Au début de Lene Marie ou le vrai visage de l’anorexie, le documentaire qui lui est consacré, Lene Marie Fossen raconte qu’elle a toujours “voulu arrêter le temps, parce qu’il passait trop vite”. “Je ne voulais pas grandir, je voulais rester enfant”, énonce-t-elle en revenant sur les débuts de sa maladie. Au printemps de ses dix ans, elle a arrêté de s’alimenter pour figer le temps. Dans ce même but, et grâce à une thérapie, elle s’est mise à la photographie – une façon également de témoigner de la réalité de sa maladie.
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Les réalisatrices du long-métrage documentaire Margreth Olin, Espen Wallin et Katja Høgset ont suivi la jeune Norvégienne plusieurs années. Elles alternent des témoignages face caméra de Lene Marie et de ses parents ainsi que des fragments de son quotidien de femme malade et de photographe, ces deux pans s’entremêlant étroitement. Arte note, à raison, à quel point la réalisation du trio de femmes évite le voyeurisme (à l’image du travail de Lene Marie) et “ne prétend pas expliquer le mystère” de l’anorexie.
“The Gatekeeper”. (© Lene Marie Fossen)
Tout comme les photographies de Lene Marie, certaines images du documentaire sont difficiles à soutenir. L’artiste tente d’expliquer, avec une sincérité aussi brute que fragile, la maladie qui la ronge depuis plus de vingt ans au moment du tournage, terminé en 2019 :
“La douleur n’est pas seulement physique, elle est également psychique. Tu es dans une maison qui brûle, sans pouvoir en sortir. Tu cherches partout des portes mais tu n’arrives pas à sortir. C’est comme si tu avais deux parties en toi, une qui voudrait guérir et une qui s’accroche à la maladie. Quoi que tu fasses, une moitié ne sera pas d’accord.”
Un “régime nazi” dans le corps
“C’est comme si j’avais un régime nazi dans mon propre corps”, témoigne-t-elle. Elle raconte ses séjours à répétition à l’hôpital, enfant, où elle était nourrie de force, le “système de récompenses et de punitions” qui l’oppressait et sa phobie qui en a résulté, adulte. Des images de Lene Marie petite sont diffusées, au moment où la maladie s’est déclarée. Elles sont commentées par elle-même et ses parents, qui s’interrogent quant à comment les choses auraient pu se passer autrement.
“The Gatekeeper”. (© Lene Marie Fossen)
Lene Marie ou le vrai visage de l’anorexie partage les perceptions de ses parents, leurs appréhensions et leurs tentatives pour aider leur fille. “Elle dit qu’elle devient folle”, écrit sa mère, inquiète, à un médecin. On les entend en thérapie, racontant leurs cauchemars, leurs angoisses : “Je me vois à son enterrement”, laisse échapper son père en sanglotant.
La photographie comme une béquille
“J’ai 28 ans et je n’ai jamais atteint la puberté […] parce que ça m’effraie, j’ai peur de grandir, je veux rester enfant”, confie Lena Marie Fossen en voix off. Chose intéressante, elle déclare, malgré son refus à elle de vieillir, aimer photographier des personnes âgées. Elle s’émeut du fait que chaque ride raconte une histoire : “Ce qui me fascine dans les portraits, c’est l’être, l’humain. Notre visage raconte notre histoire”, ajoute-t-elle.
Cette nécessité de raconter les autres lui a permis de tenir, de faire “travailler son corps” et donc de faire “autre chose que d’être malade” :
“Quand tu arrêtes de manger, tu étouffes tes émotions, tu te laisses flotter. J’ai failli mourir plusieurs fois, en fait c’est un suicide à petit feu. Je me disais : ‘Si je meurs, je meurs.’ Mais l’année dernière, j’ai eu un sursaut et j’ai commencé à avoir peur : ‘Si je meurs aujourd’hui, que va-t-il se passer ?’ Je dois guérir, j’ai encore tant de photos à prendre.”
“The Gatekeeper”. (© Lene Marie Fossen)
Persuadée que sa “guérison passera par la photo”, elle panique lorsqu’elle se rend compte que sa vue baisse à cause de sa sous-nutrition. En plus de ses portraits de personnes âgées mais aussi d’enfants, notamment de réfugié·e·s rencontré·e·s en Allemagne, elle prend de nombreux autoportraits. Cependant, note-t-elle, “ce n’est pas [elle] sur les photos” : “C’est plutôt une représentation de ce qui me dépasse : les émotions, la douleur.” Elle montre son corps nu afin de lever le voile sur l’anorexie : “J’ai souvent eu honte de moi et de ma maladie, je veux montrer une vie remplie de douleur mais aussi montrer que la douleur peut être belle.”
Le 22 octobre 2019, Lene Marie Fossen est décédée des suites d’un arrêt cardiaque. Elle aura réalisé son rêve avant de mourir, celui de présenter ses autoportraits dans une exposition, intitulée “Mélancolie”. Ses photographies sont également présentées dans un livre magnifique, The Gatekeeper, dont certaines pages sont scellées, à l’instar de ses interrogations. L’ouvrage révèle toute l’étendue de son talent, de sa maîtrise de la texture et de la composition à sa sensibilité artistique et psychologique.
“The Gatekeeper”. (© Lene Marie Fossen)
“The Gatekeeper”. (© Lene Marie Fossen)
“The Gatekeeper”. (© Lene Marie Fossen)
“The Gatekeeper”. (© Lene Marie Fossen)
“The Gatekeeper”. (© Lene Marie Fossen)
Couverture de “The Gatekeeper”. (© Lene Marie Fossen)
Le documentaire Lene Marie ou le vrai visage de l’anorexie est disponible en libre accès sur le site d’Arte jusqu’au 17 septembre 2020. Son livre photo, The Gatekeeper, est disponible aux éditions Kehrer Verlag. Le numéro de la ligne “Anorexie-boulimie-info-écoute” est le 0810 037 037.