Pendant cinq ans, la photographe a suivi les admirateurs du King, qui se rassemblent par milliers chaque année pour un festival dans la ville de Porthcawl.
À voir aussi sur Konbini
Quand on pense sosie d’Elvis, on imagine souvent une chapelle de mariage à Las Vegas. Pourtant, c’est sur la côte galloise qu’a lieu un des plus grands rassemblements de fans du King. Chaque année au mois de septembre, des milliers d’adorateurs affluent sur la plage de Porthcawl, une station balnéaire populaire du pays de Galles. La ville est alors envahie de bananes bien peignées, de costumes blancs à paillettes et de rock’n’roll.
Clémentine Schneidermann, photographe française installée à Cardiff, découvre ce festival en 2013. Fascinée, elle y reviendra cinq années de suite. Sa série I Called Her Lisa Marie rend hommage à ces fans inconditionnels, pour qui la passion Elvis dure toute l’année.
Cheese | Qu’est-ce qui t’a particulièrement intéressée dans l’histoire de ces fans d’Elvis ?
Clémentine Schneidermann | Il y avait d’abord un plaisir esthétique, leur style vestimentaire a attiré mon attention. Ce n’était pas juste rockabilly ou années 1950. Ils étaient comme ça tous les jours, même pour aller au supermarché : les tatouages, les bagues, les cheveux en arrière. Elvis, c’est une idole facile, connue, mais en même temps, l’aspect social n’est pas souvent exploité.
On parle des gens qui se déguisent, des imitateurs. L’aspect “spectacle” est souvent montré, mais pas la réalité de ces gens : qui sont-ils ? Où habitent-ils ? Comment sont leurs enfants ? C’est ce que j’ai voulu montrer. Il y a un vrai décalage entre Memphis, les États-Unis, la maison d’Elvis et les gens du pays de Galles. J’ai surtout voulu faire un portrait de cette région.
Que représente Elvis Presley pour ces habitants du sud du pays de Galles ?
J’habitais une petite ville pas très loin de Porthcawl, qui s’appelle Newport. Dans les pubs, il y avait tout le temps des fans d’Elvis, qui venaient, qui chantaient… Il est très apprécié dans cette région, ils le voient comme un symbole de succès qui vient d’en bas, un working class hero. C’est une ancienne région minière très populaire. À Londres ou Bristol, dans des grandes villes plus riches, il est moins présent, mais cette culture, le côté rêve américain, prend bien dans ces communautés.
Quelle relation entretenais-tu avec ces fans que tu as suivis ?
J’allais parfois chez eux, ils étaient très compréhensifs et généreux, ils avaient envie de montrer leur vision d’Elvis. J’ai surtout suivi une personne pour le projet bonus à la fin du livre, “Johnny B. Goode” : un petit garçon avec sa mère et sa grand-mère. Je suis allée plusieurs fois chez eux, j’ai dormi dans leur caravane pendant le festival. Je les ai suivis à Memphis, aux États-Unis.
Chaque année en août, il y a la “Elvis Week”, pour l’anniversaire de sa mort. C’est une semaine de recueillement. Il y a énormément de monde, des concerts, des veillées à la bougie jusqu’à sa tombe. En 2016, j’y suis allée avec cette famille. Leur grand-père venait de mourir, la grand-mère était seule, ils étaient en deuil. Le moment de la veillée a été, je crois, très émouvant pour eux, notamment parce que c’est le grand-père qui avait transmis la passion d’Elvis à la famille.
En quoi cette série est-elle un portrait de cette région galloise ?
Je pense que les photos illustrent une certaine culture du pays de Galles, un sens de la fête, de la communauté, la culture du pub. Il y a aussi beaucoup de paysages. La lumière est très particulière, lourde, un temps très plombé qui contraste avec mes photos prises aux États-Unis où la lumière est dorée. Cette lumière joue beaucoup sur l’ambiance du pays. Les intérieurs, avec des détails comme la moquette par exemple, représentent assez bien le pays de Galles. C’est une région très mélancolique.
Comment cette série s’inscrit-elle dans ton travail de manière générale ? Comment décrirais-tu ton approche photographique ?
J’aime mettre en avant le côté burlesque, espiègle, léger, avec un côté assez triste, dur, pesant, jouer avec ces deux registres, sincères, profonds mais à la fois optimistes. Je m’intéresse beaucoup aux costumes, à la mode, aux habits, à la manière qu’ont les gens de se présenter. C’est pour ça, aussi, que les fans d’Elvis m’intéressaient beaucoup. J’ai une approche assez documentaire, très sociale, engagée, d’une certaine manière, car ce sont des projets sur le long terme.
I Called Her Lisa Marie a donné lieu à un livre éponyme, édité par La Chose commune en mai dernier. Les photos de Clémentine Schneidermann sont exposées à Londres jusqu’au 3 novembre 2018.