Il y a quelques mois, c’était un artiste chinois ordinaire qui postait en ligne ses réflexions personnelles et ses œuvres. Aujourd’hui, “Professeur Li” est devenu une rédaction à lui tout seul qui publie des vidéos en temps réel sur la contestation en Chine. Pour contourner la censure de leur pays, des milliers de Chinois·es se sont tournés vers lui.
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En Italie où il vit, sur l’ordinateur de son salon, Li, âgé de 30 ans, relaie la parole d’une vaste armée de citoyen·ne·s-journalistes sur le terrain. Ses abonné·e·s sur Twitter, qui sont passé·e·s de 150 000 à 830 000 depuis le 23 novembre, lui envoient des vidéos ou des informations qu’il retransmet dans le monde entier.
“Je ne m’attendais pas du tout à ça”, confie à l’AFP Li, qui préfère garder l’anonymat en raison des menaces pesant sur lui. Le week-end du 26-27 novembre, le mécontentement face à la stratégie “zéro Covid” de la Chine a explosé : des manifestant·e·s sont descendu·e·s dans les rues d’une dizaine de villes du pays. Une grogne populaire d’une ampleur inédite depuis les rassemblements pro-démocratie de Tiananmen en 1989, qui a poussé les autorités chinoises à opérer un spectaculaire volte-face, en assouplissant la majorité des restrictions.
Li recevait alors 30 à 40 contributions par seconde. “Impossible de suivre le rythme”, admet-il. “Pour notre génération et pour les utilisateurs de Twitter, c’était quelque chose qui arrivait pour la première fois en 30 ans. Beaucoup de gens étaient enthousiastes et gagnés par l’émotion”, se souvient-il. Le 27 novembre, le peintre à lunettes a passé la journée entière devant son écran, sautant des repas pour passer au crible le flot incessant de contributions : il a publié au total 399 messages ce jour-là.
Bloqué sur le réseau chinois
Son compte Twitter a permis de rendre compte de la situation sur le terrain, d’autant plus que les journalistes étaient restreint·e·s dans leurs déplacements en Chine à cause des mesures anti-Covid. “Quand vous voyez des gens dans la rue qui brandissent un papier blanc, crient des slogans, tout ce que pouvez faire, c’est de montrer ce qu’ils font”, explique-t-il. “Et plus vous en montrez, plus cela les protège, car les gens voient les images dans le monde entier.”
“Vous ne pensez pas aux conséquences pour vous, car en réalité les gens sont beaucoup plus exposés aux menaces que vous”, poursuit-il. Il y a quelques années, Li a déménagé en Italie, dans une ville qu’il n’a pas souhaité dévoiler, pour continuer ses études d’art. Connu sous le nom de “Professeur Li” en chinois, il donne des cours de dessin et crée.
C’est sous ce nom qu’il apparaît sur Twitter, avec le dessin d’un de ses quatre chats qui partagent son appartement. Au début de l’année, son compte avait été bloqué sur Weibo, le réseau social chinois, pendant 180 jours. Sans se décourager, il avait tenté d’ouvrir de nouveaux comptes – 52 au total – qui ont tous été bloqués : l’un n’a duré que dix minutes.
Mais il a refusé de plier : “C’est mon droit de m’exprimer.” Fin avril, l’artiste, imperturbable, s’est finalement tourné vers Twitter, qui n’est accessible en Chine qu’en passant par un VPN. Il avait alors environ 90 000 abonné·e·s sur Weibo, dont certain·e·s l’ont suivi sur le réseau social états-unien. Il s’exprimait sur des questions sociales, également sensibles en Chine, mais fin novembre, son rôle a pris une toute autre ampleur.
“Boîte aux lettres”
Quand des protestations violentes ont éclaté dans la plus grande usine d’iPhone au monde, dans le centre de la Chine, le 23 novembre, Li s’est progressivement transformé en “boîte aux lettres” des contestataires, en publiant leurs vidéos. Les manifestations se sont encore intensifiées après l’incendie d’Urumqi : il a transmis les vidéos reçues, accompagnées d’un bref texte.
Laisser parler les images lui a permis, selon lui, de gagner la confiance des internautes. “Les gens en Chine ont très peur de voir leur opinion détournée. Ils craignent qu’elle soit exagérée, médiatisée et transformée en rumeur. Mais je ne fais pas cela.” Ses détracteurs l’accusent de diffamer, d’humilier son pays ou au contraire d’être un informateur du gouvernement recueillant des détails sur les manifestant·e·s.
“La police est venue à mon domicile [en Chine]. Je sais que ma famille est affectée, je le suis aussi en ligne. La pression est immense.” Mais il ne renoncera pas : “Ce compte est maintenant très important – c’est une fenêtre pour les gens à l’intérieur de Chine, pour savoir ce qu’il s’y passe. Et c’est aussi une fenêtre pour les Chinois de l’étranger et les étrangers pour qu’ils comprennent la Chine.” Son action et celles de ses contributeur·rice·s portent, selon lui, progressivement ses fruits : la Chine a commencé à assouplir les restrictions sanitaires en vigueur depuis bientôt trois ans.