Lancée le 4 novembre dernier, The Crown, qui retrace la jeunesse d’Élisabeth II, est l’une des séries les plus chères de l’histoire de Netflix. Le budget, environ 112 millions d’euros, a été en bonne partie dévolu à la reconstitution historique. Biiinge a rencontré sa chef costumière, Michele Clapton.
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350 costumes principaux, 7 000 figurants, 100 personnes dédiées aux costumes au plus fort de l’activité, 60 costumes pour la Reine Élisabeth, 30 pour la Princesse Margaret… Les chiffres donnent le tournis. Et pour superviser tout ce beau monde, une femme, Michele Clapton, détentrice d’un Emmy pour son travail sur les costumes de Game of Thrones. Autant dire qu’elle sait ce qu’elle fait.
De passage à Paris il y a quelques mois, l’énergique et enthousiaste costumière nous détaillait son process sur The Crown. Il commence par le travail d’archives et de recherches de photos d’époque inspirantes.
“J’ai eu 10 semaines pour me préparer mais des assistants travaillaient dessus depuis bien 6 mois. Je n’aurais jamais pu les rattraper, donc j’ai opté pour des tableaux d’inspiration qui me donnaient une bonne idée de l’univers à créer.
Parfois, le visuel faisait référence à une scène, parfois c’était pour me rappeler le côté “jeune fille” d’Élisabeth, le fait qu’elle ait été en Afrique, qu’elle portait parfois des jeans et nouait ses chemises autour de la taille. Cela permet d’avoir un aperçu de ce personnage complexe, de sa nature.”
Mon regard s’attarde sur les jolis dessins des tenues esquissées de chaque personnage : “J’ai réalisé quelques dessins et ajouté des tissus, pour avoir une vue d’ensemble, m’explique Michele Clapton. Les dessins m’aident à continuer à penser à tout cela, c’est presque quelque chose de privé. Quand vous supervisez autant personnes en même temps, ça aide aussi à retrouver sa concentration [rires] ! Et puis quand les acteurs venaient me voir, et ils sont dans les 300 sur The Crown, je pouvais leur parler visuellement de leurs personnages. On a développé une vraie relation. Je les ai aidés à créer leur personnage.”
La communication avec les autres départements s’avère effectivement essentielle pour réussir un travail de reconstitution aussi précis. Il faut par exemple que Michele pense bien à rester en contact avec le pôle décoration, histoire “de ne pas se retrouver avec une robe bleue sur un canapé bleu”. Et oui, ce serait ballot.
Élisabeth II, une jeune femme bientôt reine
Si Michele Clapton préfère chercher l’essence d’un personnage plutôt que de vouloir reproduire les costumes à l’identique (où serait le fun là-dedans ?), certains d’entre eux, comme la robe de mariée de la future reine, sont tellement ancrés dans l’inconscient collectif anglais qu’une réplique exacte s’imposait : “La traîne a été réalisée à l’identique de l’originale. Les tenues des demoiselles d’honneur ont été faites à la main. Chaque pièce a été étudiée de près. Nous avons été recherché les mêmes couleurs, les même tissus.”
La confection de cette pièce a demandé pas moins de six semaines de travail, et six personnes à son chevet à temps plein. On comprend mieux pourquoi la robe de mariée de The Crown a coûté plus cher (un peu plus de 33 000 euros) que la véritable robe d’Élisabeth II (payée en coupons de rationnement à l’époque).
Plus généralement, les détails vestimentaires concernant Élisabeth, personnage principal du show, ont été logiquement très soignés, “parce que notre but est aussi de raconter sa vie privée, et si nous sommes fidèles aux moments historiques, le public nous suivra sur les scènes plus intimistes”, m’explique Michele.
La robe du couronnement d’Élisabeth est la seule à ne pas avoir été conçue par la chef costumière et ses équipes. Elle a été confectionnée par Swarovski et c’est donc une réplique quasi-exacte.
“Cette robe a été créée pour une exposition et coup de chance, elle était aux mesures de Claire Foy [l’interprète d’Élisabeth, ndlr]. On était heureux parce qu’il y avait déjà tellement de travail, et cette robe n’apparait finalement que très peu de temps à l’écran.
Elle a été créée à l’origine par Norman Hartnell. Il présenta neuf visuels différents à la Reine et elle en choisit un. Elle fit changer quelques petits détails. Elle était vraiment impliquée dans le design de cette robe, qui représente le Commonwealth. Chaque symbole veut dire quelque chose. J’y ai toujours pensé comme sa robe de mariée à la nation. La couronne possède des énormes diamants fournis par l’Inde. “
“Ce costume fleuri nous rappelle à quel point elle était jeune. C’était en 1954. C’est le genre de travail que j’aime. Ce ne sont pas des copies directes. Nous avons essayé de trouver l’essence de la Reine, pas d’en faire un documentaire.”
“Cette robe [première à gauche, ndlr], c’est un peu son uniforme de travail. Je voulais quelque chose de très simple et pratique à porter, d’assez peu féminin. Elle est au début de son règne, elle écoute et essaie d’apprendre des autres. Si elle avait pu, je pense qu’elle se serait habillée comme ça tout le temps. Elle reflète sa vraie personnalité. Les gens disent toujours qu’elle semblait heureuse avec des vêtements sobres, parfois une robe, parfois un pantalon et un foulard sur les cheveux. Elle passait très vite d’une tenue à une autre.
C’est une robe [à droite ci-dessus, ndlr] inspirée de celle de la Reine, mais pas une copie conforme. Beaucoup de ses robes avaient ce côté “trop vieille pour son âge”. Elles sont très imposantes, et couvrent beaucoup de peau. Elles étaient très belles mais pas forcément flatteuses. On sent qu’Élisabeth ne faisait pas ça par amour de la mode. Elle devait enfiler cette robe et marcher avec.”
Churchill, cette bête de mode
Interprété par John Lithgow dans The Crown, le personnage historique de Winston Churchill a particulièrement inspiré Michele Clapton.
“J’aime vraiment Churchill, ce vieil homme toujours un cigare à la bouche. Il avait un style incroyable. Il a lui -même designé son fameux “costume de sirène” [une barboteuse, ndlr] entre deux guerres et il le revêtait dès qu’il le pouvait, au bureau ou dans sa maison.
Il portait aussi des foulards très intéressants, des superbes “slippers” et un stetson, notamment quand il prenait la pose pour une peinture. Churchill était un homme flamboyant et créatif avec ses vêtements. Les gens ne se souviennent pas de lui comme ça, mais il avait un sens inné de la mode. Il était plus sentimental qu’on ne le pense. J’ai vraiment appris à le connaître en travaillant sur The Crown.”
La princesse Margaret, une vraie fashionista
Si Élisabeth porte de fastueux atours dans la série, c’est surtout par devoir, on l’aura compris. Sa sœur Margaret, en revanche, avait un réel amour pour le monde de la mode. Et ses fonctions plus réduites au sein de la monarchie britannique lui ont permis de s’amuser de ce côté-là, comme nous l’explique Michele Clapton.
“La princesse Margaret était elle beaucoup plus portée sur la mode française, et les designers comme Dior. Elle adorait les costumes. Elle aimait beaucoup les essayer, marcher avec… Elle prenait vraiment plaisir dans tout le process. On voit bien la différence entre elle et Élisabeth au niveau des couleurs et des coupes.
On a un peu accentué cet aspect pour jouer là-dessus dans les intrigues de The Crown, pour montrer la séparation entre les deux quand l’une devient reine. Margaret porte des choses très modernes, comme cette chemise nouée à la taille que j’adore. Même ses chaussures font un peu plus de bruit, pour marquer le côté un peu plus frivole que sa soeur.”
La saison 1 de The Crown, composée de dix épisodes, est disponible sur Netflix