Les voies de Jacob sont impénétrables pour les mauvais candidats.
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Véritable voyage métaphysique, onirique et humaniste, Lost a marqué toute une génération de sériephiles au milieu des années 2000. La série de Damon Lindelof, J.J. Abrams et Jeffrey Lieber a relancé la mode du high concept à son époque, elle-même héritière d’un genre exploité dès la fin des sixties avec Le Prisonnier. Forcément, elle a eu un impact sur la pop culture et le paysage télévisuel et a influencé nombre de showrunners, scénaristes et producteurs américains qui n’ont eu de cesse de confirmer la véracité du slogan publicitaire “toujours copié, jamais égalé”.
Les séries high concept façon Lost représentent un enjeu majeur pour les chaînes, mais restent très casse-gueule. Pourtant, nombreux sont les networks à avoir essayé de reproduire l’engouement pour Jack et ses compagnons, avant d’être vite rattrapés par des audiences décevantes et des critiques assassines. En septembre 2018, c’est NBC qui reprendra le flambeau avec Manifest, sorte de Lost inversé où les passagers d’un vol atterrissent cinq ans dans le futur après de violentes turbulences et l’impression de n’avoir passé que quelques heures dans le ciel.
En attendant de savoir si ce nouveau drama à mystère réussit le test de Jacob, revenons avec nostalgie, humour, incompréhension ou colère sur les indignes héritiers de la série culte d’ABC qui ont pullulé sur le petit écran ces dernières années.
Flashforward (2009)
Alors que les survivants du vol 815 se lançaient dans la dernière bataille contre la Fumée noire, ABC était en PLS. Plus sérieusement, la chaîne avait une grosse pression sur ses épaules afin de trouver rapidement un successeur à Lost pour conserver son public. La réponse tient en un mot, dont la référence au show de Lindelof et ses manipulations temporelles est évidente : Flashforward.
Diffusée en 2009, cette production signée par les scénaristes Brannon Braga (Star Trek) et David S. Goyer (la trilogie du Dark Knight de Christopher Nolan) avait tout pour assurer la relève. Premièrement, un pitch alléchant et énigmatique: lors d’un black-out mondial de 2 minutes et 17 secondes, chaque citoyen voit un bref aperçu de son futur. On suit alors les réactions de plusieurs groupes de personnages (série chorale oblige) face à ce phénomène inexplicable, tandis qu’une conspiration se met en place, dont les membres seraient les instigateurs de la catastrophe.
Flashforward cochait également la case des acteurs de Lost, avec le retour de Dominic Monaghan (Charlie) et Sonya Walger (Penny). Malheureusement, et comme de nombreuses séries dites high concept, les scénaristes ne parviendront pas à rendre leurs personnages aussi attachants que les survivants du vol 815. Avec des audiences catastrophiques, Flashforward sera annulée la même année que sa diffusion, malgré un concept fort et une production de bon calibre.
The Event (2010)
L’année de la dernière diffusion de Lost, c’est le plus vieux network américain, NBC, qui tente sa chance avec une certaine The Event. Après une importante campagne de promotion (la série était parvenue jusque chez nous via Canal+, qui l’avait vendue comme un mélange entre Lost et… 24 heures chrono), on découvre l’histoire de Thomas et ses camarades, des aliens qui se sont crashés sur Terre au cours de la Seconde Guerre mondiale. S’il parvient à s’enfuir avec des membres de sa communauté, qui se cacheront parmi les humains, les autres survivants sont capturés puis étudiés dans le plus grand secret par le gouvernement.
Là encore, The Event propose les bases du show high concept : une intrigue à puzzle, une série chorale, de l’action et beaucoup (trop) d’émotions. Toutefois, celle-ci arrive bien trop tard et se révèle être le 4400 du pauvre, diffusée quelques années plus tôt. Après des débuts encourageants à plus de dix millions de téléspectateurs, les audiences vont rapidement sombrer et l’événement annoncé mourra dans l’œuf sans trop de regrets.
Terra Nova (2011)
Les années passent et les échecs sériels se ressemblent. Peu inquiète des ratés successifs d’ABC et NBC pour trouver un digne héritier à Lost, la Fox décide de s’y coller en 2011. Son Terra Nova est probablement l’un des plus gros gâchis de l’époque. D’abord, parce que le pilote aurait coûté 20 millions de dollars à produire et ensuite parce que Steven Spielberg était sur le banc des producteurs. Mais l’argent ne fait pas toujours le bonheur, encore moins celui des téléspectateurs dans le cas de Terra Nova.
L’histoire de la famille Shannon est assez alléchante au départ. Sorte de Perdus dans l’espace à l’époque du Crétacé, Terra Nova part d’un pitch post-apocalytique et vire vers la SF pure et dure lorsque les personnages traversent un portail spatio-temporel pour voyager à l’ère des dinosaures. Entre les dents acérées des vélociraptors et le groupe de colons dissidents, Jim et sa famille partaient pour une aventure extraordinaire et séduisante sur le papier.
La réalité fut tout autre. Kelly Marcel et Craig Silverstein, les créateurs de la série, ont tout bonnement oublié de travailler leurs personnages. Creux et peu intéressants, ces derniers sont la preuve qu’un concept fort, un budget solide et une célébrité du septième art ne suffisent pas à créer l’engouement. Terra Nova a très rapidement vu ses audiences dégringoler, si bien que la chaîne l’annulera en cours de route (pour l’anecdote, Netflix avait failli la sauver mais n’a jamais obtenu les droits de la part de la 20th Century Fox).
Alcatraz (2012)
En 2012, on a bien cru tenir le saint Graal chez la Fox, qui a continué d’y croire malgré le ratage Terra Nova. Sur le papier, les arguments sont indiscutables et prometteurs : le retour du compositeur Michael Giacchino, de l’attachant Jorge “Hurley” Garcia en tête d’affiche et surtout de J.J. Abrams à la production, qui assurait la pérennité du high concept depuis 2008 grâce à Fringe. Tristement, le mélange de tous ces ingrédients n’a donné qu’un plat fade et sans âme annulé au bout d’une saison : Alcatraz.
Comme son nom l’indique, la série se déroule dans la célèbre prison située sur un îlot de la baie de San Francisco. Un lieu entouré de mystère et d’effroi dont les scénaristes Elizabeth Sarnoff (ancienne productrice de Lost), Steven Lilien et Bryan Wynbrandts ont flairé le potentiel. On retrouve l’utilisation des flash-back lostiens à travers une double temporalité : celle de 1963, où les gardiens et les détenus d’Alcatraz ont disparu dans des circonstances incompréhensibles, et celle de 2012, où ils ont réapparu sans vieillir et sans se rappeler du moindre détail.
Cette fausse intrigue policière saupoudrée d’énigmes ne cachera finalement qu’une série très lente à se mettre en place et profondément ennuyeuse. Si là encore Alcatraz démarrera sur les chapeaux de roues côté audiences, elle perdra en quelques épisodes tout son public, qui s’amusait surtout à forcer l’entrée de la véritable prison pour se faire peur. Si même J.J. ne parvient pas à réveiller les vibes de Lost, on peut être sûr que la magie restera à jamais enfermée sur l’île de Jacob. Même si ça n’empêchera pas les projets foireux de s’enchaîner…
The Crossing (2018)
Après le plantage d’Alcatraz, les séries high concept avaient quasiment déserté le petit écran (inutile de mentionner 666 Park Avenue, Revolution ou encore Under the Dome). Il a fallu attendre plusieurs années avant de voir des scénaristes et des diffuseurs courageux tenter leur chance à leur tour, dont les chaînes câblées (HBO avec Westworld) et les nouveaux acteurs du marché (Netflix avec Dark). Les chaînes publiques américaines ont alors voulu prendre ce virage nostalgique, à commencer par ABC qui a débarqué avec une proposition toute fraîche en début d’année : The Crossing.
La série (portée par une campagne publicitaire de bourrin, à grands coups de panneaux où s’affichait “par les producteurs de Lost“ en guise de teaser) raconte l’histoire d’un naufrage de 47 survivants d’une guerre futuriste. Ces derniers ont tenté de fuir leur réalité pour empêcher les événements tragiques qui se dérouleront dans 180 ans. Le mystère s’épaissit lorsqu’on comprend que plusieurs “immigrants” venus du futur se sont infiltrés dans la société d’aujourd’hui avant cette nouvelle vague d’arrivée, dont certains sont dotés de puissants pouvoirs.
On espérait un show haletant qui mélangerait Lost à Heroes, avec un sous-texte pertinent sur la crise migratoire qui secoue notre époque. Il faudra se contenter d’une histoire peu inspirée, d’une prod fauchée et de personnages pas attachants pour un sou. La série multiplie les références à peine dissimulée à Lost (un groupuscule façon Dharma, le rapport à l’eau, des personnages archétypaux) sans jamais atteindre son pouvoir de séduction. L’affaire The Crossing a été classée sans suite au bout de onze petits épisodes (et c’était déjà trop).
Manifest, un nouvel espoir ?
La rentrée sérielle 2018 sera marquée par une énième tentative de retour du high concept. C’est à nouveau NBC qui s’y colle avec Manifest et un pitch essentiellement lostien qui débute dans… un avion. Les 191 passagers du vol 828 sont surpris par de violentes turbulences au cours de leur traversée. S’ils évitent le crash, ils découvrent avec horreur que cinq ans ont passé lorsqu’ils atterrissent. Leurs proches ont pour la plupart fait leur deuil et commencé une nouvelle vie, obligeant les survivants à s’adapter et comprendre ce qui a causé ce saut dans le temps inexplicable.
Comme les candidats précédents, Manifest a des arguments prometteurs. Robert Zemeckis est à la production, le trailer semble indiquer qu’un soin particulier a été accordé aux personnages qui seront incarnés par des têtes connues des networks (Josh Dallas, Melissa Roxburgh, J.R. Ramirez…). On est plus inquiet par le pathos qui ressort de la bande-annonce, qui n’aura peut-être pas la subtilité d’un This Is Us pour éviter de tomber dans le ridicule. Le décollage est fixé au 24 septembre prochain outre-Atlantique.