Paula Akpan et Harriet Evans photographient des personnes qui sont quotidiennement victimes de stéréotypes et d’agressions sexistes, homophobes ou racistes, en écrivant sur leur corps tous les clichés qui leur collent à la peau.
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Depuis l’été 2015, le projet photographique I’m Tired révèle les peines invisibles inscrites dans la chair de certains. Ses créatrices, Paula Akpan et Harriet Evans, se sont rencontrées alors qu’elles étaient toutes deux étudiantes à l’université de Nottingham, au Royaume-Uni. Elles faisaient partie d’un même groupe mais ne s’étaient jamais vraiment engagées pour une cause auparavant. “Nous nous plaignions toutes les deux des maux du monde : le sexisme, le racisme, l’homophobie et nous n’en avions rien fait !”, raconte Harriet
Puis est né ce I’m Tired Project. Avec leurs images puissantes en noir et blanc, elles ont créé un espace d’expression anonyme mais incarné, personnel et universel, ainsi qu’une communauté dynamique. Leur initiative a été saluée par le prix Points of Light en février 2016. Ce prix récompense l’engagement de bénévoles qui “créent des changements profonds dans leur communauté”.
Une inspiration venue du body art
L’utilisation du dos, de la main, du corps en général, comme support rappelle différentes traditions du militantisme et les travaux de performeurs ou d’artistes se revendiquant du body art. C’est le mouvement Free the Nipple qui a inspiré aux deux jeunes femmes l’envie de se servir des corps comme de tableaux sur lesquels écrire des citations, des phrases percutantes et donner un exutoire à celles et ceux qui sont victimes d’insultes et d’agressions sexistes, racistes ou homphobes.
Cependant, Paula Akpan et Harriet Evans ont rencontré peu d’enthousiasme dans les cercles étudiants qu’elles fréquentaient au début : “On a supposé que comme les étudiants de notre âge étaient sur le point de se lancer dans la course aux jobs, ils ne voulaient pas avoir leur poitrine dénudée exposée partout sur Internet.”
Le dos s’est donc vite imposé comme support car il permet de préserver l’anonymat des modèles mais aussi de souligner “l’idée que la société colle une étiquette à chacun”. La formulation “I’m Tired” (“Je suis fatigué”) résume le ras-le-bol de se voir assigner tel rôle ou d’être victime de préjugés. Marre d’être sifflée, d’être considérée comme la “femme noire en colère”, ou qu’on dise qu’elle est “autoritaire” dans le cas d’Harriet.
Une majorité de femmes prend part au projet
Tout le monde peut participer au projet, que l’on soit un photographe professionnel ou un amateur, tout simplement en envoyant son portrait à l’adresse de Paula et Harriet. Chaque image est accompagnée du témoignage de la personne :
“Nous avons eu cette idée du texte de présentation avec le projet Humans of New York. On a pensé que c’était super d’avoir une image qui raconte une histoire en elle-même mais que c’était aussi important pour la personne qui partage son histoire, d’avoir la possibilité d’expliquer son expérience et pourquoi c’est important.”
Sans surprise, les thèmes les plus récurrents sont ceux de l’image de soi, de son corps, le consentement et le racisme. Pour le moment, il semble qu’une majorité de femmes prend part au projet :
“Je pense que soit les hommes s’inquiètent de paraître vulnérables, soit ils sentent qu’ils n’ont pas tant de choses à raconter. Mais absolument tout le monde est le bienvenu pour participer !
Les jeunes sont assez majoritaires aussi pour le moment, principalement en raison du fait que les plus jeunes générations se sentent exclues de la politique et que nous n’avons aucun intérêt à y prendre part plus directement.”
Les réseaux sociaux sont un vecteur indispensable au bon développement du projet car ils permettent au duo de se connecter avec des gens de la terre entière et d’atteindre ainsi de nouvelles personnes. Paula et Harriet affirment ainsi toucher 2 millions de personnes, toutes plateformes confondues, réparties dans 45 pays. Chaque photo étant vue en moyenne par 23 000 personnes.
Ce projet a tellement de succès que le travail de Paula et Harriet a été exposé à New York en 2016 et, la même année, elles ont été invitées à animer des ateliers dans des écoles : “Nous voulons juste voyager dans le plus d’endroits différents possible pour pouvoir représenter plus de gens”, conclut Harriet, et on ne peut que se réjouir de voir cette jolie médiation libérer toujours plus de paroles.