Avant 1987, aucun·e malade du sida n’avait été médiatisé·e en Europe. Jean-Louis fut la première personne malade du sida à accepter de se faire photographier par la photographe Jane Evelyn Atwood. L’épidémie faisait rage en France depuis 1981, avec l’apparition du premier cas, et pourtant, six ans plus tard, le peuple français n’avait encore jamais vu les effets de cette maladie tacher un corps et creuser un visage.
À voir aussi sur Konbini
En 1987, Jane Evelyn Atwood a remédié à son échelle à ce manque d’information ; ses photos de Jean-Louis sont parues dans Paris Match afin de toucher une très large audience :
“En Europe, en 1987, [en pleine] épidémie du [VIH], personne n’avait encore osé se montrer publiquement disant ‘je suis atteint du sida’. C’était important de donner un visage aux personnes atteintes de la maladie. J’espérais que parler de quelqu’un qui vivait avec le sida aiderait à dépasser les peurs, à changer les idées fausses et préconçues sur ce sujet. […]
Notre devoir est d’informer. Par des documents photographiques, je veux montrer que des personnes aujourd’hui meurent du sida et que d’autres continueront à mourir si l’on ne change pas d’habitudes face à ce fléau”, écrit-elle en légende de son travail exposé au Mucem dans le cadre de l’exposition “VIH, sida – L’épidémie n’est pas finie !”
Une image de son quotidien à domicile où ses amis le visitaient, où son médecin et ses infirmières lui prodiguaient les soins. Paris, France, août-septembre 1987. (© Jane Evelyn Atwood)
Dévoiler le “visage” du sida
De juillet à août 1987, Atwood vit chez Jean-Louis. Il a alors 43 ans ; voilà trois ans qu’il a appris sa séropositivité. Les images réalisées à son domicile durant cette période présentent son quotidien de malade : il se rase, se lave, dort, discute, débat. Ses ami·e·s viennent parfois le rejoindre pour une douloureuse étreinte. Ses médicaments ne sont jamais bien loin de son chevet. Et il savoure de temps à autre un melon, “son fruit préféré”.
Jean-Louis passe ensuite son mois d’août à l’hôpital car son état se détériore. Il ne le sait pas encore mais il y restera jusqu’à sa mort, le 27 novembre de l’année 1987, soit quatre mois seulement après le début du reportage d’Atwood qui resta à ses côtés jusqu’au bout, armée de son appareil photo. Durant son temps passé à l’hôpital, très régulièrement, la photographe le visite et l’immortalise ; elle avait obtenu l’autorisation de photographier à condition qu’elle n’expose ni le lieu ni le personnel soignant.
Dans ce nouvel environnement, qui semble bien loin de l’intimité de sa chambre tamisée, elle documente sans sensationnalisme le combat de Jean-Louis contre le sida : dans son lit, avec son ours en peluche, sa robe blanche, ses multiples pansements et sa bague en or portée sur l’auriculaire. Il dort souvent, la regarde parfois, s’amaigrit petit à petit au fil des images. Une photographie en particulier retient notre attention car elle fige parfaitement le lien qui les unissait : la main de Jean-Louis posée sur les jambes dénudées, hâlées de Jane Evelyn Atwood.
Jamais Jean-Louis ne lui a demandé d’arrêter de documenter ce mal qui le rongeait. Son envie de dévoiler au monde le “visage” du sida et d’éveiller les consciences était telle qu’il la laissait s’immiscer sans censure dans ses moments les plus difficiles. Tandis que les pouvoirs publics n’agissaient pas, les malades étaient “souvent enfermés, cachés dans leur anonymat” et stigmatisés. En réponse à cette violence (abordée dans des séries comme It’s A Sin ou dans les écrits d’Hervé Guibert), Jean-Louis voulait faire passer un message : “Le sida, pour atroce qu’il soit, n’exige pas la cruelle sanction de l’isolement.”
Jean-Louis, 43 ans, était la première personne séropositive en France à accepter de se faire photographier pour la presse afin d’éduquer le public sur le sida. Jane Evelyn Atwood a vécu avec Jean-Louis durant les quatre derniers mois de sa vie, à domicile puis à l’hôpital, où il fut admis et mourut le 26 novembre 1987. Voici une image de son quotidien à l’hôpital, le voici dans un état qui se détériorait malgré des nouveaux traitements, des visites et de l’attente. L’hôpital a autorisé Jane Evelyn Atwood à poursuivre son reportage à condition qu’elle ne révèle pas le nom du lieu et qu’elle ne photographie pas le personnel soignant. Paris, France, octobre-novembre 1987. (© Jane Evelyn Atwood)
“J’ai le sentiment que c’est une des rares [histoires] qui a vraiment servi à quelque chose”
C’est un mois avant sa mort que Jean-Louis a vu son histoire publiée dans Paris Match. “Il a pu voir le reportage, lire le texte que j’avais écrit pour accompagner les photos, et il a eu le sentiment que sa mort ne serait pas complètement vaine”, écrit Atwood.
Suite à la révélation de ses images, la photographe reçoit une lettre d’une lycéenne, lui demandant de la mettre en contact avec Jean-Louis. Elle lui avoue avoir été profondément touchée par son reportage et comprendre désormais les ravages du sida.
“Malheureusement, il était déjà mort quand j’ai reçu sa demande. Quand je lui ai expliqué, elle m’a écrit en me demandant si elle pouvait lui rendre un ‘hommage’ dans le journal de son école. Son hommage est en effet paru avec une photo de Jean-Louis et un texte où elle expliquait comment elle avait réalisé ce qu’était le sida à travers son témoignage.
Ce lycée se trouve à trente kilomètres à peine de Paris et, en 1987, ils n’avaient jamais eu la moindre information sur le sida – avant qu’une jeune fille, émue par l’histoire de Jean-Louis que nous avions publiée, ne les informe. Ce n’est que grâce à une publication, au courage de Jean-Louis et à son désir de témoigner de sa maladie en acceptant que je le photographie, que toute une école a pris conscience de la réalité de l’épidémie du [VIH]”, raconte Jane Evelyn Atwood.
Quand elle retrace sa carrière, la photographe reste marquée par cette histoire ; elle la décrit comme étant “la plus triste qu’[elle n’ait] jamais traitée”. “J’ai le sentiment que c’est une des rares qui a vraiment servi à quelque chose”, conclut Atwood.
L’exposition “VIH, sida – L’épidémie n’est pas finie !” est visible au Mucem jusqu’au 2 mai 2022.