Sarah Balhadère, jeune photographe de mode revient sur son parcours, ses inspirations et son univers.
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Jeune photographe, Sarah Balhadère est parisienne depuis peu. Son travail, à la frontière entre reportage, photographie plasticienne et photo de mode, rayonne par sa douceur et sa fraîcheur. Rencontre avec un talent émergent.
Cheese | Comment as-tu commencé la photographie ?
Sarah Balhadère | Je pense qu’à la base, j’ai commencé la photo par obsession de la mémoire. Depuis toute petite, je collectionne les journaux intimes, j’écris tout. Quand ma petite sœur est née, j’ai commencé à filmer : je filmais ma famille presque tous les jours. À ce moment-là, mes parents m’ont offert un appareil photo, j’avais 14-15 ans. Mon attrait pour la photo est aussi un mélange de plein de choses, puisque mon grand-oncle était photographe, il avait énormément de tirages et ma grand-mère passait du temps à me raconter ses histoires… J’avais conscience de l’importance de l’image et de la mémoire, ça me travaillait vraiment beaucoup. J’ai donc commencé à faire de la photo lorsque j’étais adolescente, avec un petit compact numérique et depuis ce moment-là, j’ai toujours eu un appareil avec moi.
Tu as commencé par une volonté de documenter ton quotidien, pourtant à présent ton travail semble moins spontané et plus construit. Tu as le sentiment d’avoir évolué dans ta pratique ?
Oui, enfin, je fais encore un peu les deux. C’est-à-dire que mon activité professionnelle me demande d’avoir un travail sur l’image et d’être un peu moins dans l’instant par rapport à ce que je faisais avant, car je travaille dans le domaine de la mode. Mais je crois que ce qui m’anime vraiment et ce pour quoi je fais de la photo, c’est plus la documentation. Je fais aussi beaucoup de photos de gens que je croise dans la rue, qui m’ont marquée à un moment, et dont je veux me souvenir du visage.
Comment fais-tu pour arrêter les gens dans la rue ?
J’ai une grande pudeur pour plein de choses, mais lorsque j’ai mon appareil et que je prends des photos, je peux aller voir les gens et leur demander sans complexe. Les gens le prennent très bien, c’est d’ailleurs très surprenant. Parfois je suis presque amoureuse d’une situation ou d’une personne, je ressens le besoin de les prendre en photo. Donc je vais les voir, je leur dis qu’ils sont beaux (car je le pense) et que j’aimerais beaucoup les photographier là, maintenant. Souvent, ils me font confiance !
Est-ce que tu as déjà noué des contacts en photographiant des gens comme ça dans la rue ?
Énormément ! J’ai rencontré certains de mes amis dans la rue et même, au niveau professionnel, j’ai fait poser certains jeunes qui n’étaient pas mannequins à la base et que je trouvais justes incroyables. On a noué des relations et maintenant ce sont mes modèles, même pro !
Tout à l’heure, tu parlais de ton grand-oncle photographe. Tu as souvent été entourée de personnes naviguant dans des domaines artistiques ?
Oui, je suis très proche de ma cousine, qui est chanteuse et dont j’aime beaucoup la musique. On a un rapport assez fort dans la création, même si on fait des choses assez différentes. Dans ma famille il y a aussi ma tante qui est peintre… Et comme je disais, un grand-oncle photographe qui a vraiment fait des images incroyables. C’était après guerre, il faisait des images commerciales – comme des photos de mode – mais aussi énormément de reportages très intéressants. Donc oui, on a plutôt une fibre artistique dans la famille !
Est-ce que tu as eu un déclic dans ton parcours ? Un moment clé où tu t’es dit : c’est vraiment ça que je veux faire !
Oui, ce déclic, je l’ai eu quand je suis arrivée à Paris, c’est finalement très récent. J’ai toujours fait de la photo et j’ai vraiment le sentiment que je ne peux pas m’en passer. Même si pendant longtemps je me suis dit que je n’allais pas faire ça professionnellement, j’étais convaincue que j’allais garder ça pour moi. J’ai beaucoup travaillé dans la photo sans être photographe. J’exerçais, par exemple, en tant que retoucheuse. Mais, je me suis rendu compte que ça ne me convenait pas et que j’avais ce besoin de faire mes images.
Tu as fait une école de photo ou tu es autodidacte ?
À mes 18 ans je suis partie faire une école de photo, l’École supérieure des métiers artistiques (ESMA) à Montpellier. L’école ne s’est pas très bien passée, ça ne m’a pas vraiment fait du bien dans mon rapport à l’image. On était très bridés par nos professeurs et c’est un moment où on m’a presque dégoûtée de la photo. En sortant de l’école, j’ai travaillé dans un labo où je développais de l’argentique. Ensuite je suis partie en Suisse, puis après j’ai bossé à Biarritz comme retoucheuse photo pour une grande marque de fringues. Je pense que faire une école c’est bien, mais qu’on peut aussi apprendre en autodidacte. Aujourd’hui, les choses me semblent plus ouvertes, notamment via les réseaux sociaux qui offrent une possibilité de montrer son travail, peu importe d’où l’on vient.
D’ailleurs, comment gères-tu tes réseaux ?
J’ai essayé Snapchat mais ça ne me convient pas du tout ! [Rires.] Je pense qu’Instagram est le réseau qui m’inspire le plus et qui m’offre le plus de visibilité. Instagram m’a d’ailleurs apporté tous mes premiers clients en arrivant à Paris, la plupart m’ont écrit en message privé. C’est vraiment un bon réseau pour les photographes !
Quand on observe ton portfolio, on remarque que ton travail est très dense. Il y a des images de lifestyle, de mode, des portraits, de la photo plasticienne, c’est un choix de ne pas vouloir rentrer dans une seule case ?
C’est une très bonne question. Je pense que, professionnellement, je m’oriente petit à petit vers la mode, mais je crois que ce qui m’anime le plus, ça reste les séries que j’ai faites durant mes voyages. C’est aussi une volonté de ne pas vouloir me catégoriser dans un secteur, j’ai besoin encore d’expérimenter des choses et d’apprendre à me connaître aussi. De faire surtout.
Quand tu réalises une série photo, comment ça se passe ? Est-ce que tu es très organisée ou, au contraire, tu laisses place à l’improvisation ?
Professionnellement, oui, je suis organisée. Avant un shoot, j’ai besoin de préparer en amont, d’avoir des idées à la base, de trouver un endroit qui m’inspire, d’avoir réfléchi à la mannequin, etc. Ensuite, beaucoup de choses se décident sur le moment. Je travaille surtout en extérieur, donc il y a un rapport très fort à la lumière du soleil que je ne peux pas prévoir à l’avance. En revanche, pour mes séries de voyages, c’est toujours sur le moment !
Quelles sont tes principales inspirations ?
Quand j’étais plus jeune j’étais fascinée par Elina Brotherus, c’est une photographe que j’admire beaucoup, qui a fait énormément d’autoportraits. Elle avait un rapport assez dingue avec la peinture, j’ai été vraiment très inspirée par son travail. Je pense que ce qui m’inspire le plus, c’est vraiment la vie de tous les jours. Tout et rien en particulier, je regarde beaucoup autour de moi, les gens me fascinent souvent, c’est assez instinctif.
Il y a des gens avec qui tu aurais envie de collaborer en particulier ?
En photo, j’aimerais beaucoup travailler avec Jacquemus parce qu’il m’inspire beaucoup dans son rapport au Sud, aux vêtements, aux couleurs, je suis très attirée par son travail. J’aimerais beaucoup rencontrer une photographe qui s’appelle Sally Mann, je suis fascinée par elle depuis que je suis jeune, j’aimerais beaucoup aller chez elle, dans son atelier. Ce serait mon rêve !
Tu utilises souvent des chromies assez pastels, qu’est-ce qui te plaît dans ces choix de couleurs ?
C’est surtout au niveau de la douceur que ces couleurs dégagent. Mais dernièrement, j’ai travaillé des séries dont les lumières sont un peu plus vives, il y a des couleurs primaires qui ressortent pas mal… J’ai toujours été dans ces teintes-là parce que ce côté doux me parle.
Vers quoi aurais-tu envie d’aller prochainement ?
J’ai le sentiment que je ne peux pas encore le qualifier comme ça, mais j’aimerais que mon travail soit “frais”. Pour le moment, j’ai fait pas mal de mise en scène, mais j’aimerais vraiment aller vers cet esprit-là.
Comment est-ce que tu choisis tes modèles ?
J’ai beaucoup travaillé avec des gens que j’ai pu rencontrer, des gens proches de moi. Quand je choisis des modèles pour mes contrats, je suis souvent intéressée par celles qui ont un visage naïf, frais. J’ai beaucoup photographié des gens que j’aime et j’ai l’impression que ça influe énormément sur mes choix de mannequins, il y a très souvent des similitudes avec des visages qui me sont familiers. C’est un peu bizarre ! Je suis très proche de ma sœur et, quand je regarde mes choix de modèles, ça se rapproche de jeune filles de son âge, qui ont des attitudes, des maladresses un peu similaires. J’aime beaucoup la naïveté.
Tu utilises souvent des lumières naturelles, tu aurais envie de t’orienter vers le travail en studio ?
Je pense qu’en mode, oui, je vais m’orienter un peu plus vers le travail en studio, car je me suis rendu compte que même en extérieur j’utilisais souvent des fonds très neutres et des choses assez épurées. Ça se rapproche parfois plus du studio. Jusqu’à présent, ce que j’aimais et recherchais c’était vraiment les lumières naturelles, mais le studio pourrait m’apporter une maîtrise de la couleur et ça m’intéresse beaucoup.
Si tu devais donner un conseil à un ou une jeune qui se lance dans la photographie ?
Je pense que je lui dirais ce que mon frère m’a dit au téléphone récemment : “Il faut croire en son travail même si les autres n’y croient pas, s’écouter et avoir confiance !”
Quels sont tes projets pour la suite ?
Je vais créer un événement avec mon amie Typhaine avec des expositions qui mêleront photographie et illustration. Je prépare aussi un gros voyage en Argentine avec mon frère et un ami vidéaste et on aimerait faire un reportage là-bas pendant deux mois.
Vous pouvez retrouver le travail de Sarah Balhadère sur son site personnel, sa page Facebook ou son compte Instagram.