La saison 6 d’American Horror Story a encore bousculé les codes du genre avec brio, mais la performance artistique se fait parfois aux dépens du récit.
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American Horror Story continue de fasciner, de déranger, de provoquer… La série d’anthologie de Ryan Murphy et Brad Falchuk réussit le tour de force de susciter toujours autant d’excitation, même après six saisons à l’antenne. Leur secret : briser les codes narratifs et repartir à zéro chaque année.
Roanoke, la dernière histoire imaginée par ces esprits tordus, invente non seulement un nouveau conte terrifiant, mais déroge aussi aux règles les plus élémentaires du récit télévisuel. Méta, avec une structure à la Inception, elle brise le quatrième mur et multiplie les références aux précédentes saisons.
Mais l’exercice trouve aussi rapidement ses limites quand American Horror Story néglige l’essentiel : la construction dramatique et ses personnages. Retour sur une saison qui a brillé par son ingéniosité et son “discours dans le discours” mais n’a pas su nous raconter son histoire.
Une mise en abyme étourdissante
Sans doute qu’après six saisons, on devient immunisé face aux effets de manche de Murphy et Falchuk. Cette surenchère parfaitement gratuite, voire perverse, d’images choquantes sans plus de justification, c’est leur fonds de commerce. Il faut l’accepter ou passer son chemin. Le “torture porn” a ses adeptes, et le genre en dit probablement aussi long sur ceux qui le font que sur ceux qui s’en délectent derrière leur écran. American Horror Story est une échappatoire, une version édulcorée des snuff movies que l’on peut aimer sans honte. Tout est faux, alors ça va.
Quand le thème de cette saison a été révélé, on s’attendait donc à une histoire de hantise, comme seule American Horror Story sait les exploiter. Inspirée de légendes urbaines, avec un soupçon d’événements s’étant vraiment déroulés, le tout mixé dans un grand bol de références au genre horrifique. American Horror Story est un produit de la pop culture et elle s’adresse précisément à ceux qui ont été bercés par celle-ci.
Mais le véritable thème de Roanoke, ce n’est pas l’histoire de ce couple piégé dans une maison hantée et traqué par une terrifiante matriarche rescapée de la légendaire colonie perdue qui a donné son nom à cette saison. Ça, c’est sa toile de fond.
On comprend rapidement que l’on bascule dans autre chose, une histoire dans l’histoire. Des comédiens qui jouent presque mal (Sarah Paulson, affublée de lentilles de contact bleues, et Cuba Gooding Jr., dont on connaît les talents d’acteurs), témoignages face caméra, montage racoleur, générique fuyant (American Horror Story nous a habitués à des entrées en matière qui sont des œuvres à part entière)…
Nous voilà plongés dans une émission du type Phénomène paranormal qui fait son beurre sur les reconstitutions, plus ou moins arrangées, d’événements surnaturels. Ici, donc, l’histoire de Shelby et Matt, persécutés par des esprits malins et des bouseux du coin.
Tout le dispositif de cette saison 6 démontre une réelle fascination pour ce genre d’émissions, qui abusent souvent de ressorts plutôt cheap pour nous faire flipper. Le tout est parfaitement maîtrisé et, comme pour un oignon, on se met à peler les couches de Roanoke. Au départ, elles ne sont que deux : la réalité avec ses “vrais témoins” et la fiction avec ses “acteurs”.
Mais à mesure que l’on avance, le récit se complique et la structure en “poupées russes” devient un gimmick assez élaboré. C’est toujours la même histoire, mais les points de vue changent et offrent ainsi différents degrés de lecture.
À chaque nouvelle couche découverte, on s’enfonce un peu plus profond : la vraie histoire ; sa reconstitution ; la saison 2 de l’émission qui ramène les témoins d’origine et les acteurs sur les lieux et mêle le réel à la mise en scène ; les found footages qui témoignent ensuite du massacre de tous les participants et des équipes techniques ; l’émission sur le procès et la tentative de rédemption de Lee, interviewée par Lana Winters (une rescapée d’Asylum) ; le show des chasseurs de fantômes façon Ghost Hunters ; le live sur les réseaux sociaux du trio de fans de l’émission ; puis, enfin, les captations vidéo des officiers de police.
Ce tourbillon “d’histoire dans l’histoire dans l’histoire” ne tient la route que grâce à l’utilisation habile du found footage, ces images d’archives “récupérées” et tournées en caméra subjective. Les appareils de surveillance vidéo, téléphones (qui peuvent retransmettre en live sur les réseaux sociaux mais pas appeler les secours… ou un Uber !), caméras embarquées, selfie sticks, GoPro, poste de régie…
Les yeux sont partout. Le concept de cette saison, bien que surchargé (Murphy et Falchuk ne font décidément jamais dans la dentelle), est maîtrisé de bout en bout et le résultat est plutôt étourdissant.
Des personnages et un récit sacrifiés
Ryan Murphy et Brad Falchuk sont, et cela ne fait aucun doute, des techniciens des séries : ils expérimentent sans cesse, testent les limites de leur format, se réinventent… Mais sont-ils pour autant de bon conteurs d’histoire ? Rien n’est moins sûr. Et Roanoke ne passe pas l’épreuve du feu avec les honneurs.
La notion même de linéarité, de développement d’un scénario semble leur échapper. À force de n’obéir à aucune règle, American Horror Story met en péril la structure même de ses saisons, et c’est la cohérence qui passe à la poubelle. L’histoire ne sert pas les personnages, ce sont les personnages qui réagissent en fonction des horreurs auxquelles on les soumet.
Pire, la mise en abyme si subtilement tissée s’ébranle quand la version de Shelby interprétée par Sarah Paulson, une actrice dont on ne cessera pourtant jamais de vanter les talents, devient comique à ses dépens. Dans le rôle de la comédienne surcotée, à l’accent british trop prononcé pour être honnête, cette Shelby-là provoque plus le rire que l’empathie.
De toute façon, American Horror Story traite ses personnages comme des pions dans un jeu de massacre : l’ordre des victimes importe peu, pourvu que ça saigne et que ça braille. À la fin, quand il n’en reste plus qu’une, il faut bien lui trouver rapidement une raison de se battre pour durer quelques épisodes de plus. Contre toute attente, il s’agit de Lee, l’originale, jouée par Adina Porter, dont l’importance à l’écran a été engloutie par l’accumulation de jump scares.
Lee est autant l’héroïne, la victime, qu’un monstre créé par la téléréalité — ce que nous disait déjà le personnage de Kathy Bates, la fausse Bouchère devenue vraie psychopathe. Aussi ronflante soit sa démonstration, la critique d’une industrie qui fabrique et détruit ainsi que d’une société qui pervertit et nous pose en voyeur, n’est clairement pas la priorité. Ce début de propos, bien qu’intéressant (et en dépit du fait que Black Mirror soit imbattable sur le sujet), est relativement bâclé.
D’un point de vue purement dramatique, donc, la débauche d’idées et de scènes choc parvient à peine à colmater les trous. La série ne fait pas plus d’efforts pour nous faire croire à son histoire et à rendre ses personnages crédibles quand elle balaye d’un revers de main les raisons qui les font rester dans la maison, s’aventurer en forêt ou retourner à la cabane après une nuit de tortures. La peur et le malaise d’abord, l’histoire vient se greffer après.
Le fait est que la série, depuis ses débuts, s’est toujours beaucoup plus reposée sur son côté spectaculaire, avec ses scènes transgressives et méta, que sur sa construction dramatique. C’est ainsi, une scène bien gore où un jeune homme est violé par un monstre portant un gode-ceinture fait beaucoup plus parler que la trajectoire émotionnelle de ce personnage.
Cette saison résume assez bien cette confusion générale. Les teasers, qui tenaient là encore davantage de la performance visuelle, en étaient des signes avant-coureurs. Indépendamment de la série, ces bandes-annonces sont de petits chefs-d’œuvre, mais elles sont aussi la preuve que les scénaristes d’American Horror Story ne s’imposent aucune contrainte, et, tout en nous faisant croire qu’ils prennent des risques en allant toujours plus loin, en réalité, ils ne se ferment aucune porte pour la suite. Courageux, mais pas téméraires.