Tout a commencé sur TikTok. Des vidéos d’adolescent·e·s se déguisent, arborant un maquillage marqué – d’épais sourcils noirs, un fond de teint trop foncé et des faux cils – et des vêtements de marques sportswear afin de se la jouer “chav“. En Grande-Bretagne, le terme a été particulièrement utilisé dans les années 2000 pour décrire de façon “péjorative” et “dénigrante” (selon le dictionnaire Oxford) “une jeune personne de classe populaire, au comportement rustre et impertinent”.
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L’usage de ce nom, imprégné de mépris social, a infusé la culture britannique du début de siècle, à grand renfort de séries télévisées caricaturant la jeunesse populaire anglaise (à l’instar de Little Britain ou The Catherine Tate Show, note Vice). Près de deux décennies plus tard, la génération Z reprend ces mêmes codes et crée des sketches similaires sur TikTok, réunis pour la plupart sous les hashtags #ChavCheck et #Chav.
© TikTok
Tout y est, l’accent à couper au couteau, l’accoutrement tourné en ridicule tout comme les trajectoires de vie : les filles tombent enceintes adolescentes, veulent se battre, ne se douchent pas et se font remarquer. On remarquera que si le terme serait “dérivé du romani chavo”, qui signifie “jeune garçon”, il n’est utilisé sur TikTok que pour se moquer de filles. Le mépris de classe se double donc de sexisme.
De TikTok à Instagram
Les vidéos grimant les chavs ont eu tellement de succès (des centaines de millions de vues pour les hashtags, plus de 7 millions de vidéos créées sur la chanson “M to the B”, bande-son officieuse de ces vidéos ciblées) que la tendance s’est déplacée sur Instagram, sous forme de filtres. Plus besoin de salir ses pinceaux ou d’investir dans du fond de teint, les filtres intègrent au visage le même maquillage forcé, un faux grain de beauté ou de grosses créoles et piercings.
@__chto_tebe_nado_/Instagram
Vice est parti à la rencontre de certain·e·s des créateur·rice·s de ces filtres. Aucun·e ne vit en Grande-Bretagne ou n’est au courant des problématiques sociales qui sous-tendent le terme. Maxim est russe, tout comme Ilya, et Kiara habite aux Philippines. Tou·te·s affirment avoir été inspiré·e·s par la tendance TikTok et avoir créé leur filtre “pour blaguer”.
Des réseaux sociaux à la polémique
Cependant, plus les filtres ont gagné en visibilité, plus la polémique a enflé. Voyant cela, Maxim a modifié le nom de son filtre. Auparavant baptisé “chav luv”, il est devenu “hey luv” : “J’ai créé ce filtre […] après avoir vu la tendance du #ChavCheck sur TikTok. […] Après quelques recherches, j’ai compris que le terme était une insulte en Angleterre. C’est pour ça que je n’utilise plus ce mot.”
@mollymaybrownn POV: dress down day at school n the chavs are in ur class ##foru ##foruyou ##foryoupage ##fyp ##chav ##girls ##pov ##chavygirls
♬ original sound - Molly may brown
Il est compréhensible que des jeunes sur les réseaux sociaux ne se rendent pas compte d’à quel point le terme est chargé de sous-entendus, d’autant plus lorsqu’ils ne vivent pas en Grande-Bretagne ou n’ont pas connu les politiques britanniques autoritaires visant la “jeunesse délinquante” – à qui on prête les traits des chavs. Le stéréotype du chav, appuie Vice, est rempli de snobisme, d’élitisme et de classisme.
En quelques semaines et millions de vues, la “tendance” a remué une partie de l’histoire sociale de l’Angleterre ainsi que les inégalités de sa population, souligne le professeur en linguistique Joe Bennett : “Jouer avec l’image du chav sans comprendre la vieille histoire des inégalités sociales du Royaume-Uni est une grosse partie du problème.”
© @tehnc/Instagram