À voir aussi sur Konbini
À l’heure où les réseaux sociaux sont omniprésents, leurs règles d’utilisation sont déterminantes pour la diffusion des contenus et donc des idées. Ces règles font d’ailleurs très souvent débat puisque non seulement elles ne sont pas explicitées clairement mais il semblerait aussi qu’il y ait “deux poids, deux mesures”.
Par exemple, les images présentant des tétons féminins sont immédiatement supprimées alors que celles d’hommes torse nu ne posent aucun problème. Cette aberration a d’ailleurs donné naissance à des projets cocasses, comme celui d’une artiste taïwanaise, qui a créé des stickers de tétons masculins, à coller sur les poitrines féminines pour éviter la censure.
Toutefois, au-delà des images, il semblerait qu’Instagram s’attaque aussi aux idées, en supprimant des comptes qui abordent des problématiques féministes. C’est d’ailleurs ce que dénoncent Lucas Bolivard et Romane Sélégny, créateurs du compte Meufs, Meufs, Meufs, dans une lettre ouverte diffusée ce jeudi 3 avril 2019 :
“Hello la Silicon Valley ! Mais que se passe-t-il avec les comptes féministes ? Depuis plusieurs semaines, nous observons que de nombreux comptes Instagram proposant un contenu féministe sont bloqués.
C’est en particulier les comptes avec une dimension pédagogique, visant un autre rapport à l’éducation sexuelle, ainsi que la réappropriation par les femmes de leur parole autour de sujets qui touchent (à) leur corps qui sont visés par ce qu’il va bien falloir nommer clairement : une opération de censure. […]”
Le compte Instagram Meufs, Meufs, Meufs a été supprimé, sans sommation, alors qu’il a pour unique but de faire un tour du monde des initiatives menées en faveur des femmes et n’a a priori pas partagé de contenus choquants qui pourraient justifier une telle sanction.
Male gaze et représentation des corps féminins
Cette problématique de censure et d’autocensure à l’heure des réseaux sociaux était au centre des discussions lors du dernier congrès de l’Union des photographes professionnels. Durant une conférence animée par Pierre Morel, à laquelle participait Romy Alizée (photographe, initiatrice de la tribune “En furie contre la censure du Net”), Tess Raimbeau (iconographe pour Libération), Zoé Vilain (avocate en droit des médias), André Gunthert, enseignant-chercheur à l’EHESS, historien des cultures visuelles. Ensemble, ils ont fait un état des lieux des problèmes liés aux restrictions imposées par les géants du Web.
Romy Alizée, dont le travail photographique porte sur le corps et la représentation de la sexualité, et qui a vu, elle aussi, son compte se faire supprimer, a expliqué qu’il était très compliqué pour une photographe émergente de se faire déposséder de son outil de travail, sans aucun recours. Si les images qu’elle postait montraient des corps dénudés, cette dernière veillait à ce que les photos ne soient pas explicites. Ainsi, on peut se demander pourquoi son compte doit être suspendu alors que d’autres comme celui de Playboy montrent des femmes dénudées sans que cela ne pose problème.
Groupes médiatiques vs indépendants
Cette différence de traitement peut trouver une explication au regard de questions juridiques. En tant qu’hébergeur de contenus, les plateformes ne sont pas responsables des images publiées mais elles sont tenues de les supprimer si ces dernières ont été signalées comme problématiques. Certains utilisateurs conservateurs peuvent avoir tendance à signaler en masse des contenus, ce qui peut entraîner leur suppression par l’algorithme, et ce même si elles ne vont pas à l’encontre des règles d’Instagram. Ainsi, les images hétéro-centrées et lisses, de femmes blanches, minces, dans des poses sexy trouvent leur place sur ces réseaux mais des représentations différentes des corps ou des identités, se faisant signaler en masse, sont alors censurées. Les réseaux sociaux deviennent alors les miroirs grossissant de problématiques sociétales plus générales.
Aussi, certains groupes médiatiques peuvent signer des accords avec des réseaux sociaux comme Instagram ou Facebook et prendre l’entière responsabilité des contenus qui seront publiés par le compte. La plateforme, dès lors déchargée de ces problématiques juridiques, peut alors faire preuve de plus de souplesse. On assiste donc à un déséquilibre entre les comptes d’indépendants et ceux des géants médiatiques, qui n’ont, in fine, pas les mêmes droits sur la plateforme.
La mobilisation comme seule solution
Il a aussi été rappelé que l’une des problématiques d’Instagram était son caractère global. La plateforme applique les mêmes règles dans le monde entier, alors que les différences culturelles sont importantes : ce qui est admis en France, ne l’est pas nécessairement en Inde. Toutefois, s’il est logique que des règles régissent ces plateformes qui voient circuler des millions de contenus quotidiennement, c’est le flou qui règne autour de ces dernières qui est dérangeant.
Malgré tout, on remarque qu’au fur et à mesure des années, les choses évoluent et que les cas de jurisprudence se multiplient, comme l’a prouvé le procès autour de L’Origine du monde en février 2018. C’est en manifestant notre mécontentement auprès des plateformes et en expliquant l’importance de montrer une diversité de corps et d’idées que ces derniers pourront changer. Pour commencer à prendre position sur ce sujet, vous pouvez signer la pétition lancée par Meufs Meufs Meufs et cosignée par de nombreux acteurs de l’image et des médias. Meilleure solution, trouvée à ce jour, pour faire bouger ces mastodontes de la Silicon Valley.