“Je voulais parler de l’amitié sans tomber dans la facilité. C’est beaucoup plus complexe qu’on ne le montre. Être l’ami d’une personne peut être très dur si vous l’aimez vraiment. Et je voulais raconter à quel point c’est difficile d’aimer quelqu’un.”
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Acteur (You’re the Worst, Barry) et scénariste, Rightor Doyle a puisé dans son expérience personnelle pour accoucher de Bonding. Flash-back : jeune acteur fraîchement débarqué à Los Angeles, il enchaîne comme beaucoup de ses congénères des petits boulots, jusqu’à retrouver une amie d’enfance devenue dominatrice, qui lui propose de se faire un peu d’argent en étant son assistant et son bodyguard. “J’étais un petit poulet effrayé de 22 ans ! Je pense qu’elle aurait pu mieux me protéger que le contraire [rires, ndlr] ! Je me suis doucement retrouvé impliqué dans cet univers.”
Cette anecdote de soirée donne naissance, bien des années plus tard, à Bonding, dramédie pop centrée sur la relation entre Pete, un jeune homme homosexuel qui rêve de faire du stand-up et galère à payer son loyer à New York, et sa meilleure amie du lycée, Tiff, avec laquelle il renoue après six ans de silence. Il découvre alors qu’elle est devenue dominatrice, notamment pour payer ses études de psychologie. Histoire de se faire un peu d’argent, il va lui servir d’assistant et plonger en terres inconnues dans le milieu du BDSM (bondage, discipline, sadisme, masochisme)… Tandis que les liens se renouent entre eux.
Initialement prévue pour une diffusion sur Blackpills, service de vidéo à la demande qui s’est reconverti en producteur de séries, la série attire finalement l’attention de Netflix, qui en achète les droits de diffusion fin 2018. Plus d’un an après sa présentation à Canneséries en 2018, la voilà enfin en ligne, pour notre plus grand plaisir. En sept épisodes d’une quinzaine de minutes chacun, Rightor Doyle réussit à nous accrocher à l’histoire de Pete et Tiff, incarnés par deux jeunes espoirs à suivre : Zoe Levin et Brendan Scannell. Leur alchimie est évidente.
“Je suis acteur mais j’ai eu l’impression que quelqu’un avait commandé cette série sur mes ordres. Je me suis dit : ‘Oh mon Dieu, c’est moi !’ Ou en tout cas c’était moi il y a quelques années. […] Pete est un peu perdu, coincé. Il ne sait pas ce qu’il fabrique là. Ça m’a rappelé la première fois que j’ai déménagé à Los Angeles. Je me demandais : ‘Mais qu’est-ce que je veux ?’ C’est universel ce sentiment quand tu es dans ta vingtaine. Et puis c’est un âge où tu fais des jobs chelous [rires, ndlr] !”, nous confie Brendan Scannell.
En face, Zoe Levin (Palo Alto, Red Band Society) s’empare de son rôle de dominatrice la nuit et étudiante têtue qui a du mal à exprimer ses émotions le jour, avec tout autant de sensibilité et de justesse. “C’était un rôle très complexe. Je cherchais quelqu’un de très fort, de sensible, de très beau aussi. Zoe Levin réunissait toutes ces qualités, en plus d’avoir une alchimie incroyable avec Brendan”, commente Rightor Doyle.
Un gars, une fille
Ces deux-là forment le cœur et l’âme de Bonding, qui explore les liens particuliers unissant les femmes hétéros et les hommes gays. Un type de relation longtemps représenté de façon superficielle (on peut citer l’exception française Clara Sheller). Pendant des décennies de comédies romantiques et de séries comme Sex & the City, les héroïnes féminines se baladaient avec leur BFF gay pour leurs sorties shopping et soirées cocktail, ce duo d’amis over-the-top devenant un trope quasi insupportable.
Rightor Doyle est plus indulgent : “Ces rôles ont pavé la voie pour qu’on puisse les développer davantage aujourd’hui et avoir des explorations plus poussées des relations entre les femmes et les hommes gays. J’ai écrit selon ma propre expérience, qui est assez universelle. Évidemment, tu ne te vois pas comme le BFF ou le second rôle ! Mes relations avec mes meilleures amies sont très complexes. Elles sont terrifiantes, magnifiques, excitantes et drôles. Je voulais explorer la complexité d’une relation entre un homme gay et une femme hétéro.”
© Netflix
Une des discussions qui ne manque pas d’arriver sur le tapis concerne le fameux sujet brûlant de la hiérarchie des discriminations. Ainsi, dans l’épisode 5, Tiff et Pete s’engueulent, la première assénant que les gays n’ont qu’à faire leur coming out pour se trouver une communauté et roucouler entre eux quand les femmes galèrent toute leur vie avec le patriarcat. S’ensuit une dispute sévère entre deux personnages qui font face, mais de manière différente, aux mêmes mécanismes discriminatoires.
La série aborde ainsi des sujets sociétaux passionnants, tels que les masculinités (par exemple, le coloc de Pete a très envie de savoir ce que ça fait d’avoir un doigt dans les fesses, mais sa copine ne veut pas lui mettre) ou la honte que l’on peut ressentir ou pas face à certaines pratiques sexuelles jugées “sales” ou “déviantes” par la société. Impossible de parler de Bonding sans aborder le monde BDSM, largement présent.
Rightor Doyle se défend d’être un expert sur le sujet. Il n’empêche, il est très présent et donne sa saveur à la série. Le showrunner s’est fait critiquer par des travailleur·se·s du sexe, qui jugent la représentation de cette pratique problématique et irréaliste dans sa série. Elle joue un peu trop sur des effets comiques qui vont à l’encontre de la règle de base des pratiques BDSM : la sécurité. Ainsi, pour un effet comique, un client va être sur le point de s’étouffer avec sa cravate, ou bien Tiff va entraîner Pete dans un endroit dont il ne sait rien, pour faire des choses auxquelles il n’a pas consenti.
Pour éviter ces représentations clichées, qui relèvent de l’inconscient collectif, le créateur aurait pu se donner la peine de consulter des personnes expertes dans ce domaine. Mais il se justifie ainsi : le BDSM est une toile de fond, il ne cherche pas un quelconque réalisme. En témoignent l’esthétique très pop du show et son influence majeure.
“J’ai été très inspiré par Pedro Almodovar, l’un de mes réalisateurs préférés. Si le script de Bonding ne ressemble pas à du Almodovar, sur le fond on parle des mêmes choses : la façon dont un personnage homosexuel aborde sa sexualité, comment il la ressent, et aussi comment il aime et déifie les femmes. Je voulais créer un univers coloré à la façon d’Almodovar, où les personnages vivent tout de façon théâtrale, mais en ayant un supplément d’âme et une sincérité derrière.”
En un mot, le décorum est artificiel, pas les sentiments, ni ce que dit la série sur le fond. Et si Bonding fait preuve de maladresses dans sa représentation des pratiques BDSM, elle fait aussi preuve d’audace. Également réalisateur du show, Rightor Doyle a par exemple choisi de ne pas filmer les corps et autres parties génitales des protagonistes, mais nous étonne en revanche avec des séquences où gicle sperme ou pisse, autant de liquides de la vraie vie qu’on n’a pas l’habitude de voir à l’écran.
“Je ne voulais pas que Tiff soit filmée d’une façon qui la sexualise quand elle est dominatrice, car je pense que sa sexualité vient de l’intérieur et ça lui aurait retiré du pouvoir, surtout si c’est un homme qui la filme. […] Montrer du sperme ou de l’urine, c’est aussi le faire accepter, le rendre moins tabou. J’espère que le public se dira : ‘OK, peut-être que ce n’est pas pour moi, mais ce n’est pas si horrible et sale.'”
© Netflix
Rightor Doyle associe les pratiques BDSM au sentiment de honte et à la notion de secret, deux thématiques qu’il souhaitait explorer à travers le parcours de ses deux personnages. Dans l’épisode 3 et une des plus belles scènes de la série, Pete explique à Tiff pourquoi il a mis si longtemps à effectuer son coming out. “Je pensais que mon secret me gardait en vie. Parce que j’étais la seule version de moi-même que je connaissais. Si je le disais à tout le monde, qui deviendrais-je ?”
La peur donc, de devenir celle ou celui qu’on se sait en train de devenir. Et la honte, comme le détaille le showrunner : “Ce qui me parle aussi, c’est le rapport entre honte et homosexualité. Quand tu fais ton coming out, tu n’as plus honte. Les choses ne sont plus honteuses si tu les confesses. Elles ne le sont que si tu les gardes pour toi. […] Le monde BDSM dans la série, je le vois comme une façon de se libérer de sa honte.”
Dans cette quête existentialiste et personnelle, avancer à deux peut à la fois être grisant et source de souffrance. C’est ce que nous dit en substance Bonding, et son interprète, Brendan Scannell :
“Pete est sur le chemin de l’empowerment tandis que Tiff apprend à s’ouvrir et à exprimer sa vulnérabilité. Ils attendent beaucoup l’un de l’autre. C’est ce genre de lien qui peut faire le plus mal car ce sont les personnes auxquelles tu tiens le plus qui peuvent te décevoir le plus.”