Après un premier film remarqué, Jill Bauer et Ronna Gradus nous proposent une plongée passionnante, glaçante et parfois touchante dans le monde du porno amateur sur Internet.
À voir aussi sur Konbini
De quoi vit l’industrie porno à l’ère du tout gratuit ? Comment les réseaux sociaux et l’Internet haut débit ont changé notre rapport au sexe et à la recherche de partenaires ? Féminisme et porno sont-ils compatibles ? La relation qu’un client entretient avec sa cam-girl préférée peut-elle résister à une rencontre IRL ? Deux ans après la sortie du film documentaire Hot Girls Wanted, Jill Bauer et Ronna Gradus reviennent, sur Netflix, avec le docu-série Hot Girls Wanted: Turned On.
En six épisodes, les réalisatrices, accompagnées de la productrice Rashida Jones (éternelle Ann Perkins de Parks and Recreation), explorent toutes ces problématiques dans une mise en scène sobre, sans jugement, mais avec un point de vue qui ne manquera pas de faire cogiter les spectateurs. Qu’elles soient des débutantes prêtes à tout pour percer dans le milieu du porno amateur, des cam-girls enthousiastes, protégées derrière leur écran, ou des féministes qui veulent révolutionner le genre en y injectant une bonne dose de female gaze, impossible de rester insensible à leurs histoires.
Le porno féministe, une vraie révolution
Sur ces six épisodes, le choix de commencer la série par “Women on top”, réalisé par Rashida Jones, est loin d’être anodin. Il suit en effet la bataille de trois réalisatrices et photographes pour adultes, Erika Lust, et le duo mère-fille Suze et Holly Randall, contre les moulins à vent de l’industrie porno et son exploitation du corps féminin. Non seulement cet épisode est le seul à contenir une note d’espoir, mais il nous fait entrer dans ce milieu du porno par un biais totalement inattendu et loin des clichés : le female gaze.
Rencontrée à Berlin, lors de la promotion de la série, Rashida Jones revient pour nous sur “Women on top” :
“C’est un épisode sur les femmes du milieu qui sont derrière la caméra. Erika Lust, une Suédoise qui vit en Espagne, qui essaye de changer la représentation du désir féminin à l’écran en le rendant plus réaliste. Elle propose une sorte de version plus sophistiquée de ce à quoi les gens ressemblent quand ils couchent ensemble. Et je crois que c’est important pour elle parce qu’elle a des filles, et elle veut qu’il y ait autre chose pour elles, et pas simplement ces standards de beauté ou de performances sexuelles inatteignables. Et puis il y a ces deux autres femmes [Suze et Holly Randall, ndlr], qui sont dans l’industrie depuis longtemps et qui constatent que le vent tourne, et qu’il n’y a plus d’argent pour faire du porno haut de gamme comme dans les années 1980 et 1990. Le marché est tellement inondé par des productions cheap… tout le monde peut le faire.”
Exploitation et humiliation
L’autre problématique importante que soulève la série, c’est la question raciale, déjà abordée dans le film avec l’actrice latina qui racontait comment beaucoup d’hommes payaient pour la voir se faire humilier et violenter. Turned On est allée à la rencontre de Jax Slayher, son nom de scène, un acteur porno noir qui déplore, comme le vétéran du milieu Tyler Knight, l’objectification dont il est victime. Une stigmatisation qui le réduit à la taille de son membre et à sa fonction, et qui repose sur des présupposés racistes. L’épisode montre ainsi que les sites pour adultes sont très demandeurs de ce genre de performances, rangées dans des catégories toutes plus racistes et sexistes les unes que les autres, réduisant les personnes à des types ou des pratiques. “Et c’est parfaitement légal”, déplore Tyler Knight, “et je mets quiconque au défi de trouver une seule autre industrie aux États-Unis où ce serait légal”.
Et qui dit petit budget, dit aussi conditions de travail qui se dégradent. Les filles d’aujourd’hui, recrutées pour leurs numéros sur webcam, sont traitées comme des accessoires interchangeables par les producteurs et réalisateurs de porno amateur, qui préfèrent généralement se concentrer sur le contentement de l’acteur, et donc du spectateur. L’éjaculation devient alors le but ultime à atteindre, au mépris de l’intégrité physique de l’actrice. Dans le cas de l’épisode 2, celle qui doit se faire “casser en deux” par Jax n’a que 18 ans. Derrière son appareil photo, le réalisateur aboie ses ordres à la jeune fille ou demande à l’acteur de l’étrangler “avec les deux mains”.
C’est là que la série devient glaçante. En assénant, entre deux scènes, des statistiques qui font froid dans le dos et viennent renforcer ce que l’on voit à l’écran, elle ramène l’usine à fantasmes à sa dure réalité. C’est cette violence qui était au cœur du film, dont l’épisode “Money shot” est finalement une extension. On y apprenait notamment qu’une des tendances les plus populaires est la fellation forcée, et que des sites comme “Facial abuse” font leur beurre sur du “sexe oral extrême” dont le but est de faire vomir sa partenaire.
Vous l’aurez compris, on ne ressort pas indemne de ce visionnage. Hot Girls Wanted: Turned On n’est pas là pour nous dégoûter du porno (quoique…) mais, comme d’autres documentaires sur l’industrie agroalimentaire ou sur la pollution des océans, veut nous responsabiliser dans notre utilisation de celui-ci. C’est en pleine conscience, désormais, qu’on lance un film coquin : en sachant que certaines de ces filles sont tout juste majeures, que les gémissements d’un plaisir feint cachent parfois la douleur physique, bien réelle, d’actes répétés avec force, que pour l’argent et quelques mois de visibilité, elles tolèrent les pires humiliations. Mais on pense aussi à celles qui vivent cela comme un travail ordinaire et ont, à côté, une vie sentimentale tout à fait “normale” et épanouie. Et surtout, à ces réalisatrices qui tentent de bousculer les codes du genre et de proposer un autre regard dans un milieu où respecter les femmes et leur désir est, hélas, un discours révolutionnaire.
Les six épisodes de Hot Girls Wanted: Turned On, ainsi que le film qui a initié ce docu-série, Hot Girls Wanted, sont disponibles sur Netflix.