Photographe français connu pour ses images de guerre, Yan Morvan a immortalisé dans les années 1970, pendant trois ans, les bandes parisiennes et banlieusardes des blousons noirs.
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Les photos crues de bad boys en noir et blanc, signées Yan Morvan, illuminent aujourd’hui le Mois de la photo : une exposition à Corbeil-Essonnes célèbre la beauté éternelle des rebelles. Dans les années 1970, des loubards organisés en gangs portant des blousons noirs tels les Hell’s Angels et les Teddies battent, l’air hagard, le pavé de Paris et de la banlieue, cherchant la bagarre et effrayant les bourgeois.
Yan Morvan, reconnu comme l’un des spécialistes modernes de la photographie de guerre, aimanté par leur charisme sulfureux, consacre un reportage à ces guerriers de la rue qui aiment autant la baston et les tatouages que le rock’n’roll.
Le rassemblement de ces marlous photogéniques a, aujourd’hui, lieu en images à Corbeil-Essonnes, dans le Grand Paris, sur les murs du square Crété. Et le dimanche 23 avril, une parade IRL de véhicules custom (vélos et motos) aura lieu en ville pour fêter ça. À l’ancienne… En attendant, on a parlé péplum et fracture sociale avec le photographe.
Cheese : Tu as eu plusieurs vies, des études de maths à la réalisation : comment en es-tu venu la photo ?
Yan Morvan : Je devais avoir 5 ans quand j’ai vu le film Ben-Hur au cinéma et, deux ans plus tard, j’ai vu Le Cid d’Anthony Mann. Je décidais alors de devenir réalisateur de cinéma… Raté… J’étais aussi fan de science-fiction, Dick, Farmer, Spinrad, etc. La culture “subversive” des années 1960 était d’origine nord-américaine. Je me retrouvais dans les images de William Eugene Smith, David Douglas Duncan, Philip John Griffiths, et aussi de Don McCullin qui était anglais.
Je suis arrivé à Paris en 1973, venant de Nice, pour “étudier” à la fac de Vincennes. Le premier blouson noir que j’ai rencontré m’a fait l’effet d’un extraterrestre. Sur la Côte d’Azur, on était contestataire et hippie, genre Jefferson Airplane et Grateful Dead.
Quel matériel utilisais-tu alors ?
J’étais un gentil rebelle, sans le sou. En juillet 1973, j’ai eu un job à la Fnac Sébastopol (la première des Fnac), et j’ai “emprunté” deux boîtiers Olympus OM1 et quatre optiques (c’était de tous petits appareils photo très prisés et je pouvais les cacher dans mon blouson). Je les ai revendus pour acheter un Leica M5, comme les grands. Je n’avais pas d’optique ; à la première manifestation que j’ai couverte avec le boîtier sans objectif, un photographe est venu me voir et m’a fait remarquer que j’aurais du mal à imprimer quelque chose… Il m’a prêté un Summicron 50 mm que je lui ai payé en un an. J’ai fait trois ans comme ça.
Qu’est-ce qui t’a intéressé chez les blousons noirs ?
Faire des photos, ce n’était pas mal non plus, surtout que je restais fidèle au genre péplum avec les blousons noirs. Cette violence, les revendications portées par la musique rock’n’roll, le costume destiné à parer et à donner les coups (cuir et chaînes), les insignes nazis, tout cela était tellement différent de mon univers que je l’abordais en anthropologue ou en sociologue. Bourdieu était dans l’air du temps.
Comment as-tu été introduit parmi eux ?
Mon “fixer” était Johnny de Montreuil, c’était un peu mon pote aussi. Il est mort par balle quelques années plus tard, abattu dans un bistrot. C’était un sacré embrouilleur, mais il connaissait toutes les bandes de Paris. En fait, c’était un tout petit milieu, une espèce d’avant-garde de la fracture sociale à venir… non politisée.
Et ils t’ont accepté derrière l’objectif ?
Les bikers m’appelaient Clic-Clac et les proto-hells, Chacal. Personne ne les photographiait en ce temps-là, et puis la photo, c’était bon pour les mariages et la publicité… Je gagnais ma vie en bricolant : Polaroids à la terrasse des cafés, photos des stands des salons à Porte de Versailles, petites commandes des journaux, etc. Mais j’aimais ça, j’étais libre. À la parution de mon livre Le Cuir et la Baston, en 1977, Paris Match m’a appelé pour me faire travailler. Après, c’est une autre histoire.
Après mai 68, les gauchistes qui ont pris le pouvoir (sous Mitterrand) se sont installés dans un relatif confort. La société s’est fragmentée, et le fossé entre les cultures et les générations s’est de plus en plus creusé pour en arriver, n’en déplaise au politiquement correct, à la décomposition de notre environnement matériel et intellectuel.
Tu as publié un livre sur eux il y a un an. Leur esprit de révolte résonne avec une mentalité et des préoccupations actuelles ?
J’ai publié le livre Blousons noirs en 2016 chez l’éditeur La Manufacture de livres. On va dire 40 ans après les faits. Sur ce premier livre couvrant la période de 1975 à 1977, je souhaitais témoigner de cette jeunesse déracinée qui s’est étendue aujourd’hui à toutes les couches de la société. Le tome 2 que j’appellerai La Fracture sociale traitera des années 1980 et 1990. Et le tome 3, dont les premières images datent de 2010 et se poursuivent aujourd’hui, je le nommerai Les Déracinés.
Quant à mes projets actuels, je citerai Raoul Vaneigem et son Traité du savoir-vivre à l’usage des jeunes générations qui résume assez bien l’état de mes préoccupations : “L’homme de la survie, c’est l’homme émietté dans les mécanismes du pouvoir hiérarchisé, dans une combinaison d’interférences, dans un chaos de techniques oppressives qui n’attend pour s’ordonner que la patiente programmation des penseurs programmés.”
L’exposition de Yan Morvan, “Blousons noirs”, se déroule au square Crété, allée Aristide Briand (Corbeil-Essonnes) jusqu’au 21 mai 2017, dans le cadre du Mois de la photo du Grand Paris.