Le créateur de Borgen nous propose un drama familial sur fond de religion.
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© Tine Harden
C’était l’une des sensations du Festival Séries Mania de 2017, où elle avait été diffusée en avant-première, en présence de son créateur. Ce jeudi 28 novembre, Arte lance la diffusion de Ride Upon a Storm, rebaptisée judicieusement (on perd en poésie mais on gagne en pertinence) Au nom du Père, nouvelle série du prolifique Adam Price (Borgen), qui planche actuellement pour Netflix sur un teen drama fantastique à base de dieux nordiques. Le scénariste très demandé s’attaque ici à un milieu religieux qui le fascinait mais qu’il ne connaissait pas vraiment.
La série suit la trajectoire d’une famille de pasteurs de pères en fils depuis 250 ans, menée par le patriarche Johannes Krogh, incarné par un Lars Mikkelsen habité, qui vient de remporter l’International Emmy Award 2018 du meilleur acteur pour son rôle, et en est venu à se faire baptiser entre les saisons 1 et 2. Ce personnage de père abusif, à la personnalité changeante, mi-ombrageux et violent, mi-charismatique et enveloppant, s’inscrit sans peine dans la longue lignée des antihéros qui ont trusté le monde des séries pendant une décennie, de Tony Soprano à Walter White, en passant par Dexter ou Don Draper.
“Nos imaginaires voient le prêtre comme une figure honorable, qui vit une existence respectable et opte pour des choix moralement justes. Le personnage de Lars Mikkelsen est un excellent prêtre, c’est évident, mais il se démène aussi constamment avec ses démons intérieurs. C’est cette souffrance qui le rend intéressant. […] Il veut être un grand prêtre, sécuriser la position de sa famille et être un bon mari, mais parfois, il se laisse dominer par ses démons. Il devient alors un père envahissant, un mari infidèle, un alcoolique, tout ce qui est mal. J’ai essayé de le rendre le plus multidimensionnel possible”, nous a confié Adam Price.
Mais plus encore que ses prédécesseures, Au nom du Père entérine le début de la fin du patriarcat. La série débute par la défaite cinglante de Johannes à l’élection qui devait faire de lui l’évêque de Copenhague. C’est sa principale concurrente, une femme qui entend gérer les affaires de l’Église comme une entreprise moderne, qui remporte le gros lot. Ce qui plonge notre homme dans un épisode maniaco-dépressif où se succèdent les nuits de beuverie et d’infidélités. Les temps ont changé par rapport à un Don Draper, qui malgré toutes ses failles, était un personnage qui restait somme toute assez sexy. Dans Au nom du Père, aucun des atours de la masculinité toxique dont est paré Johannes n’est glamourisé. Au contraire, son comportement autoritaire et violent l’empêche de trouver la paix intérieure et fait du mal à ses proches.
“C’est avant tout une histoire de famille qui dit à quel point il est difficile de ne pas détruire ses enfants. C’est quelque chose qui peut tous nous parler. En tant que parent, c’est tellement facile de traumatiser son enfant, en l’étouffant d’amour ou en plaçant sur lui de trop grandes attentes”, confirme Adam Price.
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Effectivement, tandis que le fils aîné, Christian (Simon Sears), va retrouver un sens à sa vie en s’éloignant de cette figure paternelle écrasante et en s’intéressant au bouddhisme, le fils cadet, August (bouleversant Morten Hee Andersen), sombre dans la dépression à force de vouloir plaire à tout prix à son géniteur, qui lui donne de très mauvais conseils. Le jeune homme revient traumatisé d’une mission d’aumônier militaire en Afghanistan. Au lieu de se rendre chez un psychiatre et de commencer à traiter ce qui est clairement un syndrome de stress post-traumatique, il écoute son père, qui pense que seule “la grâce de Dieu” peut le sauver et qu’il n’a besoin que de prières et de détermination pour s’en sortir. Dans une scène terrible, on découvre tout le pouvoir qu’exerce Johannes sur son fils : il le frappe puis le prend dans ses bras, avant de se lancer dans un discours de motivation qui ressemble à s’y méprendre à la version religieuse de “sois un homme mon fils”. Résultat des courses : August, perdu au milieu de toutes ces injonctions et sous l’emprise de son père, va mettre sa santé en danger.
Parmi les outils de l’attribut de la virilité traditionnelle, il y a aussi cette idée absurde que l’homme a plus de désir sexuel que la femme. Que c’est un coureur et qu’il faut laisser “l’animal” s’exprimer. L’infidélité masculine, tolérée voire glorifiée chez certains groupes d’hommes, est une façon surtout de mettre la femme au pas et de montrer que le mari la domine. Il s’autorise ce qu’il veut parce qu’il est libre.
Elisabeth Krogh, la femme de Johannes, concède ainsi à reculons à son mari le droit d’avoir des aventures, tant que cela reste loin de leur lieu de travail, qui, pas de chance, est aussi leur lieu de vie. Sauf que le prêtre rompt ce pacte, ce qui va obliger Elisabeth à réévaluer la nature et la profondeur de sa relation avec son mari. Implicitement, cet accord est censé valoir pour les deux : il serait peut-être temps pour elle d’en profiter ? Les chemins qu’elle prendra, tombant sous le charme d’une femme, sont résolument anti-conservateurs, anti-Johannes, que l’on entend dire après avoir écouté le prêche d’une femme, dont August loue la qualité : “Le style féministe indigné qui est à la mode en ce moment, ça me hérisse au plus haut point.”
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Johannes est cette figure conservatrice sur le déclin – il ne supporte ni les femmes ni les mosquées – dépassé par la société actuelle, qui devient d’autant plus dangereux pour ses proches qu’il est en train de réaliser sa perte d’influence. Les dernières personnes sur lesquelles il peut exercer sa domination, comme son jeune fils August, sont alors dans sa ligne de mire. Les infidélités du prêtre vont également le mettre dans une position compliquée vis-à-vis de son ancienne amante, première à pâtir de cette histoire puisqu’elle y perd son travail. Vous avez dit injuste ? Oui, ça l’est, et la série le montre très bien.
Si, parfois, Johannes se comporte comme un mafieux, le fait que la série se déroule dans un monde religieux, qui repose sur des valeurs d’amour, de communication et de compréhension, nous donne aussi à voir des hommes qui expriment leur sensibilité, se prennent dans les bras et se racontent leurs problèmes. Une vision pour le coup positive de la masculinité, et pleine d’espoir. Quelque chose de bon à retenir dans les religions. C’est d’ailleurs quand ils répriment leurs émotions que ces hommes perdent pied et deviennent particulièrement autodestructeurs.
Au-delà de l’exploration intéressante d’un patriarcat en feu, Adam Price interroge aussi avec force intensité notre rapport à la foi. “Nous sommes persuadés de vivre dans des sociétés laïques, que ce soit la France ou mon pays, le Danemark. C’est la croyance dans de nombreux pays d’Europe de l’Ouest. Et pourtant, la religion intervient dans nos vies de mille façons différentes, dans nos vies publiques comme personnelles. […] Ce dilemme est au cœur de ma série. Parce qu’on recherche malgré tout une forme de sens au-delà de nos existences, et de ce que la science peut expliquer.”
Et comme toutes les très bonnes séries sur la spiritualité et la crise de foi, Au nom du Père pose des questions et nous donne des pistes de réflexion, mais c’est à chacun de trouver ses propres réponses.
La première saison d’Au nom du Père est diffusée tous les jeudis sur Arte à compter du 29 novembre, et dispo en intégralité sur arte.tv jusqu’au 29 décembre.