L’exposition “Yémen, la guerre loin des yeux” fait la lumière sur une des plus graves crises humanitaires du monde.
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Depuis 2015, le Yémen est un pays en guerre dont la situation est plus qu’alarmante mais peu documentée. Sur ce territoire où les journalistes se fraient difficilement un chemin, il devient de plus en plus ardu de mettre des images sur le conflit. Ces trois années de guerre ont enfoncé le pays dans une crise humanitaire urgente, en raison de graves pénuries. La malnutrition et les combats sur le terrain rongent gravement le pays, les frappes aériennes pleuvent sur la population et le monde ferme les yeux sur cette situation qui n’est pas près de cesser.
“Pays trop bien situé” d’après le politologue Ghassan Salamé, le Yémen possède Aden, un port du sud qui ouvre sur une des plus grandes routes maritimes de la planète, menant au détroit stratégique du Bab El-Mandeb connecté au canal de Suez. Il partage ses frontières avec l’Arabie saoudite et Oman, et fait face, côté mer Rouge, à Djibouti, le nord de la Somalie et l’Érythrée.
Sanaa, la capitale, est tenue depuis 2014 par les rebelles houthis, basés dans le nord du pays et soutenus par l’Iran. Ces rebelles combattent une coalition de plusieurs pays arabes sunnites dirigée par l’Arabie saoudite, qui ne veut pas laisser ce pays stratégique aux mains des Houthis et des Iraniens, repoussant ainsi tous ceux qui tenteraient de gagner le sud du pays. La coalition n’hésite pas à bombarder le nord, menaçant cette partie du pays d’un cataclysme total : elle pourrait être accusée de crimes de guerre, selon le Human Rights Watch. Et il n’est, bien sûr, pas dans son intérêt de laisser entrer des journalistes pour rendre compte des horreurs qu’elle commet.
Il faut savoir que le mouvement houthiste, à majorité chiite, a commencé son insurrection en 2004 avec la guerre du Saada et n’a fait que grandir, débouchant sur cette guerre civile yéménite, dix ans plus tard. Le dernier président élu en 2012, Abd Rabbo Mansour Hadi, a été contraint de démissionner deux ans après son élection, débordé par le conflit et ne trouvant pas d’issue. Sa démission en janvier 2015 est finalement rejetée par le Parlement, et il finit par y renoncer. Sa fuite est marquée par le moment où les rebelles se sont emparés du palais présidentiel. L’ancien président s’est d’abord réfugié à Aden, puis, lorsque ce port a été approché par les rebelles, il a fui en Arabie saoudite. Si Hadi est toujours en fonction aujourd’hui, le Yémen est cependant un pays laissé-pour-compte, un territoire meurtri, tranché en deux, duquel on reçoit peu d’images-témoins.
En trois ans et demi de lutte armée, on compte aujourd’hui 10 000 morts et plus de 56 000 blessés, victimes collatérales de cette guerre politique et civile qui dure. La crise humanitaire actuelle risque d’être bien plus meurtrière, menaçant plus de 8 millions de personnes de famine en raison du blocus des ports. Cette guerre tue bien plus de civils que de combattants. À Hodeida, le centre de distribution alimentaire où tout le monde se presse souffre de pénuries. Aujourd’hui, pas moins d’un million de personnes sont atteintes du choléra, selon le Comité international de la Croix-Rouge. Et rien n’est fait pour que la situation s’arrange.
Une exposition collective pour ne pas fermer les yeux
Dans le cadre du festival du Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre − dont les lauréats de la 25e édition ont été révélés ce dimanche −, le commissaire d’exposition Jean-Philippe Rémy (journaliste au Monde et auteur de la série Yémen, la guerre occultée) a réuni les images des rares photojournalistes qui ont pu témoigner de ce conflit invisibilisé par la coalition ces dernières années. L’exposition “Yémen, la guerre loin des yeux” permet de poser un regard sur un conflit que le monde a du mal à voir en face.
À Arte, la photojournaliste française Véronique de Viguerie, qui a couvert cette guerre à l’automne 2017, explique la difficulté d’accéder au pays :
“Il a fallu passer illégalement du sud au nord, et là, c’était bien pratique d’être des femmes puisqu’on a pu se cacher sous des burkas et passer, sur dix, douze heures de route, tous les checkpoints parce que, dès qu’ils [les forces militaires] voient des burkas dans le fond de la voiture, ils ne posent pas de questions et ne regardent même pas. Et on passe. […]
Dans le nord du Yémen, on meurt de tout. On meurt d’une grippe mal soignée, d’une diarrhée, de trucs dont on ne devrait plus du tout mourir, aujourd’hui, au XXIe siècle. C’est un bond en arrière énorme.”
Au musée de la Tapisserie de Bayeux, entre les assises boisées et les faisceaux lumineux perçant les vitraux colorés, sont exposés les travaux de 13 photographes. On se souvient, en 2017, de l’exposition collective des photographes syriens de l’AFP qui nous avait également touchés, en ce même lieu. Cette année, ce sont Khaled Abdullah (Reuters), Ahmad Al-Basha (AFP), Saleh Al-Obeidi (AFP), Maad Al-Zikry (AFP), Guillaume Binet (Myop), Nariman el-Mofty (AP), Véronique de Viguerie, Olivier Laban-Mattei (Myop), Anees Mahyoub (Reuters), Hani Mohammed (AFP), Maria Turchenkhova, Asmaa Waguih et Abduljabbar Zeyad (Reuters) qui voient leurs images affichées dans cette chapelle qui impose la paix et le calme.
Et pourtant, l’horreur de la guerre y est montrée : des frappes aériennes sur Sanaa aux familles qui découvrent leur village rasé, en passant par les hôpitaux où les enfants ont les membres amputés, les morgues et les combats menés sur la ligne de front. Aucun espoir ne se dessine. Le constat est tragique et semble sans issue. Mais le voile est levé sur cette guerre que l’on tait.
“Yémen, la guerre loin des yeux”, exposition collective à voir au musée de la Tapisserie de Bayeux, jusqu’au 4 novembre 2018, dans le cadre du festival Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre.
Un événement est organisé par Yes We Camp et Salam for Yemen ce samedi 20 octobre autour de la guerre du Yémen, aux Grands Voisins (14e, Paris).