À l’occasion du lancement de la saison 3 de The Magicians, ce 15 mai sur Syfy France, Biiinge a pu s’entretenir avec deux de ses héros.
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Biiinge⎜Dans cette saison 3, la magie a disparu. Pour une série qui s’appelle The Magicians, c’est plutôt osé. Quelle a été votre réaction en lisant le script pour la première fois ?
Arjun Gupta⎜C’était une surprise ! Et comme vous le dites, c’était une décision osée. Je ne sais plus si c’est Chris Fisher, notre producteur et réalisateur, ou Sera et John [Sera Gamble et John McNamara, les créateurs de la série, ndlr] qui ont dit : “Et si on enlevait la raison pour laquelle les gens croient nous suivre, juste pour leur montrer pourquoi ils adorent encore la série.” C’est une confiance dans les personnages, et les épreuves qu’ils et elles traversent, qui sont la colonne vertébrale de notre série. Et du point de vue de l’histoire, c’est juste superintéressant de voir ce que nos héros vont faire maintenant qu’il n’y a plus de magie.
Olivia Taylor Dudley⎜Oui, John et Sera, nos showrunners, ainsi que tous nos merveilleux scénaristes, ont le don de se lancer des défis et de trouver des moyens pour s’en sortir, ce qui est exactement ce que font nos personnages. Je crois que c’est un exercice vraiment stimulant. Et ça permet à nos héros et héroïnes de se confronter à leur relation avec la magie. Et c’est là le cœur de la série : quel rapport entretiennent ces personnages avec la magie ? Qui en a besoin ? Qui n’en veut pas ? Et pourquoi ?
Justement, en parlant de ça : vos personnages ont beaucoup changé en deux saisons, ils ont grandi, ont vécu des choses intenses… Quel est, d’après vous, leur rapport à la magie aujourd’hui ?
Arjun Gupta⎜Pour l’instant, c’est la seule chose qui maintienne Penny en vie. Chacun a un rapport différent à la magie. Mais ce qui est intéressant, en ce qui nous concerne tous les deux, c’est que Penny y est d’abord allé à reculons. [S’adressant à Olivia] Mais toi aussi en fait ! En plus tu es née dedans !
Olivia Taylor Dudley⎜Oui, Alice est née avec la magie, donc elle a une relation compliquée avec elle depuis le départ. Elle ne voulait pas entrer à Brakebills, elle n’y est allée que pour sauver son frère. Donc, elle était réticente. Mais quand elle est devenue un “niffin”, elle a goûté à la magie pure, le plus grand concentré de magie que quelqu’un puisse avoir. Ça l’a rendue ivre de pouvoir. Maintenant qu’elle n’a plus de magie, elle est complètement perdue. Elle n’en a jamais voulu jusqu’ici, et désormais, elle ne pense plus qu’à ça.
Elle a clairement un comportement d’accro…
Olivia Taylor Dudley⎜Oui, absolument, c’est une addiction pour elle. Elle est accro au pouvoir que lui confère son statut de “niffin”, et c’est un énorme fardeau pour elle. En tant que “niffin”, elle a fait des choses horribles.
Arjun Gupta⎜Pour Penny, au début de la saison, je crois qu’il s’en fout un peu, sa propre survie passe au premier plan. Et c’est excitant de le voir gagner en maturité à cause de ça. Au début de la saison, il est plutôt séparé de tous ceux qu’il connaît et qu’il aime. C’est le genre de situation dans laquelle soit on s’effondre, soit on grandit. Et fort heureusement pour Penny, c’est la deuxième option.
Est-ce qu’on pourrait parler un peu de la gestuelle qui permet aux Magiciens de jeter des sorts : le “finger-tutting” ? C’est une chorégraphie très intéressante, un véritable langage. Vous l’avez beaucoup pratiqué en saison 1 et 2, mais presque plus du tout en saison 3. Ça ne vous manque pas un peu ?
Olivia Taylor Dudley⎜C’est vrai qu’on le fait moins. La magie est partie, mais il y en a encore une étincelle. Ça ne me manque pas tant que ça parce que c’est très difficile à faire. Je crois que chaque personnage développe son propre langage avec le “tuning”. Je trouve que la magie d’Alice est très élégante et simple, et j’aime ça.
Arjun Gupta⎜Moi ça me manque ! J’aime ça, c’est fun à faire et je n’aurais normalement pas l’occasion de l’apprendre et de bosser avec un chorégraphe comme Paul Becker. C’est juste fascinant, et c’est vrai que c’est un langage. Paul Becker et Kevin Lee [les chorégraphes de finger-tutting, ndlr] ont beaucoup travaillé avec nous. Ils ont fait un super travail, en particulier entre la première et la deuxième saison. Ils essayent vraiment de raconter une histoire à travers ces gestes. Donc en saison 2, quand on est à Fillory, les mouvements deviennent plus lyriques et plus grandioses parce qu’on est dans le lieu où est née la magie. Et travailler avec des gens qui imaginent tant de détails avec tant de profondeur, en tant qu’artiste, c’est vraiment fun.
Mais Penny s’étant fait couper les deux mains en saison 1, vous étiez un peu limité !
Arjun Gupta⎜[Rires.] Oui, c’est moi qui ai fait le moins de tutting en général ! C’était super drôle en fait. Dans la première saison, à l’épisode 2 je crois, [s’adressant à Olivia] tu commences à t’attaquer aux papillons de la Bête, Quentin fait son truc de son côté, Kady balance un sort et moi… je prends une chaise et je l’envoie valser contre un miroir. Et ensuite, Mike essaye de tuer Quentin, et lui, il réplique avec un sort, j’arrive et je lui fous un coup de poing. C’était toujours si marrant de voir que Penny n’utilisait pas le tuning pour s’en sortir. Et après, j’ai perdu mes mains ! Et quand je les ai récupérées, elles ne pouvaient plus faire de magie. Donc oui, c’était un parcours chaotique !
“Je me suis sentie perdue comme Alice”
À propos de parcours chaotique, quel a été votre plus grand challenge pour cette saison 3 ?
Arjun Gupta⎜Faire en sorte que ça reste crédible. Il y a tant de gens qui luttent contre le cancer ou des situations de vie ou de mort [dans cette saison, Penny est atteint d’une maladie incurable, ndlr], et on prend très à cœur le fait de représenter et honorer ces histoires. Nos personnages vivent tellement de choses, parfois extravagantes, que ce serait facile de glisser vers quelque chose de ridicule si ça tombait entre les mains d’autres scénaristes. C’est un challenge, et je ne dis pas ça de façon péjorative. C’est une opportunité de bien faire les choses.
Olivia Taylor Dudley⎜Pour moi, cette saison était vraiment différente. Je ne sais pas comment l’expliquer mais je me suis sentie perdue comme mon personnage. Vous savez, on reçoit le script une semaine avant de filmer un épisode, on a peu de temps pour se préparer, et je ne savais pas où j’allais avec Alice. Ce n’est pas un problème que j’ai eu les précédentes saisons parce qu’on avait beaucoup eu le temps d’en parler, mais ici, ils m’ont un peu laissée dans le flou.
Donc je m’interrogeais beaucoup et je stressais de ne pas pouvoir me préparer autant que je le fais d’habitude. Avec Alice, je suis toujours surpréparée, parce que c’est aussi comme ça qu’elle fonctionne. Donc cette saison, il a fallu que j’apprenne à lâcher prise, et c’est aussi ce qu’elle apprend à faire. Donc oui, c’était plutôt intéressant.
Jusqu’à présent, les gros mots étaient amuïs dans la série. Mais dû à un changement de classification de la série (elle passe de TV-14 à TV-MA), ils sont désormais autorisés, à hauteur de 10 “fuck” maximum par épisodes. Bien sûr, ça ne change rien à votre façon de jouer puisqu’ils étaient retirés en postprod, mais qu’est-ce que cette nouvelle liberté vous inspire ?
Olivia Taylor Dudley⎜Honnêtement, ce n’est pas quelque chose auquel je pense. Ces personnages parlent comme ils devraient parler. Et je trouve ça génial, je n’ai aucun problème avec le langage de la série.
Arjun Gupta⎜Je suis contre la censure, point barre. Les gens sont adultes, ils peuvent prendre leurs propres décisions. Je crois que ce ne sont pas aux institutions de prendre des décisions pour qui que ce soit. Donc, pour moi, soit ils auraient dû nous dire avant qu’il ne fallait pas jurer, soit ils laissaient couler. Je reconnais du mérite à Syfy pour avoir réglé ce problème parce qu’on est quand même en 2018.
Je ne savais même pas pour les 10 “fuck” autorisés avant que vous ne m’en parliez, je trouve ça débile. Donc en gros, on entendait “f***ck” ou “*uck”… Mais what the fuck ?! Vous savez, il y avait cette série anglaise, Misfits et j’aimais tellement cette série, pour ces raisons justement : elle ne s’excusait pas d’exister, c’était une plongée dans la vie de jeunes vingtenaires. Et on peut ne pas aimer ça, mais c’est un reflet de la réalité.
Si vous n’aviez pas joué respectivement Alice et Penny, quel autre personnage auriez-vous aimé interpréter ?
Arjun Gupta⎜En fait j’ai auditionné pour le rôle d’Eliot.
Olivia Taylor Dudley⎜Et moi pour celui de Julia.
Arjun Gupta⎜Vraiment ? Je l’ignorais. Et fort heureusement, j’ai fini par auditionner pour jouer Penny parce que je crois qu’on n’aurait jamais pu trouver mieux que Hale Appleman pour jouer Eliot, il est formidable. Mais ça aurait pu être fun à faire. Je crois que c’est un personnage profondément complexe, j’aurais adoré le jouer.
Olivia Taylor Dudley⎜J’ai auditionné pour Julia mais je voulais le rôle d’Alice, donc au bout de cinq minutes, on a décidé de changer. Je comprends immédiatement Alice. En fait, si j’avais dû jouer quelqu’un d’autre – hum, Quentin est tout aussi énervant qu’elle – probablement Eliot. Oui, je trouve qu’il est drôle et puissant.
Arjun Gupta⎜Oh, si on a le droit de changer de genre, je choisirai Margo, sans hésiter ! Ça serait tellement fun à jouer. Il y a une scène, lors du premier épisode de la saison 3, entre Margo et Eliot, qui est l’une des plus drôles que j’ai vues.
Quand ils sont dans les bois et parlent en langage codé à base de références à la pop culture !
Arjun Gupta⎜Oh mon Dieu oui, c’était génial ! Et cette nuance, cette subtilité avec lesquelles ils jouent, c’était une magnifique performance.
“En grandissant, je ne voyais pas beaucoup de gens comme moi représentés à l’écran”
Le genre fantastique, c’est généralement le terrain de jeu des hommes blancs hétéros, Game of Thrones étant un exemple parmi d’autres, mais The Magicians met en avant une grande diversité avec des femmes puissantes, différentes ethnicités ou sexualités, tout en évitant soigneusement les stéréotypes. J’aimerais connaître votre sentiment à ce sujet. Et étant une femme, et un homme d’origine indienne, vous êtes-vous senti·e limité·e ou discriminé·e dans les rôles qu’on vous attribuait jusqu’ici ?
Arjun Gupta⎜Nous sommes à un moment d’exploration de la diversité, et ça engage une conversation vraiment passionnante, pas seulement dans notre industrie mais partout, spécifiquement aux États-Unis mais avec un peu de chance, également dans le reste du monde. C’est excitant d’appartenir à une série qui croit en ça et le traduit à l’écran. Et je crois qu’ils ont conscience de leurs progrès sur la question. Entre la saison 1 et la saison 2, il y a une grande différence en termes de diversité, et je trouve ça super.
Cette saison, même en coulisses, on a ajouté quatre réalisatrices, dont deux femmes de couleur, ce qui est formidable. C’est une conversation importante à avoir, parce que les représentations sont importantes. J’ai grandi en Floride dans les années 1980 et 1990, et je ne voyais pas beaucoup de gens comme moi représentés à l’écran. Le fait d’être aujourd’hui un vecteur de cette représentation, c’est formidable. Et ce qui est excitant, c’est qu’en cette période de #MeToo et d’empowerment des femmes… Olivia, tu veux réagir à ça ?
Olivia Taylor Dudley⎜C’est effectivement une période très excitante mais aussi effrayante. Je ne sais pas comment ça se passe en France, mais aux États-Unis, tout le monde en parle. Et je suis si fière de participer à une série qui représente les femmes de façon si réaliste, elles ne sont pas réduites à être toujours jolies. Certaines personnes peuvent juger ce que fait Julia, mais la vérité c’est que c’est exactement ce que cette pauvre fille ferait dans une telle situation, et je trouve que Stella [Maeve, l’interprète de Julia, ndlr] fait un travail merveilleux sur ce personnage. Et moi, j’ai la chance de jouer cette femme si intelligente qui fait des erreurs.
Je trouve fabuleux que l’on puisse explorer les histoires de ces femmes de façon très réaliste, et pas juste sous l’aspect léger et magique. Et les conséquences sont très réelles aussi. Julia doit vivre avec le traumatisme de son agression sexuelle, et ça n’est pas quelque chose qui a été balayé sous le tapis en quelques épisodes, même si les gens ne voulaient pas revoir la scène encore et encore [la scène de viol de Julia apparaissait régulièrement dans les “Previously on”, provoquant la colère de certain·e·s fans, ndlr]. Mais c’est comme ça qu’elle le vit et ça ne s’en ira jamais. Nos scénaristes ont fait un merveilleux travail en écrivant ces histoires de femmes, des femmes puissantes. J’en suis vraiment très fière. On a tant de femmes dans notre équipe. On a même battu un record, quand on filmait au Canada, sur le nombre de femmes engagées derrière la caméra.
“Tout art est politique”
Arjun Gupta⎜Je voudrais ajouter un truc au sujet de la diversité : on parle aussi de maladies mentales. Aux États-Unis, on a un peu dépassé le tabou qui les entoure, mais d’où je viens, en Inde, c’est encore un grand tabou de chercher de l’aide quand on souffre de maladie mentale. J’ai été en thérapie pendant des années, pourtant je ne souffre d’aucun traumatisme, je n’ai pas de diagnostic, mais ça a changé ma vie. Tout ce qui peut briser ces tabous est hyper important. Non, ce n’est pas juste important, c’est putain de nécessaire ! Mon point de vue, c’est que tout art est politique. Et la politique derrière cette série est importante. Parvenir à rassembler tout ça dans une série qui est fun à regarder… chapeau bas à John, Sera et nos scénaristes !
Olivia Taylor Dudley⎜C’est très courageux, et le fantastique est un genre tellement parfait pour raconter ces histoires et faire en sorte que les gens les absorbent, sans pour autant que ce soit trop lourd tout le temps. On se permet de raconter des histoires très réelles que beaucoup de séries n’aborderaient pas.
Arjun Gupta⎜Oui, c’est intéressant que tu parles du genre fantastique parce que Rick Worthy [qui joue le Doyen Fogg, ndlr] était dans Star Trek, ça fait trente ans qu’il fait ce métier. C’est génial de pouvoir traîner avec des gens qui ont autant d’expérience. Il me racontait que le premier baiser interracial à la télé était dans Star Trek [un fait contesté, mais le baiser du Capitaine Kirk et Uhura, en 1968, est effectivement l’un des premiers, ndlr]. Il semble que le fantastique soit le lieu où l’on repousse les limites. Et ça a du sens, parce que l’on rêve tous [le mot “fantasy” peut être traduit par “fantastique” mais aussi “imagination” et “rêve”, ndlr] d’un monde où chacun est sympa avec son prochain. Avec un peu de chance, on se dirige plutôt vers ce rêve.
Et pourtant, la série fantastique la plus connue du moment, Game of Thrones, ne peut s’empêcher d’objectifier les femmes, de leur faire subir des viols. Bien que ce ne soit plus le cas dans les dernières saisons, elle a basé leur progression là-dessus. Et en termes de diversité, c’est un peu le néant…
Arjun Gupta⎜Ouais, clairement, il n’y a pas de diversité dans cette série. C’est difficile de vous contredire [rires].
C’est une bonne série, mais elle pourrait faire mieux !
Arjun Gupta⎜C’est le cas de beaucoup de séries ! Shonda Rhimes, que je considère comme un modèle, a une phrase merveilleuse pour ça : “Je ne diversifie pas la télévision, je la normalise”. Elle la façonne à l’image de notre monde. On a tous des progrès à faire. Mais vous savez, il y a de l’argent en jeu. Et quand il y a de l’argent en jeu, ça devient le bordel et ça complique les choses. Je crois que trois des plus gros films au box-office cette année étaient menés par des femmes… et Black Panther est énorme.
Il y a ce vieux mythe selon lequel, parce que les États-Unis sont composés à 70 % de Blancs, ils ne voudraient voir que des histoires centrées sur des Blancs. Je crois que le capitalisme réduit les gens à leur plus vil dénominateur commun. Et on continue de travailler pour dépasser ça. Avec un peu de chance, on se dirige vers un changement, vers quelque chose de meilleur. Et si on y participe à notre petite échelle avec The Magicians, c’est un honneur.
La saison 3 de The Magicians est diffusée chaque mardi soir, dès 20 h 55, sur Syfy France.