Dans la sérénité de son atelier sénégalais habité de chants d’oiseaux, le peintre Omar Ba entame une toile à même le sol en appliquant un fond noir profond. Un parti pris à la genèse de son œuvre engagée, qui questionne l’état du monde et la place du continent africain.
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Ce fond noir, “c’est comme la nuit : la perspective peut se perdre, mais pour moi, tout objet et toute chose retrouvent leur place”, dit-il dans l’intimité de son atelier. Tournant de longues minutes autour d’une toile de plus de cinq mètres, il s’accroupit et se lance dans l’esquisse d’un groupe de jeunes. Il dit “être” la couleur noire, “noble et magnifique”, être en “parfaite union” avec cette teinte. “Je sens que toute autre couleur que je vais poser dessus va me donner exactement ce que je veux”, explique-t-il.
Après des centaines de coups de pinceau, sa toile sera peuplée de créatures hybrides, de visions oniriques aux couleurs chatoyantes et aux détails vertigineux, où il fait interagir les règnes végétal, animal et humain. À 45 ans, Omar Ba est l’une des étoiles montantes de l’art contemporain africain et l’un des artistes les plus prisés des collectionneur·se·s.
De la galère aux plus grands musées
Omar Ba est l’une des sensations de la 14e biennale de Dakar. Le peintre exprime sa joie d’y exposer pour la première fois, dans le pays où il est né. C’est à Dakar qu’après avoir abandonné une formation de mécanicien, il a commencé ses études d’art, poursuivies à Genève à partir de 2003.
L’artiste a connu la galère, exposant dans des salons de coiffure et des cafés, avant que son talent ne soit révélé en 2009 par la curatrice Federica Martini. Depuis sa première exposition en Suisse en 2010, il a été exposé au Centre Pompidou à Paris et dans nombre des plus grandes institutions à travers le monde.
Omar Ba a construit un atelier dans un havre de paix où il se ressource au milieu d’une plantation de manguiers, à une heure de route de Dakar. Le terrain est occupé par des vaches, canards, fleurs exubérantes et oiseaux qui viennent voler au-dessus de ses toiles.
Dans l’atelier s’accumule un bric-à-brac de matériel comme ces stylos correcteurs avec lesquels il repasse singulièrement son dessin et des objets chinés pour se documenter, comme ces revues de la Seconde Guerre mondiale. Elles l’ont aidé à comprendre la propagande quand ce petit-fils de tirailleur sénégalais a voulu dénoncer les ravages de la guerre.
Des œuvres qui traitent des traumatismes du colonialisme
Énigmatique, voire hallucinatoire, et intensément poétique, son œuvre est habitée de créatures à tête de bouc, de bélier ou d’Horus, la divinité égyptienne à tête de faucon. “Ces personnages mi-hommes mi-animaux, c’est un clin d’œil à la nature de l’être humain qui, je pense, se comporte comme un animal dans la jungle”, relève-t-il.
Ses personnages incarnent les traumatismes hérités du colonialisme, la tyrannie, la violence, les inégalités Nord-Sud, mais aussi l’espoir. Dans une exposition en 2021 à Bruxelles, il a représenté plusieurs chefs d’État imaginaires assis devant une table, les mains posées sur un livre symbolisant cette Constitution que maints dirigeants réels ont manipulée pour se maintenir indéfiniment au pouvoir. “On voit que l’Afrique veut partir ailleurs, veut déménager… Il y a des guerres, des chefs d’État renversés, des dictatures ; ça m’interpelle”, lance-t-il.
“Il réinvente la peinture !”
“Omar Ba ? Mais il réinvente la peinture !”, s’exclame le directeur artistique de la biennale, Malick Ndiaye, “c’est un travail puissant et innovant” et un processus de recherche incessant. Ba est représenté par Templon, galerie française de renom. Il expose actuellement une vingtaine de toiles aux musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, une autre exposition est prévue en septembre à New York et, en novembre, une rétrospective au musée de Baltimore.
“Son travail est beaucoup plus complexe que la plupart des choses qu’on peut voir : le traitement du sujet, son usage du bestiaire et des couleurs sont d’une force et d’une beauté frappantes”, estime son galeriste Mathieu Templon. “C’est un des artistes africains qui a aujourd’hui le travail le plus esthétique et le plus politique.”
Un “artiste africain ne doit pas rester indifférent à ce qui se passe dans ce continent”, estime Omar Ba. “On doit essayer de voir ce qu’on peut apporter pour construire, pacifier et donner de l’espoir, finalement”, dit-il dans un doux sourire.
Konbini arts avec AFP