Le Centre Pompidou organise une rétrospective dédiée à l’œuvre de Walker Evans. Retour sur un mythe de la photographie américaine.
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Comment retracer la carrière de Walker Evans sans parler de sa fascination pour la culture vernaculaire ? Si le terme peut sembler barbare, il désigne simplement aux États-Unis “les formes d’expression populaires utilisées par les gens ordinaire à des fins utilitaires“, comme l’explique le Centre Pompidou. C’est-à-dire, les toutes petites choses, qui nous servent à tous et qui remplissent notre quotidien : de l’affiche publicitaire au ticket de caisse, en passant par nos routes, ou encore notre manière de parler. Tout ce qui n’est pas de l’art et qui concerne notre vie de tous les jours.
Walker Evans est fasciné par tous ces détails insignifiants qu’on ne remarque même plus : une affiche, un logo d’une compagnie de chemins de fer, des plaques émaillées, des objets publicitaires. Il collectionne tout d’une manière totalement obsessionnelle. Et lorsqu’il ne peut pas récupérer l’objet qu’il convoite, il le photographie : pour Evans, photographier ou collectionner, c’est finalement la même démarche.
La rencontre de Walker Evans avec le vernaculaire s’est faite à travers les maisons victoriennes, ces habitations à l’architecture typique du milieu du XIXe siècle, très répandues en raison des grandes ressources en bois des États-Unis. Peu solides, elles sont vouées à disparaître. Evans, séduit par le charme de ces habitations populaires, commence à les photographier pour, en quelque sorte, les sauver, pour garder leur image à tout jamais. L’artiste commence alors à photographier de manière compulsive, tout ce qu’il considère comme des banalités prévues pour ne pas durer. Il commence à immortaliser les baraques de bord de route, les textures, les objets, les affiches, la beauté des surfaces abîmée par le temps…
Une fascination pour les classes populaires
S’il est fasciné par tous les objets du quotidien, Walker Evans porte aussi un intérêt tout particulier aux classes populaires, sortes de “vernaculaire humain”. Il s’intéresse de près à la condition des ouvriers et aux travailleurs les plus modestes. Bien loin des strass et des paillettes, il préfère dresser le portrait des petites gens et ses photos des travailleurs sont extrêmement fortes. Contrairement à Cartier-Bresson, qui dans Image à la Sauvette avait pour ambition d’immortaliser l’instant, Walker Evans fait poser ses modèles : ils savent qu’ils sont photographiés et le regardent, droit dans l’objectif. Les travaux documentaires du photographe sont toujours abordés de manière très frontale, ses sujets communiquent par le langage corporel, mais aussi à travers leur regard.
L’un des portraits qui a marqué la carrière de Walker Evans, mais aussi l’histoire de la photographie, est la célèbre image d’Allie Mae Burroughs. En 1936, la Farm Security Administration a employé un certain nombre de photographes pour montrer et documenter les conditions de vie extrêmes des familles de métayers. Durant l’été, Evans va donc photographier plusieurs familles et passer trois semaines en Alabama avec les Burroughs. Il réalise le portrait puissant de cette femme (voir l’image ci-dessus), d’une très grande simplicité : il est tout bonnement face à elle, avec peu d’effets de cadrage ou de style. L’image pourrait presque nous évoquer celles réalisées dans un Photomaton, et pourtant, par la force qu’elle dégage, cette photographie est devenue une incarnation de la grande dépression, une sorte d’icône de la culture visuelle américaine.
Le vernaculaire comme méthode
L’exposition au Centre Pompidou nous montre les innombrables collections du photographe, notamment les nombreuses cartes postales qu’il s’amusait à rassembler – plus de 10 000 exemplaires au total, qu’il a méticuleusement triés en plusieurs catégories. Ces images nous montrent qu’au-delà d’avoir été un sujet et une véritable obsession, le vernaculaire est aussi devenu une méthode pour le photographe.
En effet, il ne se contente pas de photographier l’ordinaire, mais il photographie aussi de manière ordinaire. Lorsqu’il photographie un paysage, il le fait à la manière d’un photographe de carte postale, s’il doit immortaliser un objet, il le fera à la manière des pack-shots d’un catalogue. Lorsqu’il réalise un portrait, il s’inspire des Photomatons ou encore des photographes de mariage. Il n’essaie pas de produire des effets d’art et fait place à la plus grande neutralité possible pour laisser le sujet s’exprimer de lui-même.
Le vernaculaire n’est donc plus l’objet d’une collection, mais un prisme à travers lequel il voit le monde. L’artiste met ainsi en œuvre des procédés de la photographie non artistique tout en étant un véritable artiste : il fait de l’art en faisant semblant de ne pas en faire. Cette position presque duchampienne l’inscrit directement dans un courant de l’art conceptuel proche du pop art et fait de lui un artiste majeur du XXe siècle.
La rétrospective du Centre Pompidou retrace donc toute la carrière du photographe à travers 300 tirages, du début des années 1920 jusqu’aux Polaroids des années 1970. L’exposition nous embarque dans l’univers d’un photographe historique qui a bouleversé des générations d’artistes.
Walker Evans, retropective au Centre Pompidou du 26 avril au 14 août 2017.