Mille euros d’amende ont été requis mercredi contre l’activiste congolais Emery Mwazulu Diyabanza, jugé avec quatre autres personnes devant le tribunal de Paris après avoir tenté de s’emparer d’un poteau funéraire au musée du quai Branly, le 12 juin dernier.
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Des amendes de 500 euros avec sursis ont été réclamées par le ministère public à l’encontre des quatre autres militant·e·s panafricain·e·s (Romain Catambara, Thibault Bao Abdelkader, Dihaoulou Bonelvy et Djaka Apakwa) qui voulaient par leur geste dénoncer “le pillage de l’Afrique” par les anciennes puissances coloniales. Le jugement sera rendu le 14 octobre.
Poursuivi·e·s pour “tentative de vol en réunion d’un objet mobilier classé”, les cinq militant·e·s risquaient une peine de dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende, mais la procureure a insisté pour une peine “de principe et d’apaisement”.
Le meneur n’a pas pour autant été effrayé par les risques encourus : le 30 juillet dernier, il était arrêté à Marseille après s’être emparé, seul, d’un objet en ivoire au musée des Arts africains, océaniens et amérindiens. Le 10 septembre, avec trois acolytes, il a cette fois tenté d’emporter une sculpture du Congo à l’Afrika Museum de Berg en Dal (au Pays-Bas), où il a été arrêté puis relâché après huit heures de garde à vue. “Nous n’avions aucune intention de voler cette œuvre, mais nous continuerons tant que l’injustice du pillage de l’Afrique n’aura pas été réparée”, a déclaré Emery Mwazulu Diyabanza.
Une peine d’apaisement requise
L’apaisement aura été au centre des préoccupations de tou·te·s les acteur·rice·s de ce procès. Alors que les cinq prévenu·e·s se sont présenté·e·s à l’audience accompagné·e·s par plusieurs dizaines de militant·e·s (dans une salle qui ne pouvait accueillir que 25 personnes en raison des contraintes sanitaires), des mouvements d’humeur ont failli mettre fin au procès avant même son commencement.
À la demande du président du tribunal, Emery Mwazulu Diyabanza a réussi à calmer ses partisan·e·s et le procès a pu reprendre dans le calme. D’emblée, le président a tenu à distinguer le procès de quatre hommes et une femme accusé·e·s de tentative de vol en réunion et “le procès du colonialisme”. “Je suis d’une génération qui n’a aucune difficulté avec ça. Mais c’est un autre procès. Un procès citoyen. Nous sommes ici pour juger une infraction, pas pour juger l’Histoire”, a souligné le président.
L’affaire remonte au 12 juin. Les cinq militant·e·s renvoyé·e·s devant le tribunal s’étaient emparé·e·s d’un poteau funéraire Sara (provenant du Tchad et datant du XIXe siècle) en l’arrachant de son socle au musée du quai Branly. Emery Mwazulu Diyabanza avait pris l’objet dans ses bras en criant : “On les ramène à la maison.” Les cinq militant·e·s n’étaient pas sorti·e·s du musée et l’objet a pu finalement être remis aux gardiens.
“C’était une action parfaitement pacifique, ont soutenu les prévenu·e·s. Nous l’avons voulue spectaculaire pour alerter l’opinion.” Le principal prévenu a insisté : “C’était un geste politique.” Car la question centrale qui a motivé leur acte est l’épineuse question de la restitution des objets d’art volés pendant la colonisation en Afrique et exposés dans les musées français.
Sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, la France s’est engagée à rendre définitivement dans les prochains mois un sabre historique au Sénégal et 26 objets pillés par des troupes coloniales françaises en 1892 au Bénin. Mais pour les prévenu·e·s et leurs avocat·e·s, c’est à la fois trop peu et trop long. L’avocat Hakim Chergui a estimé à 116 000 le nombre de biens considérés comme spoliés aux Africain·e·s dans les musées français. “Mes clients n’ont pas commis un vol, ils ont interrompu un recel”, a-t-il défendu.
Certes, a reconnu l’avocat du musée du quai Branly, “le débat est ouvert sur la restitution” des biens spoliés mais le geste des cinq prévenu·e·s risque d’être “contre-productif” en portant atteinte aux discussions en cours avec “plusieurs États africains”.
Un nouveau président au musée qui veut repenser les espaces d’exposition
Au quai Branly, Emmanuel Kasarhérou, le nouveau président du musée élu en mai 2020, veut faire connaître l’histoire des œuvres au public. Pour que les visiteur·se·s puissent appréhender une “histoire parfois difficile”, il table sur des témoignages et une mise en contexte des œuvres dans le haut lieu consacré aux arts premiers.
“Le visiteur pourra avoir accès à l’information qui lui donne un rapport avec une histoire parfois difficile mais qu’il faut absolument raconter en toute transparence”, explique l’ancien directeur du centre Tjibaou de Nouméa, très sensibilisé à la question de l’histoire des œuvres et de leur identité.
“La question des restitutions” mérite “un débat sérieux” qui “s’accommode mal de coups médiatiques”, a-t-il asséné. Le musée s’est engagé “à documenter la provenance et l’origine de ses collections, a ajouté M. Kasarhérou. Sur la base de ces travaux, nous pourrons avancer.”
Il est reproché au musée du quai Branly de privilégier l’esthétique à la compréhension dans la présentation de ses milliers d’objets. Le plan de longue haleine du nouveau président prévoit d’accompagner les œuvres de cartels et de notices documentaires via des QR codes. Ce projet “commencera l’année prochaine, sur quelques objets particuliers”.
“Recueillir le ressenti”
En amont, “il faut effectuer un gros travail de recherche et cela n’a pas été forcément une question qui était première dans les histoires des musées”, explique le directeur, né à Nouméa en 1960 et dont le père est kanak.
“Depuis 2019, on a mis en place un programme sur les provenances visant à éclairer de manière scientifique l’origine et la trajectoire de ces objets. […] Ce qui m’intéresse aussi, c’est de recueillir le ressenti des gens qui culturellement ont un rapport avec ces objets.
On fait déjà ce travail au Cameroun avec les chefferies des Bamilékés. Cela pourrait être aussi des artistes attachés à ces cultures, des témoins divers, des gens qui sont citoyens français aujourd’hui et qui ont un lien particulier avec ces cultures parce qu’elles sont celles de leurs grands-parents.”
M. Kasarhérou juge qu’“un mouvement a été donné” par le rapport Sarr-Savoy sur les restitutions. Il y a notamment “un certain nombre de projets sur lesquels [il] travaille avec [ses] confrères d’Afrique”. “Ce qui m’intéresse, dans le rapport Sarr-Savoy, c’est qu’il nous a enjoints à une sorte d’examen de conscience”, précise-t-il.
Mais “les restitutions sont l’une des réponses qui doivent être apportées à la question plus large sur la manière dont les objets du patrimoine peuvent permettre aujourd’hui une meilleure compréhension entre les différentes cultures, par leur circulation, leur étude, leur valorisation”.
Il juge contre-productives les actions spectaculaires, telles que cette irruption au quai Branly au mois de juin, pour protester contre “le pillage de l’Afrique”. “La question sous-jacente est légitime, je comprends qu’on puisse la poser. L’action utilisée pour la donner à voir me paraît complètement contestable et peut agir de manière inverse à ce qui est souhaité par ces personnes.”
“Macron reconnaît le pillage mais c’est lui qui décide de la quantité d’œuvres restituées et s’il doit y avoir transfert de propriété ou non, c’est une insulte à notre égard”, a martelé le militant Emery Mwazulu Diyabanza, durant le procès.
“À part amuser la galerie, à quoi sert ce genre d’action ? Que vont-ils faire de ces œuvres s’ils les emmènent ?”, a réagi auprès de l’AFP le directeur du programme Musées à l’Agence nationale béninoise de promotion des patrimoines et de développement du tourisme, Alain Godonou.
“Les discussions entre la France et le Bénin avancent très bien, ajoute cet ancien responsable de l’Unesco. Nous sommes en train de tout mettre en place pour accueillir ces œuvres – plusieurs musées sont en cours de réhabilitation – et c’est cela qui compte si nous voulons être crédibles.”
Restitutions d’œuvres d’art : un nid à polémiques et un dossier qui s’enlise
Trois ans après le discours à Ouagadougou d’Emmanuel Macron, qui souhaitait à la jeunesse africaine d’avoir accès à son patrimoine, la restitution des objets d’art pris pendant la colonisation en Afrique et exposés dans les musées français se heurte à de nombreuses difficultés et reste minime.
Le rapport des universitaires Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, remis en novembre 2018, appelait à de vastes restitutions des œuvres arrivées en France pendant l’époque coloniale. Mais à l’heure actuelle, seul un sabre a été rétrocédé au Sénégal et 26 objets le seront d’ici un an au Bénin.
Ces totems et sceptres, pillés lors de la mise à sac du palais d’Abomey par les troupes coloniales en 1892, restent au musée du quai Branly tant qu’un musée au Bénin n’est pas prêt pour les accueillir. Une loi, permettant des dérogations au principe d'”inaliénabilité” des œuvres dans les collections publiques, a permis ces transferts, parce qu’ils avaient fait l’objet de pillages caractérisés.
Le rapport Sarr-Savoy dressait un calendrier de restitutions et un inventaire des dizaines de milliers d’objets que les colons ont ramené d’Afrique. Il proposait un changement du code du patrimoine pour faciliter leur retour quand les États africains en feraient la demande.
La difficulté est de retracer l’itinéraire des œuvres. Certaines sont passées entre plusieurs mains : des administrateur·rice·s, médecins, militaires ou leurs descendant·e·s en ont fait don aux musées. D’autres ont été offertes à des religieux·ses, acquises par les collectionneur·se·s d’art africain au début du XXe siècle, ou encore ramenées lors d’expéditions scientifiques.
Trois problématiques complexifient l’affaire : les changements de frontières après l’indépendance des colonies qui rendent difficiles l’attribution d’une œuvre à un pays, les conditions de conservation des œuvres une fois rendues et le cas d’objets d’art qui “disparaissent” une fois qu’ils ont été restitués à leur pays d’origine.
Les dirigeant·e·s des musées prônent la “libre circulation” pour que les Africain·e·s puissent voir les œuvres : organiser des dépôts de longue durée, des prêts, des expositions tournantes, avec une aide financière à la rénovation ou à la construction de musées.
Des mesures faiblement respectées pour le moment
Mais à part quelques pays menés par le Bénin, la mobilisation des gouvernements africains sur les restitutions reste faible. Dans plusieurs pays, les priorités sont autres que les objets d’art pour lesquels les équipements manquent, selon une source proche du dossier.
Quant au projet d’Emmanuel Macron d’une rencontre entre partenaires européens (Belgique, Royaume-Uni, Allemagne principalement) et africains pour définir une “politique d’échanges”, il semble être tombé dans les limbes.
Au moins 90 000 objets d’art d’Afrique subsaharienne sont dans les collections publiques françaises, 70 000 d’entre elles au quai Branly, dont 46 000 arrivées durant la période coloniale. Selon le rapport Savoy-Sarr, la plupart des œuvres dans les musées français proviennent de butins de guerre, de pillages ou ont été acquis à des prix dérisoires.
Des expert·e·s contestent ces conclusions : la grande partie des objets africains ont été achetés, offerts, échangés et troqués, mais pas pillés. “C’est un cri de haine contre le concept même de musée”, avait lancé Stéphane Martin, qui a piloté la création du musée du quai Branly avant d’en prendre la tête jusqu’à la fin 2019.