En 2004, la série The L Word a jeté un bon gros pavé dans la mare en montrant la sexualité féminine dans toute sa diversité et en pavant la route vers une meilleure représentation des lesbiennes à la télé.
Créée par Ilene Chaiken en 2004 pour Showtime, The L Word est apparue dans un paysage audiovisuel qui rougissait encore de montrer deux femmes s’aimer. Un peu plus tôt, sur la même chaîne, l’adaptation américaine de la série anglaise Queer as Folk (de 2000 à 2005) était lancée. Déjà, la représentation des communautés LGBTQ remportait une victoire.
The L Word, que l’on qualifie souvent de “Queer as Folk féminin”, a non seulement donné une visibilité aux lesbiennes, mais elle a également tenté de montrer la sexualité féminine dans toute sa diversité. Ce soap de l’intime a fait bouger les choses à bien des égards.
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De l’invisibilité lesbienne à la déferlante The L Word
“Ces histoires méritent d’être racontées car la plupart des gens ne connaissent pas ces détails. Les personnages lesbiens que l’on a pu croiser jusqu’ici ont surtout été créés par des hommes. Nous avons été marginalisées de la culture de masse depuis très longtemps et je crois qu’il est temps pour nous de reprendre notre juste place” – Ilene Chaiken
Le choix même du titre de la série fait référence à ces mots que l’Amérique puritaine se refuse à entendre et à prononcer. On dira ainsi le “N Word” (pour ne pas dire “nègre”), ou le “F Word” (pour “fuck”). The L Word désigne donc ces lesbiennes, bien présentes, mais que l’on ne voit pas. Qu’à cela ne tienne, la série de Chaiken va se charger de ne jamais nous faire oublier ces fabuleux personnages.
Le revers de la médaille
Même avec l’intention d’aborder le sujet avec le plus de naturel possible, la scénariste a pu se heurter à quelques critiques. Au-delà de quelques associations conservatrices facilement offusquées, les reproches les plus intéressants proviennent justement des premières intéressées.
Certaines ont ainsi regretté que la série ne représente que des femmes majoritairement cis (personne dont le genre qu’elle perçoit comme le sien correspond au sexe biologique), blanches et upper class. Une glamourisation très éloignée de la réalité.
La série saura se rattraper dès la saison 2 avec deux personnages transexuels qui font leur transition de femme à homme : Ivan et Moira/Max. Un fait rarissime à la télévision.
Mais là encore, des militants LGBTQ ont considéré que la réalité vécue par les personnes transgenres était ici abordée de façon trop clichée. Ilene Chaiken s’est alors défendue de vouloir faire de la politique. Son truc à elle, c’était de faire une série sur ce qu’elle connaissait. Et a priori, cela se limitait aux lesbiennes.
La bisexualité vue par The L Word a fait aussi l’objet de critiques. Considérée comme un caprice, ou une phase transitoire : “quand vas-tu te décider à arrêter les bites ?” entend-on dès le pilote.
Enfin, parce que The L Word est une série sur des lesbiennes, mais pas seulement à l’attention des lesbiennes, le piège du “male gaze” n’est jamais loin. Si les scènes de sexe sont là pour plaire aux femmes, gays ou non, ces messieurs ne sont pas en reste.
Eh oui, quoi que l’on fasse, quelle que soit l’intention de départ, toutes ces femmes dans leur intimité la plus crue sont une source inépuisable d’excitation pour les hommes. C’est là que le “male gaze” gâche un peu la fête.
De là à y voir une réappropriation d’un pilier de la culture gay par les mâles hétéros en rut, il n’y a qu’un pas. On peut facilement imaginer que les téléspectatrices et militantes LGBT ont pu se sentir dépossédées de la première série qui les représentait. C’est en tous cas l’une des critiques formulées à l’époque de sa diffusion.
The L Word, plus féministe qu’une série hétéro ?
Ces même hommes hétéros cis sont justement assez peu présents à l’image. Ce n’est pas une décision consciente de la showrunneuse. Il n’était pas écrit dans le cahier des charges “les mecs sont priés de rester à distance”, mais The L Word est avant tout une série de femmes, pour les femmes, faite en grande majorité par des femmes.
Outre Ilene Chaiken, la plupart des épisodes ont été écrits et réalisés par des femmes. Une chose rare à la télé, encore plus à cette époque où, dans les séries dites pour filles comme Sex and the City, les hommes étaient omniprésents et représentaient la pierre angulaire de toutes les aventures et conversations de ces copines. Ci-gît le test de Bechdel.
Aujourd’hui, Orange Is the New Black est ce qui se rapproche le plus de ce désert masculin sur le petit écran. Comme le féminisme est lui-même pluriel, The L World peut autant satisfaire que déplaire sur ces questions. Ses personnages affichent leurs convictions ou s’interrogent : les lesbiennes sont-elles, par essence, féministes ?
Reste une scène, qui a marqué les téléspectatrices sensibilisées à ces problématiques. Jenny (Mia Kirschner) apprend que son nouveau coloc les a filmées, elle et ses amies, à leur insu. Celui-ci s’excuse d’avoir violé leur vie privée et lui affirme qu’il a changé, qu’elle a fait de lui un homme meilleur. Voici ce qu’elle lui répond, dans une tirade magistrale :
” Ce n’est pas à moi de faire de toi un homme meilleur, et je me contrefous de savoir que j’ai fait de toi un homme meilleur. Ce n’est pas le putain de rôle des femmes d’être consumées et envahies et recrachées ensuite tout ça pour qu’un putain d’homme puisse évoluer “.
Mark lui fait alors l’affront ultime de lui répondre “Je t’en prie, maintenant je sais ce que ça fait d’être une femme “, pensant que c’est ce qu’elle veut entendre. Jenny se charge alors de lui expliquer :
“Ce que je veux, c’est que tu écrives ‘Fuck Me’ sur ton torse, et je veux que tu passes cette porte et que tu ailles dans la rue. Et à chaque personne qui voudra te baiser, je veux que tu dises ‘bien sûr, pas de problème !’. Et quand ce sera fait, je veux que tu dises ‘merci beaucoup’ et assure-toi de bien avoir un sourire sur ton visage. Et là, espèce de putain d’abruti de lâche, tu sauras ce que ça fait d’être une femme.”
L’héritage de The L Word
Si les séries restent désespérément hétéronormées et cis, la télé a fait un sacré bout de chemin dans la représentation des LGBTQ depuis Queer as Folk et The L Word. On retrouve de nombreux personnages lesbiens, notamment dans Grey’s Anatomy, Glee, Arrow, Pretty Little Liars, Orphan Black, etc.
Les transgenres aussi ont droit à davantage de visibilité dernièrement, en grande partie grâce à Laverne Cox, l’interprète de Sophia Burset dans Orange Is the New Black, ou Jeffrey Tambor qui incarne Maura dans Transparent. Même si l’on peut reprocher à cette dernière d’avoir préféré un homme cis pour représenter au mieux les tourments qui agitent les transgenres.
Les scènes de sexe lesbien ont elles aussi évolué. Certes, on n’échappe toujours pas aux traditionnelles séquences gratifiantes pour le public masculin, et Game of Thrones, parmi d’autres, se charge de nous rappeler que deux femmes nues qui s’embrassent, ça fait toujours un très bel arrière plan.
Mais une série comme Orange Is the New Black profite par exemple d’un contexte peu propice, a priori, à la romance, pour explorer la sexualité féminine dans toute sa diversité, avec beaucoup d’humour ou d’aplomb selon les circonstances.
En 2015, le GLAAD (Gay and Lesbian Alliance Against Defamation) a constaté des progrès dans le nombre de LGBTQ à la télévision, mais les efforts à fournir pour que cela devienne une norme, au même titre que l’hétérosexualité, sont encore considérables. Ainsi, sur 881 personnages réguliers dans les séries, seuls 35 sont identifiés comme étant gays, lesbiens ou bisexuels.