Avec un troisième chapitre surpuissant, Daredevil confirme son statut de meilleure série de super-héros Marvel. Attention, légers spoilers.
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Vendu comme la consécration de trois années prolifiques entre la collaboration Marvel et Netflix, le crossover The Defenders a paradoxalement fait beaucoup de mal à ses protagonistes. Luke Cage et Iron Fist ont dû prendre leur retraite avant l’heure, pour des raisons de manque de popularité ou de business. De l’autre côté, c’est la cote de Matt Murdock qui en a pris un coup après des errances d’écriture dans la mini-série. Résultat : notre vigilante a fini sous un immeuble, Elektra dans ses bras, à attendre patiemment la mort.
Miracle du monde des comics et de la Maison des Idées, l’avocat a survécu. Enfin, plutôt son alter ego justicier puisque Matt va peu à peu délaisser sa vie civile pour embrasser son côté obscur et éradiquer le mal qui gangrène sa ville, visant en particulier Wilson Fisk, fraîchement sorti de prison après un deal passé avec le FBI. Confus et torturé comme jamais, le Diable de Hell’s Kitchen est cette fois prêt à tout pour arrêter son pire ennemi, quitte à emprunter le chemin sombre d’un certain Frank Castle. Et comme si ça ne suffisait pas, un nouvel antagoniste, allié du Caïd, va venir jouer les trouble-fêtes en volant l’identité du justicier…
Profession d’anti-foi
On imagine très bien comment le showrunner Erik Oleson a débarqué dans sa writers’ room l’an dernier pour commencer l’écriture de la saison : “Fini les conneries.” Fer de lance du Marvel Cinematic Universe en 2015 et petit chouchou des fans depuis, Daredevil portait en effet de lourds fardeaux sur ses épaules dont le premier était de faire oublier les deuxièmes chapitres douteux et décevants de ses camarades, tout en réparant les torts faits à son personnage dans le crossover The Defenders. Erik Oleson et son équipe ont clairement dû surmonter une “crise du super-héros”, en partie due au choix scénaristique de rejeter des codes du genre : saisons longues et pompeuses, sans ambitions ni dimension émotionnelle, voire dénuées de méchant à vaincre dans le cas de Jessica Jones.
Qui d’autre que le déjà très torturé Matt Murdock pour redonner confiance en ces humains extraordinaires ? Et c’est justement la question de la foi qui est au cœur de cette nouvelle saison. L’image d’ouverture du season premiere est lourde de sens à ce niveau-là : on y voit Daredevil chuter indéfiniment dans un décor apocalyptique, embrasé, les bras écartés et les jambes jointes. Son corps forme une croix retournée, celle de l’antéchrist, celle du doute et de la voie vers la haine et la colère. Le Diable de Hell’s Kitchen va finalement adopter sa forme la plus viscérale et violente, celle de l’antihéros.
Le thème principal de la série a toujours été d’explorer les faiblesses d’un justicier croyant, où la limite entre justice pour soi et justice pour tous reste fine. La saison 2 notamment explorait cet aspect avec l’arrivée de Frank Castle et ses méthodes expéditives. Aujourd’hui brisé physiquement et psychologiquement après la mort (présumée tout du moins) d’Elektra et la chute de son monde, Matt touche le fond. Ses sens sont chamboulés par l’explosion de Midland Circle, handicap souligné par un bruit d’acouphène insupportable et des plans filmés à la première personne, où le spectateur ressent toute la souffrance d’un homme déjà aveugle et désormais privé de ses autres fonctions psychophysiologiques.
On assiste, impuissant, fasciné et déconcerté, à la déconstruction d’un super-héros. C’est une tendance en vogue chez les œuvres du genre ces dernières années, au cinéma (Iron Man 3, Thor : Ragnarok) comme dans le MCU de Netflix : Danny qui perd le pouvoir de l’Iron Fist, Jessica Jones qui tourne le dos à ses responsabilités d’héroïne, Luke Cage qui enfile le costume de Cottonmouth… C’est encore plus saisissant dans le cas de Matt, puisque la perte de ses sens surdéveloppés et donc de ses pouvoirs est directement liée à celle de son humanité : qui est-il privé de la vue, de l’ouïe, de l’odorat et même du toucher ?
Doucement mais sûrement, Matt s’égare sur une profession d’anti-foi. Certains fans s’insurgent de la disparition du Punisher dans cette saison, mais en réalité, c’est tout le contraire : l’ombre de Frank n’a jamais autant plané sur Daredevil. Ce dernier est lancé dans une quête meurtrière visant Wilson Fisk (qui hante d’ailleurs son esprit comme Kilgrave dans Jessica Jones), et il est prêt à emprunter les méthodes drastiques du Punisher pour mettre un terme à son règne et surtout protéger et venger Foggy, Karen et ses proches. “Tu es à une mauvaise journée de devenir comme moi”, lui lançait Castle sur un toit de New York en saison 2. Ce jour est arrivé pour l’avocat, qui frappe désormais ses adversaires jusqu’aux os et se dit prêt à tuer par nécessité.
Marque de fabrique de la série depuis ces débuts, les combats de Daredevil ont rarement été si intenses. Entre un plan-séquence hommage à celui du couloir dans l’épisode 4, et cette scène de boxe surréaliste dans l’église de l’épisode 1, les chorégraphies n’ont jamais été aussi violentes et jouissives. Parfois, la mise en scène parvient même à nous surprendre comme en témoigne la séquence du parking de l’épisode 3, où le justicier se croit dans Metal Gear Solid et élimine ses ennemis en mode infiltration dans un silence de mort. Et, ô joie, les réalisateurs pensent parfois à allumer la lumière pendant les scènes de combat.
Make Daredevil Great Again
Daredevil n’a jamais été aussi engagée politiquement que ses camarades. Le sous-texte de la série balaie des thématiques larges et intemporelles, dont l’opposition entre foi et violence dans cette saison, contrairement au féminisme de Jessica Jones et à l’étude de la gentrification chez Luke Cage, deux préoccupations contemporaines. On peut lui reprocher ce manque de prise de risques, mais c’est aussi une force de son récit, qui attire le plus grand nombre et évite de se prendre les pieds dans un didactisme poussif.
Cela étant dit, la saison 3 du show semble dissimuler un message politique qui prend tout son sens sous l’ère de Donald Trump. Wilson Fisk, toujours aussi glaçant grâce à la partition impériale de Vincent D’Onofrio, représente toutes les dérives de sa présidence. Le Caïd mène le peuple en bateau en influençant les médias, qu’il manipule à sa guise grâce à un système de terreur. Il prend également le contrôle des forces de l’ordre et les pousse à s’attaquer à des institutions politiques pour y installer ses hommes de confiance, rappelant l’affaire récente de Brett Kavanaugh à la Cour suprême.
Pour en rajouter une couche, Fisk est confiné dans “l’hôtel présidentiel” de la ville, ce qui ne tient pas d’une simple coïncidence. Du haut de sa tour d’ivoire, il manipule un certain personnage, dont nous tairons le nom, pour tromper les citoyens et traîner Matt dans la boue sur la place publique, en faire la bête noire de tout un peuple. “[Les gens de pouvoir] ont envoyé quelqu’un pour me piéger : Daredevil, le tueur qui montre désormais sa vraie nature, qui a tenté de tuer des journalistes et des hommes d’Église, qui s’en prend à nos institutions. Croyez-moi, Daredevil est l’ennemi public numéro un”, aboie-t-il dans un de ses speechs malfaisants.
À quelques phrases près, on entendrait presque le 45e président des États-Unis se plaindre d’une nouvelle “chasse aux sorcières”, terme qu’il affectionne particulièrement depuis les accusations portant sur le rôle qu’aurait joué la Russie dans son élection. Plus que d’être un monstre physique capable de péter une durite à n’importe quel moment, Wilson Fisk est un méchant à l’approche profondément réaliste. Ses agissements sont ceux des tyrans narcissiques qui effraient le peuple, s’attaquent frontalement à la presse et tirent la démocratie vers le bas. Cette saison, la bataille qui se joue entre Daredevil et le Caïd, entre ange et démon, entre démocratie et totalitarisme, n’a jamais été aussi passionnante, intense et nécessaire à suivre.
Les trois premières saisons de Daredevil sont disponibles en intégralité sur Netflix.