Vous êtes sur Twitter ou Facebook, qu’importe. Deux jours après l’ouverture du Festival de Cannes, vous déroulez les articles qui passent sous votre nez, dégoûté à la vue de toute cette racaille de journalistes sous le soleil de la région PACA, s’enfilant des films tous les matins en avant-première comme vous enfilez les couloirs de métro.
Et puis soudain, le choc : vous tombez sur un article intitulé “Comment télécharger gratuitement tous les films de la sélection de Cannes 2014 en torrent”. La source ? Arte. Vous relisez et relisez. Vos yeux fatiguent mais vous êtes obligé de le constater : la chaîne culturelle franco-allemande vous permet d’accéder au paradis sans payer. Des dizaines de films : du Assayas, du Cronenberg, du Godard, du Hazanavicius et même du Ken Loach ! Sourire sur vos lèvres.
Sur Arte, l’article commence par :
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La lecture se poursuit, les mots promettant qu’un “méga pack de 25go, qui vous permettra de regarder dans le confort de votre salon, la TOTALITÉ des films de la compétition officielle. Tous ces films sont bien entendu en HD (sauf le Godard)”. Ça en jette. Ni une ni deux, vous vous ruez sur le lien. Il est ancré sur un petit dessin sur lequel est écrit “Torrent”. Génial. On clique et on arrive sur une page isoHunt, le fameux moteur de recherche BitTorrent. On approche du Graal. Un fichier de 25go ? On prend, on s’en fout, on y va.
Le téléchargement se déclenche. Ça va vite, trop vite. Ça y est, c’est fait. On ouvre le fichier. Zut : premier indice bizarre, c’est un fichier vidéo. C’était trop beau. Vous l’ouvrez :
Vous vous apprêtiez à visualiser des oeuvres protégées par le droit d’auteur.
Oups. En musique, “Contempt”, ce morceau ultra-célèbre composé par Georges Delerue pour le film de Jean-Luc Godard, Le Mépris. Et puis on regarde ce spot qui semble nous faire une leçon de morale pour mieux ironiser, avec des photographies de piscines et de stars (ou d’attachées de presse, on ne sait pas) faisant couler du champagne à flot :
Et si, au beau milieu du marché du Festival de Cannes, Arte, par l’entremise de sa chaîne web d’Arte.tv Palais Duplex, critiquait ouvertement Hadopi, quelques jours après que l’autorité publique a annoncé une intensification de sa lutte contre le piratage illégal ?
Les pistes concordent vers une personnalité : Jean-Luc Godard. Le fait qu’il soit l’unique cinéaste cité dans la (maigre) description du pack de téléchargement, le morceau du Mépris et les positions anti-Hadopi prises par le réalisateur d’À Bout De Souffle. On se souvient par exemple d’une de ses interviews dans Les Inrocks.
C’était en 2010 et il affirmait :
Le droit d’auteur, vraiment c’est pas possible. Un auteur n’a aucun droit. Je n’ai aucun droit. Je n’ai que des devoirs […]. Je suis contre Hadopi, bien sûr. Il n’y a pas de propriété intellectuelle. Je suis contre l’héritage, par exemple.
Que les enfants d’un artiste puissent bénéficier des droits de l’œuvre de leurs parents, pourquoi pas jusqu’à leur majorité… Mais après, je ne trouve pas ça évident que les enfants de Ravel touchent des droits sur le Boléro.
Le film de Jean-Luc Godard L’Adieu au langage fait partie de la sélection officielle de Cannes de 2014. Le réalisateur n’a jamais été récompensé à Cannes. Une heure après, le site d’Arte a finalement mis un terme à la blague. Sur l’article mis à jour, on pouvait lire, sans plus d’explications :
C’était une blague. Toutes nos excuses aux personnes ayant vraiment cru que la totalité des films de la sélection officielle avait été entièrement ripées et mise à disposition sur le site d’Arte (qui aime le cinéma).