Nous avions parlé du travail de Sage Sohier, qui a capturé, au fil des années, le vieillissement et la beauté ineffable de sa mère. Plus récemment, elle nous a annoncé qu’elle sortait un livre de photos qu’elle a prises dans les années 1980, figeant à tout jamais la vie américaine de cette décennie.
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Dans Americans Seen (aux éditions Nazraeli Press) on entend “sin” : donner à voir la jeunesse de ces petites villes, sans évacuer ses vices et sa langueur, peut-être était-ce la volonté de cette photographe, touchée par l’humain. Dans une interview donnée à I-D, elle parle des derniers adolescents “déconnectés”, vivant dans une ère “pré-Internet”, qu’elle a su figer à tout jamais :
“Avec la plupart de ces photos d’enfants et d’adolescents, je me suis peu à peu intéressée à l’aspect de performance, où on a l’impression qu’ils jouent un peu comme des acteurs. Cela semble naturel, mais on dirait aussi qu’ils sont en pleine performance pour eux-mêmes, d’une certaine manière. Et on avait l’impression que pendant ces après-midis d’été caniculaires, quand les jeunes s’ennuyaient, il y avait une sorte de théâtre dans les rues, qui émergeait de cet ennui.”
Un théâtre urbain
Sage Sohier nous explique qu’elle a pris ses photos entre 1979 et 1986 lorsqu’elle vivait à Boston. En tant que jeune photographe, son ambition était de tirer le portrait du paysage américain contemporain en photographiant les gens dans leur environnement :
“J’étais obsédée à l’idée de faire les meilleures photos, et des images complexes des personnes qui traînaient dans le voisinage et chez eux. C’était excitant quand je tombais sur une situation intéressante et j’adorais le défi de collaborer avec des inconnus jusqu’à ce que quelque chose de captivant ressorte de notre interaction.”
Durant les sept années qu’elle a passé à Boston, Sage nous confie avoir tenté de nombreuses approches et différents scénarios. Avec son objectif grand angle, elle se passionne pour les possibilités narratives que lui offrent ces inconnus, rencontrés à chaque coin de rue. Elle porte également son intérêt sur les familles :
“J’étais intéressée, à différents moments, par les grandes familles, les pique-niqueurs, les pères et filles, les adolescents sortant ensemble et avec leurs parents… Dans ma carrière, j’ai aussi photographié des familles à Berlin et dans le New Hampshire, des familles dont les maisons ont été inondées à Slidell, en Louisiane, et des amis plus âgés de ma grand-mère dans le nord du Massachusetts.”
Elle était habituée à photographier des connaissances et des amis et à tout organiser à l’avance. Pour Americans Seen, Sage a dû apprendre à travailler dans l’urgence, l’instantané. Le fait de photographier des inconnus, dans la rue, l’obligeait à travailler vite, car les personnes sollicitées voulaient reprendre leurs tâches rapidement : “Je demande toujours la permission, et même si cela change la dynamique de la situation, quelque chose d’intéressant ressort toujours s’ils m’autorisent à rester plus longtemps. Je pense que mon enthousiasme était un peu contagieux.”
Du 15 avril au 31 mai 2017, Americans Seen sera exposée à la Joseph Bellows Gallery (Californie).