Lassés des combats fades et mal foutus d’Arrow et Marvel’s Iron Fist ? Alors vous avez vraiment besoin de faire la rencontre de Sunny et des Badlands.
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Ah, les shows où ça bastonne sévère, lieux de villégiature privilégiés des sériephiles en manque d’action ou fatigués de passer leur temps à pleurer devant The Leftovers. Dans une ère de Peak TV qui multiplie les projets aux thématiques graves et pesantes (13 Reasons Why et The Handmaid’s Tale en tête), il est parfois bon de reposer son cerveau, de se demander qui sera le prochain personnage à avoir un bras pété plutôt que d’imaginer le pire sur la prochaine cassette d’Hannah. Et dans les meilleurs cas, les séries musclées parviennent à réunir ces deux aspects, même en favorisant l’action.
Côté spectaculaire, difficile de faire mieux sur le petit écran que The Walking Dead et Game of Thrones, avec leurs budgets pharaoniques et les attentes exponentielles des fans. Pourtant, au milieu de ces mastodontes, une série discrète de AMC se défend du mieux possible malgré une vie passée dans l’ombre du show zombiesque. Aux États-Unis, Into the Badlands est diffusée juste après The Walking Dead sur la chaîne câblée et ce créneau tardif se justifie par les scènes d’action gores et violentes présentes dans l’œuvre. Avant de pénétrer dans les Badlands, il vaut mieux vous prévenir : on n’est pas là pour enfiler des perles ou savoir qui a tué Jason Blossom entre deux crêpages de chignons de pom-pom girls.
À première vue, on pourrait imaginer qu’Into the Badlands est une énième adaptation de manga ou de comics. Ce serait sous-estimer la force créative d’Alfred Gough et Miles Millar, le duo de scénaristes derrière… Smalville ! Les deux hommes sont passés d’un show de super-héros édulcoré retraçant la jeunesse de Superman à un monde post-apocalyptique de sauvages. Pour ce faire, le tandem s’est entouré du vétéran en arts martiaux Ku Huen-Chiu, chorégraphe sur des films d’arts martiaux tels que Tigre et Dragon, ainsi que du réalisateur hongkongais Stephen Fung, un grand pote de Jackie Chan.
Déterminés à exploiter le genre du cinéma d’arts martiaux sur la petite lucarne, bien en peine depuis les années 1970 et le show Kung Fu porté par feu David Carradine, Alfred Gough et Miles Millar ont finalement donné naissance à Into the Badlands en 2015. “Honnêtement, je trouvais Kung Fu plutôt ennuyeuse, expliquait Alfred Gough au New York Times lors de la saison initiale. Il n’y avait pas assez de combats dedans. Et un jour j’ai réalisé ‘oh, mon dieu’, c’est un mec blanc qui se bat.” Pour rectifier cette incohérence, les deux hommes optent pour l’acteur et producteur Daniel Wu (vu dans Warcraft), qui compte plus de 60 films d’arts martiaux à son actif.
Wu let the dogs out
Comme pour The Walking Dead à l’époque, AMC laisse au duo de scénaristes un petit slot de six épisodes pour tester le potentiel de la série. Le synopsis dévoilé est pourtant des plus alléchants : après une succession de catastrophes, autant naturelles que nées de la main de l’homme, la civilisation a été anéantie. Sans électricité, sans ressources et sans main-d’œuvre, les métropoles du monde sont tombées en ruines. Les survivants sont retournés travailler dans les champs alors que le monde est entré dans une période chaotique de régression. Plus ou moins 500 ans plus tard, six hommes portant le titre de “baron” contrôlent les Badlands, une région du monde où une société féodale évoluée tente de survivre et de gérer ses ressources.
Sunny (Daniel Wu) est un clipper, c’est-à-dire un guerrier surentraîné et transformé en une véritable machine à tuer. Sur son dos, il affiche plus de 400 tatouages, un pour chacune de ses victimes. Sunny obéit au doigt et à l’œil de son baron Quinn (Marton Csokas, The Equalizer), auquel il a juré allégeance et protection pour le reste de sa vie. Mais les décisions de plus en plus inhumaines et radicales de Quinn, atteint d’une tumeur au cerveau, vont pousser Sunny à se rebeller contre son maître. Et autour d’eux, les autres barons et Ryder, le fils de Quinn, vont fomenter un coup d’état pour le renverser devant son abus d’autorité et d’arrogance.
Ce jeu des chaises musicales politiques n’est pas sans rappeler la bataille pour le trône de Fer de Westeros. Dans Into the Badlands, il y a des dizaines et des dizaines de factions et de territoires différents. Un univers qui ne demande qu’à être exploité et étendu. Heureusement pour les fans et les créateurs, la première saison attira en moyenne 2 millions de spectateurs. Une audience suffisante pour convaincre AMC d’offrir une saison 2 rallongée de quatre épisodes à la série. Il y a de l’amour, des trahisons, une cité mystique et même de la magie qui surviennent dans les Badlands. Un peu comme si le show de AMC marquait la rencontre entre Game of Thrones et l’univers “punk féodal” créé par George Miller avec Mad Max.
Bien entendu, tout ce beau monde se fait la guerre jour après jour. Dans Into the Badlands, la violence est débridée et souvent gore. Les têtes volent, les membres sont tranchés à coups de sabre, des shurikens s’enfoncent profondément dans le crâne de leur cible… Le sang coule à la manière des films de Tarantino et Rodriguez sans jamais trop en faire. Car derrière ce déluge d’hémoglobine se cache paradoxalement une certaine forme de grâce à travers les chorégraphies des combats. Les scènes de violence sont très esthétiques et ingénieuses. En saison 2, M.K. (Aramis Knight) et Sunny affrontent des ninjas sous la poussière neigeuse d’une vieille cabane, tandis que dans le season premiere le clipper doit se débarrasser de mercenaires alors que ses bras sont menottés à une planche de bois.
Dans Into the Badlands, Sunny et les clippers sont capables de marcher sur les murs, d’étirer leurs jambes pour réaliser des coups de pied en crochet circulaire imparables et prennent des poses animales avant d’engager la baston. Cette esthétique aérienne évoque les films asiatiques d’arts martiaux hyper stylisés qu’Ang Lee a démocratisé au début des années 2000 avec Tigre et Dragon. Autour de cette lutte féroce entre barons, on découvre peu à peu qu’une magie de l’ancien temps est maîtrisée par certains guerriers de ce monde en perdition. Un aspect onirique qui finit de nous convaincre de mater la série.
L’histoire d’Into the Badlands est riche et propose un univers déjanté bien servi par des combats exceptionnels pour le petit écran. Avec la saison 2, les créateurs continuent de creuser le passé de leurs personnages tout en introduisant de nouvelles têtes, comme le délirant mais badass Bajie, incarné par Nick Frost (Shaun of the Dead). En fin de compte, on s’accroche facilement à cette intrigue rocambolesque par moment, mais terriblement captivante, sans avoir besoin de relire l’intégrale de Nietzsche ou de fouiller les abysses de Reddit pour comprendre quelque chose.
Des femmes littéralement fatales
Into the Badlands n’a pas l’étoffe pour être qualifiée de série féministe, mais n’en a pas la volonté non plus. Les femmes ne sont pas aussi présentes que dans Big Little Lies et ne se posent pas des questions existentielles comme les Girls de Lena Dunham. En revanche, si vous trouviez Cersei, Dolores et Jessica Jones fortes, imprévisibles et indépendantes, c’est que vous n’avez pas encore rencontré la Widow (Emily Beecham, Ave, César !) et son jeune bras droit Tilda (Ally Ioannides).
À première vue, les Badlands sont clairement des régions évoluant dans une société patriarcale. On apprend d’ailleurs en saison 2 que parmi les sept barons, il n’y a qu’une seule femme. Mais Widow et Tilda, lasses de vivre sous le joug de ces tyrans polygames, vont former une armée et marcher sur les autres barons afin de renverser ce semblant de gouvernement mis en place. Les deux femmes se battent aussi bien, si ce n’est mieux, que la plupart des mecs et font souvent davantage couler de liquide rouge que Sunny.
À travers leurs victoires sanglantes, le duo prône une indépendance intergénérationelle. Tilda comprendra même son homosexualité en acceptant de s’ouvrir à Odessa après avoir souffert toute sa vie auprès des hommes. Si elles sont parfois radicales dans leurs intentions – la Widow apparaît plus souvent pour trancher des têtes que pour tenir un discours féministe – les femmes d’Into the Badlands sont les étendards d’une lutte quotidienne contre les stéréotypes de notre société. Elles font bouger les choses et ne se cantonnent pas au rôle de ménagère. C’est particulièrement intéressant et légitime dans le contexte de la série, où la civilisation se reconstruit sur un mode d’organisation féodal oppressif, comme si les femmes allaient réécrire l’histoire en s’élevant pour défendre leurs droits, faire entendre leur voix et s’émanciper de toute stigmatisation et inégalités de genre.
En saison 2, l’univers de la série continue de s’étendre et de nous faire voyager dans les recoins les plus sombres et insalubres des Badlands. En séparant leurs personnages et en multipliant leurs intrigues, Alfred Gough et Miles Millar ont pris des risques. Certains pans de l’intrigue, comme l’histoire de M.K., laissent à désirer tandis que la Widow continue de s’imposer comme le porte-étendard des peuples oppressés. Quoiqu’il en soit, ses intenses combats, sa narration ultrarythmée, ses personnages hauts en couleur et son univers fascinant font d’Into the Badlands une série bien trop sous-estimée, qui pâtit du grand nombre d’œuvres sorties ces dernières années. Mais une fois pris dans le vortex des Badlands, il est difficile d’en réchapper et de trouver meilleur divertissement sériel ailleurs.
En France, la saison 2 d’Into the Badlands reste inédite.