranston à la production d’El Camino ne trompe pas, il manquait une dernière touche pour parfaire ce dénouement dans l’esprit de ses créateurs : qu’advient-il de Jesse une fois libéré des néonazis par Walt ?
Say his name
(Ⓒ Netflix)
Sans trop en révéler, on découvre rapidement qu’El Camino reprend seulement quelques minutes après la mort de Walt et la fuite de Jesse. En cavale, il doit se cacher du FBI, de la DEA et de toutes les forces de police lâchées à ses trousses. Car depuis la fin de la saison 5, le monde entier est au courant des véritables identités dissimulées derrière le pseudonyme d’Heisenberg et de son jeune disciple. L’intrigue du film est également ponctuée de multiples flash-back qui, pour la plupart, permettent de découvrir la souffrance endurée par Jesse chez ses ravisseurs.
Nous parlions de jeunesse, mais Aaron Paul reprend son rôle alors qu’il vient d’atteindre la quarantaine. L’innocence et la naïveté de Jesse se sont donc envolées au profit du corps mature et expérimenté de son interprète. Un nouveau physique qui colle bien avec le passif du chimiste, traumatisé suite à sa descente aux enfers aux côtés de Walt, où le meurtre et autres atrocités étaient devenus son quotidien. Sur son visage scarifié et fatigué, Aaron Paul incarne désormais Jesse différemment, comme si le poids de la rédemption pesait sur ses épaules. Il est résolument plus sombre et poignant, à moins que ce ne soit juste les sentiments affectifs des spectateurs qui se reflètent sur sa figure.
En effet, à la vue d’El Camino, il est difficile de renier l’émotion qui s’en dégage. Nous éviterons soigneusement de spoiler, mais le film est jalonné par des caméos, parfois anecdotiques, parfois bouleversants, qui stimuleront violemment votre fibre nostalgique d’aficionados. Pour autant, le film Breaking Bad, grâce au talent d’écriture de Vince Gilligan, évite de tomber dans le pur pathos si bien que Jesse paraît froid dans certaines scènes, comme si toute humanité l’avait quitté depuis les sévices de Jack et son gang. Oui il y a du fan service, mais justement au service de l’histoire et non du plaisir gratuit de ses spectateurs.
(Ⓒ Netflix)
Par ailleurs, la grande force de Gilligan, qui œuvre au scénario et à la réalisation, est de nous replonger presque instantanément dans l’univers de la série. De la mise en scène généreuse en symbolisme à la justesse des dialogues, en passant par l’humour absurde de Todd et la tension haletante de certaines séquences, tout respire le bon vieux Breaking Bad. On pourrait presque lui reprocher de ne pas prendre plus de risques si nous étions de mauvaise foi, mais nous préférons nous contenter de croire en l’amour du showrunner pour son univers et ses personnages, qu’il continue de rendre attrayant dans ce film et le spin-off Better Call Saul.
Certains spectateurs pourraient être désarçonnés par le parti pris du film qui, en seulement deux heures, évolue sur un rythme très lent, comme si on nous invitait à passer une ultime journée en compagnie de Jesse Pinkman. Toutefois, El Camino oscille entre différents genres, forcément proches de Breaking Bad, soit quelque part à la croisée du road movie, du thriller et du western contemporain (dont une scène de fin jouissive). Avec sa caméra qui lui sert de pendule, Vince Gilligan démontre tout son talent pour équilibrer rythme et tension, silence et moments de cacophonie inquiétante, à travers des séquences qui nous rappelleront les meilleurs moments de “Face Off” (saison 4) voire du cultissime et indétrônable “Ozymandias” (saison 5).
Pour être parfaitement honnête, il est très difficile de jauger la suite d’une œuvre mythique, qui nous a autant émus voire bouleversés pendant notre jeunesse, quand on est fan avant d’être critique. À travers El Camino, on se souvient du sentiment de proximité avec Jesse, de cette écriture fluide et intelligente qui nous permettait de se glisser dans sa peau, en étant aussi bien impressionné que terrifié par les actes et la transformation de Walter White en monstre. Avec la scène finale d’El Camino, un miroir inversé à celle de l’épisode “Felina”, on peut être soulagés : leurs âmes sont désormais apaisées alors que Breaking Bad peut reposer en paix, ses deux héros évoluant désormais au panthéon des personnages inoubliables de la pop culture.
Le film El Camino: A Breaking Bad Movie est disponible dès maintenant sur Netflix.