David Makes Man, la première série du scénariste oscarisé de Moonlight, est une merveille

David Makes Man, la première série du scénariste oscarisé de Moonlight, est une merveille

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©OWN

Un coming-of-age d'une incroyable poésie.

Dans la moiteur du mois d’août, et avant la frénésie de la rentrée, a débarqué aux États-Unis sur la chaîne d’Oprah Winfrey (OWN) une série que l’on n’attendait pas, David Makes Man. Dès le premier épisode, l’évidence s’impose : cet objet artistique, produit notamment par un certain Michael B. Jordan, va marquer les esprits, par son sujet et par son traitement formel si riche.

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C’est Tarell Alvin McCraney qui est à l’origine de ce projet. Un peu comme si le scénariste oscarisé de Moonlight avait décidé de creuser la première partie du film réalisé par Barry Jenkins en 2016, David Makes Man raconte l’adolescence de David, un garçon noir âgé de 14 ans. Surdoué, il a été admis dans une école spéciale qui doit lui servir de tremplin pour intégrer des facs prestigieuses.

Il vit dans une cité HLM, “La Ville”, dans le sud de la Floride, qui subit un taux élevé de criminalité. Traumatisé par la mort d’un proche, qui lui apparaît parfois en hallucination, David doit aussi prendre soin de son petit frère, qu’il tente tant bien que mal de protéger de l’influence des jeunes trafiquants de drogues de son quartier. Leur mère travaille beaucoup pour joindre les deux bouts.

Avec David Makes Man, Tarell Alvin McCraney développe la thématique des masculinités noires, avec un style poétique déjà l’œuvre sur Moonlight. Il s’inscrit dans une certaine continuité de l’Atlanta de Donald Glover. Si les deux séries possèdent un ton très différent, elles ont en commun de braquer les projecteurs sur des hommes noirs de la classe pauvre, et usent toutes deux de “réalisme magique”. C’est-à-dire qu’au sein d’un contexte réaliste, elles instillent des séquences poétiques ou des visions surnaturelles.

Ainsi, le jeune David (incarné par l’intense Akili McDowell) discute régulièrement avec Sky (Isaiah Johnson) son ami et mentor, qui en fait n’est pas vraiment là. Les échanges peuvent se dérouler dans le bus qui le mène à l’école, ou près de son quartier, tard le soir… Sky agit comme une sorte de Jiminy Cricket, une conscience individualiste qui lui dit de tout faire pour s’en sortir, quel qu’en soit le prix.

Comme le suggère le titre de la série, David est en train de construire sa personnalité d’homme et (spoiler alert) ce n’est pas facile. Il jongle entre plusieurs mondes et modèle son comportement selon les environnements dans lesquels il se trouve. Ado “clown” dans son école pour génies, il retire son uniforme style “premier de la classe” une fois descendu du bus, pour affronter “La Ville”. Regard devenu dur, il supporte des responsabilités d’adulte.

Sa gravité et sa fiabilité en font un candidat idéal pour devenir trafiquant de drogue. Sollicité par certains de ses “amis” – déjà trafiquants jusqu’au cou – “Dai” tente tant bien que mal d’éviter les embrouilles. Mais dans les deux premiers épisodes, rien ne se passe comme prévu. Par jalousie, il finit par s’en prendre à l’un de ses camarades de classe, Seren, puis se retrouve embarqué malgré lui dans un trafic de drogue. Évoluant en équilibre instable entre deux mondes, David jongle avec beaucoup de balles à la fois. Si l’une tombe, elles se cassent toutes la figure. Et cette impression qu’il joue sa vie et son avenir à chaque instant.

La réalisation, brillante, alterne des séquences très réalistes à la The Wire avec des moments de pure poésie – un plan au milieu des herbes, des échanges et rencontres d’une douceur inattendue. Les réalisateurs – Michael Francis Williams et Kiel Adrian Scott – nous font accéder visuellement à l’intériorité de leur héros, à la puissance de son imagination fertile. Il s’en passe, des choses, dans la tête d’un enfant de 14 ans qui tente de fuir un déterminisme social parfois implacable.

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Qui va-t-il devenir ? Un futur leader grâce à ses brillantes études ? Le trafiquant de drogue de son quartier, comme Chiron dans Moonlight ? Aucun des deux ? C’est ce qui se joue sous nos yeux. La construction d’une identité. Dans ce domaine, Tarell Alvin McCraney excelle à représenter les hommes noirs – et plus largement la condition humaine – dans toute leur diversité et leur complexité, à travers des scènes de la vie ordinaire sublimées – qu’elles se déroulent dans l’école (on n’a jamais été aussi fascinées par un exposé) ou autour de “La Ville”.

Dans une scène poignante, David parle avec un de ses amis, accessoirement dealer, d’une mort qui les a tous deux traumatisés : les larmes montent aux yeux des deux ados. Dans le quartier de David, une femme noire trans, Miss Elijah, travaille avec les dealers du coin. Dans l’épisode 2, un David assoiffé après une marche interminable est secouru par Femi, une femme trans incarnée par Trace Lysette. “Yeah, I’m real”, lui dit-elle avant de lui envoyer une bouteille d’eau, telle une lumière au bout du tunnel et en tout cas au bout d’une journée particulièrement éprouvante pour l’adolescent. On est loin d’une représentation stéréotypée des Afro-Américains, des quartiers pauvres ou des personnes marginalisées.

Tout en n’omettant pas un milieu social très dur, qui ne cesse de créer des chausse-trapes sur le parcours de David, Tarell Alvin McCraney s’autorise une liberté formelle et des moments poétiques qui rendent sa série unique en son genre. Ce n’est pas tous les jours, même en pleine ère de Peak TV, qu’on a la chance de tomber sur une œuvre artistique ambitieuse, novatrice et socialement engagée. Elle est pertinente, puissante et à l’image de son héros, protéiforme. Face à des débuts aussi prometteurs, il ne reste plus à souhaiter que David Makes Man trouve un diffuseur en France et que son auteur bénéficie d’autant de saisons dont il a besoin pour mener à bien l’histoire de son attachant héros.  

La première saison de David Makes Man, composée de dix épisodes, est inédite en France.