On avait tendance à penser que le genre du zombie était sur une pente descendante, alors que The Walking Dead est condamnée à (sur)vivre pendant des années comme un soap opera de CBS. C’était sans compter sur le laboratoire à idées appelé Netflix, qui a déjà prouvé sa créativité avec la spectaculaire et sud-coréenne Kingdom. C’est encore une fois la plateforme de streaming qui profite de ce mois d’avril marqué par la GoTmania pour diffuser un show confidentiel centré sur une apocalypse zombies, Black Summer.
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À la base, Black Summer a été présenté comme un spin-off de Z Nation, qui revient sur l’origine de l’épidémie. La série de Karl Schaefer et Craig Endler (également producteurs exécutifs sur Black Summer), diffusée entre 2014 et 2018 sur Syfy, proposait une vision parodique du genre.
Leur nouvelle production est en réalité à des années-lumière de ce parti pris, si bien que Jaime King et le reste du casting ont appris la nouvelle… grâce aux questions des journalistes pendant la promotion du show ! On pourrait plutôt décrire Black Summer comme une companion series à Z Nation, à l’image de ce que sont Les Nouvelles Aventures de Sabrina pour Riverdale, situées dans le même univers mais sans connexions évidentes.
L’intrigue du prequel n’a rien de très surprenante et reprend les codes du genre zombie : Rose (Jaime King, vue dans Sin City) et sa famille tentent de survivre dans un monde qui s’effondre face à l’infection fulgurante de la population. La société telle que nous la connaissons part en lambeaux alors que l’armée et le gouvernement sont incapables de freiner l’épidémie. Rapidement, des petits groupes se forment dont celui de Rose, qui part à la recherche de sa fille, recueillie dans un camp de réfugiés. Ensemble ou seul face aux morts-vivants, ils vont devoir apprendre à survivre dans un monde hostile.
L’anti-The Walking Dead
© Netflix
Production américaine oblige, il est impossible d’éviter le jeu de la comparaison avec le mastodonte d’AMC. Après avoir enchaîné quelques épisodes de Black Summer, on comprend très vite que ses créateurs ont opté pour une approche différente voire opposée à celle de The Walking Dead. La première fracture qui saute aux yeux, c’est la mise en scène de la série, dépouillée, avec une colorimétrie couleur asphalte et une certaine ambition de réalisation.
Celle des deux premiers épisodes a été confiée à John Hyams (également co-showrunner et co-créateur), plutôt perçu dans le milieu comme un “yes man” au vu de ses projets formatés pour les networks (The Originals, Chicago P.D. et Z Nation justement apparaissent sur son CV). Et pourtant, le metteur en scène impose une vraie patte visuelle dans Black Summer, qui pourrait bien rebuter une partie des spectateurs. John Hyams opte pour une caméra à l’épaule très présente, une focale serrée et des plans longs, très longs dont quelques plans-séquences (avec une référence, toutes proportions gardées, au passage mythique des Fils de l’homme dans l’épisode “Drive”), qui s’étendent comme si la série se déroulait en temps réel.
L’approche contraste parfaitement avec celle de The Walking Dead, qui aime particulièrement les cuts dans les dialogues et les plans larges sur les hordes de zombies. La vision de John Hyams se rapproche d’une forme de naturalisme et une volonté de contemplation au plus près de l’action.
On est aussi face à une œuvre brute et réaliste, comme en témoigne la banlieue grisâtre dans laquelle se déroule une bonne partie de la saison 1. La série est parcourue de nombreuses scènes de silence (l’épisode “Alone” a trois dialogues à tout casser) qui viennent certes plomber le rythme, mais offrent aussi une vraie ambiance horrifique et angoissante à l’ensemble. Au final, il y a quelque chose de lancinant, presque envoûtant dans cette réalisation, mais qui tend aussi parfois à l’hypnose et un bon gros dodo devant.
© Netflix
La recette esthétique de l’anti-spectaculaire de Black Summer créé un sentiment paradoxal chez le spectateur, à cause du traitement de sa mythologie. En effet, les zombies de la série sont plus proches de ceux de 28 jours plus tard et World War Z que des rôdeurs de The Walking Dead. Ils courent, sautent, peuvent grimper sur les toits des voitures et sont presque doués d’une forme de conscience qui leur permet de traquer une proie même quand elle tente de les contourner. La transmission de l’infection, instantanée après la mort, diffère également du temps de gestation dans TWD.
Si, comme l’auteur de cet article, vous avez baigné dans neuf saisons de The Walking Dead, cette approche comportementale est carrément déstabilisante. Une fois encore, John Hyams en profite pour proposer des séquences audacieuses en termes de mise en scène. On pense à cette séquence du pilote où une caméra à la première personne prend la place d’un zombie, rendant l’urgence de la situation aussi originale que ridicule (l’acting laisse à désirer) tant on est habitués à l’école zombiesque de Greg Nicotero, véritables chorégraphies macabres dans The Walking Dead.
Des héros creux comme un zombie
© Netflix
Mais le visuel d’une série ne fait pas sa qualité. En misant tout sur ses multiples scènes d’action, plutôt bien produites, et son ambiance oppressante, Black Summer oublie de construire ses personnages. Pourtant, ils sont moins nombreux que The Walking Dead et la plupart meurent rapidement. Le peu de dialogues est souvent mal écrit, cliché, et ne permettent pas de creuser la psyché des personnages, là où Rick Grimes et ses potes aiment s’étendre sur les dilemmes moraux entre la pensée de Kant et de Bentham.
Conséquence directe, on ne s’attache jamais aux personnages qui ne sont pas non plus aidés par des partitions très aléatoires livrées par leurs interprètes ; sûrement la faute à ces longs plans qui ne permettent que très peu de prises sur le plateau. Dans cette même idée, le cadre de l’action évolue rarement, faute d’un budget suffisant, si bien qu’on a l’impression que les survivants (et l’intrigue) tournent en rond. Un comble pour une saison de seulement 8 épisodes où certains d’entre eux ne durent pas plus de 20 minutes.
En réalité, on a sincèrement l’impression que le potentiel de Black Summer a été gâché par le catalogue de sorties très (trop) exhaustif de Netflix : quasiment aucune promo en amont du show, diffusion random pour le jeudi (les sorties de la plateforme sont habituellement le vendredi) du retour de Game of Thrones, un manque de moyens évident dans la production…
Sauf qu’à force, on ne se suffit plus d’un binge-watching convenable de quelques heures en attendant une nouvelle saison de Stranger Things ou de 13 Reasons Why. Malgré ses bonnes trouvailles visuelles, ses scènes d’action vibrantes et son vrai parti pris esthétique, on ne doute pas que Black Summer rejoindra rapidement le cimetière des séries dans un triste silence de mort. Un comble pour une série de zombies.
La première saison de Black Summer est disponible en intégralité sur Netflix.