“Il semblerait que Lydie [Bonfils] ait pris des portraits ainsi que des types, scènes et costumes, se positionnant ainsi comme la première [l’une des premières] femmes photographes de portraits à Beyrouth et en Orient”, écrit Yasmine Chemali dans son texte L’Obsession Bonfils publié dans le catalogue de l’exposition “La Fabrique des illusions” au Mucem.
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Dans l’exposition “La Fabrique des illusions” qui a lieu du 19 juillet au 29 septembre, les commissaires d’exposition Yasmine Chemali et François Cheval mettent en lien photographie et théâtre, et proposent “une autre entrée pour comprendre, non pas simplement l’histoire de la photographie, mais la mise en place de la société du spectacle”.
Maison Bonfils, “Femme du peuple en Égypte”, vers 1885-1895, tirage sur papier albuminé d’après négatif sur verre, 27 x 23 cm. (© Collection Fouad Debbas/Musée Sursock)
Ils confrontent ainsi les œuvres de dix artistes contemporains internationaux : Mac Adams, Nadim Asfar, Vartan Avakian, Elina Brotherus, Daniele Genadry, Randa Mirza, Louis Quail, Angélique Stehli, Wiktoria Wojciechowska, et Ali Zanjani aux photographies dites “orientalistes” de la collection Fouad Debbas (collection de photographies comprenant plus de 30 000 images du Moyen-Orient, datant de 1830 jusqu’aux années 1960). Parmi les photographes orientaux, on retrouve la Maison Bonfils, un des principaux studios photographiques professionnels actifs à Beyrouth dans la seconde moitié du XIXe siècle.
La Maison Bonfils
Félix Bonfils, avec sa femme, Lydie, et leurs enfants, Adrien et Félicie, s’établissent à Beyrouth en 1867 pour y pratiquer la photographie. Des séjours antérieurs au Liban avaient enchanté cette famille du Gard, et Félix, relieur puis photographe, avait songé (poussé par sa femme) à s’y installer.
Maison Bonfils, “Type de fellah égyptien”, vers 1885-1895, tirage sur papier albuminé d’après négatif sur verre, 27 x 23 cm. (© Collection Fouad Debbas/Musée Sursock)
Nombreux sont les studios qui se créent pour répondre à la demande toujours forte des voyageurs occidentaux aisés. Cependant, la Maison Bonfils fait partie de ceux qui allient les impératifs commerciaux à une production intense remarquée pour sa qualité et sa diversité.
La Maison Bonfils est l’archétype de l’atelier familial. Lydie, aidée de son fils Adrien et d’assistants, réalise des portraits et des scènes de genre tandis que Félix sillonne le Liban, la Palestine, l’Égypte, la Turquie et la Grèce pour rapporter des clichés.
Maison Bonfils, “Jeune fille arabe à Beyrouth”, vers 1885-1895, tirage sur papier albuminé d’après négatif sur verre, 27 x 23 cm. (© Collection Fouad Debbas/Musée Sursock)
Félix passe aussi beaucoup de temps à Alais où il crée un atelier de phototypie. Leurs images sont vendues à des touristes qui ne disposent pas encore de cartes postales, lesquelles ne viennent concurrencer la photographie qu’à partir de 1880. Ces vues, produites dans divers formats – ou tirages sur papier albuminé – sont donc vendues à l’unité mais aussi rassemblées sous forme d’albums.
À la mort de Félix en 1885, l’entreprise qui a ouvert des succursales dans plusieurs villes du Moyen-Orient (Alexandrie, Caire) est dirigée par son épouse et son fils jusqu’en 1895 – date à laquelle ce dernier se tourne vers l’hôtellerie. Ce n’est qu’à la mort de Lydie Bonfils en 1918 que Abraham Guiragossian, associé depuis 1909, rachète l’entreprise qui ferme définitivement en 1938.
Une femme occultée ?
Maison Bonfils, attribué à Lydie Bonfils (?), “Sans titre [Barbier arabe]”, vers 1885-1895, tirage sur papier albuminé d’après négatif sur verre contrecollé sur carton, 24 x 18 cm. (© Collection Fouad Debbas/Musée Sursock)
Le studio photographique a été connu comme celui de Madame Bonfils de Beyrouth”, affirme Yasmine Chemali. Durant les absences de son mari, et son fils (reconverti à l’hôtellerie), elle assure la direction de la Maison Bonfils. Il reste néanmoins difficile de savoir quelle photographie a été prise par Lydie, les femmes photographes ne signant pas à l’époque leurs images.
Dans l’article “The Good Woman Named Bonfils” écrit par Yasmine Chemali, la responsable de la collection Fouad Debbas essaie d’identifier les portraits pris par Lydie. Ce n’est qu’une interprétation de l’auteur selon différents indices comme l’absence de signature sur la photo, la numérotation des images mais aussi le constat que les femmes orientales étant plus enclines à poser si l’opérateur était une femme elle-même.
Maison Bonfils, “Cheik musulman”, vers 1885-1895, tirage sur papier albuminé d’après négatif sur verre, 27 x 23 cm. (© Collection Fouad Debbas/Musée Sursock)
On ne peut donc pas affirmer que Lydie Bonfils était réellement la photographe de ces images mais le supposer. Ces portraits feraient donc certainement partie des premières images prises par une femme en Orient.
Maison Bonfils, attribué à Lydie Bonfils (?), “Dame maronite”, vers 1885-1895, tirage sur papier albuminé d’après négatif sur verre contrecollé sur carton, 24 x 18 cm. (© Collection Fouad Debbas/Musée Sursock)
Maison Bonfils, “Femmes musulmanes syriennes, costume de ville”, vers 1885-1895, tirage sur papier albuminé d’après négatif sur verre contrecollé sur carton, 27 x 23 cm. (© Collection Fouad Debbas/Musée Sursock)
Maison Bonfils, attribué à Lydie Bonfils (?), “Femme syrienne”, vers 1885-1895, tirage sur papier albuminé d’après négatif sur verre contrecollé sur carton, 24 x 18 cm. (© Collection Fouad Debbas/Musée Sursock)
“La Fabrique des illusions”, exposition à voir jusqu’au 29 septembre 2019, au Mucem à Marseille.