© Mous Lamrabat
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Né dans le nord du Maroc et ayant grandi en Belgique, le photographe Mous Lamrabat exploite avec brio sa double culture dans son travail. Plaçant son regard des deux côtés de la Méditerranée, il crée des images décalées qui témoignent de son identité plurielle.
Niqab et champagne, luxe et bled, voile et McDonald’s se mêlent dans ses photos, au gré de références culturelles marocaines. Son héritage et ses valeurs, il les revendique aujourd’hui, en mettant un point d’honneur à transmettre un message d’amour et d’union à travers l’humour.
Le temps d’une interview, il nous explique comment il est passé de la photographie de mode “occidentale” à des travaux plus personnels, nous a parlé de la création de son univers qu’il appelle le “Mousganistan” et de ses inspirations qu’il puise dans des objets traditionnels du quotidien.
Cheese | Bonjour Mous ! Comment as-tu commencé la photo ? Et pourquoi avoir choisi ce medium particulièrement ?
Mous Lamrabat | J’ai commencé la photographie après mon diplôme de décoration d’intérieur. J’ai tout de suite aimé la rapidité de la créativité qu’il y a dans la photographie et le fait qu’être créatif est une partie importante du processus. J’aime l’idée de transmettre un ou plusieurs messages dans une seule image.
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Dans ton travail, où puises-tu ton inspiration ?
Le continent africain et le Maroc, plus précisément, sont mes inspirations principales. Quand je voyage là-bas, les objets de la vie quotidienne m’inspirent. Ce que j’utilise dans mes photos sont des choses que les Marocains ont dans leur maison et utilisent tous les jours. Il y a tant de beauté dans les objets que des gens utilisent depuis des siècles.
C’est parce que je vis en Belgique [à Gand, ndlr] que je vois toutes ces choses, tout ce kitsch lorsque je vais au Maroc… Et je tomberais toujours amoureux de cela. L’inspiration là-bas est infinie. Je suis incapable d’aller au marché, par exemple, sans revenir avec au moins des dizaines d’idées [sourire].
Comment repères-tu tes modèles ? Fais-tu appel à des stylistes ?
Les modèles que je photographie ne font pas partie de ce milieu. Ils ne sont pas professionnels mais ils ont tous des traits particuliers. Je travaille avec des stylistes parce que, de cette manière, je peux renforcer et partager ma vision avec d’autres esprits créatifs. Je travaille beaucoup avec ma petite amie, Lisa Lapauw, qui est styliste, et avec sa recherche créative de mon ADN en tant que photographe, commencée il y a un moment.
L’an dernier, j’ai aussi travaillé avec Artsi Ifrach, un designer marocain qui vit à Marrakech [et qui a fondé Maison ARTC, ndlr]. On a commencé à travailler ensemble sous le nom de collectif “ArtsiMous“. On a beaucoup de points communs, du point de vue de nos deux univers. On s’inspire beaucoup et on marche beaucoup dans la ville, ce qui nous donne l’inspiration dont nous avons tous les deux besoin.
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En quoi ta propre culture marocaine joue un rôle dans ton travail ? En quoi le fait d’avoir grandi en Belgique, et d’avoir connu une double culture, a influencé ton travail ? Y vois-tu une sorte de revendication de tes origines maghrébines et une quête identitaire ?
Eh bien, on a tous des crises identitaires à un certain âge. Je suis marocain, je suis belge. Mais cela ne s’arrête pas là ! Je réalise que les gens d’autres pays africains me voient comme un Arabe et que les Arabes me voient comme un Africain. Donc j’ai développé une autre crise identitaire [sourire].
Au bout d’un certain temps, j’ai arrêté de voir cela comme une faiblesse mais comme une force. J’ai une exposition en ce moment, et je vois que mon travail parle beaucoup à tous ces gens (Marocains, musulmans, Européens, Africains…) ! Donc j’adore voir que cela rassemble tous ces gens. Je veux faire de ce monde un monde meilleur et cela commence par là [sourire].
Que penses-tu de la scène artistique actuelle arabe et maghrébine ? Selon toi, y a-t-il eu des changements ces dernières années ? Te semble-t-elle plus représentée ?
Je pense que cela évolue tous les jours. Les gens s’inspirent entre eux et on s’exprime, ce qui est incroyable. Je pense que les scènes artistiques arabe et maghrébine sont en train d’exploser et cela me stimule davantage. Finalement, les gens qui viennent du même milieu que moi peuvent s’identifier à une scène artistique dans laquelle ils se sentent bien.
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Tu confrontes souvent des mondes qui semblent opposés : l’Orient et l’Occident, la mode et le bled, McDonald’s et le voile, la tradition et la modernité. Tu fais des shootings mode décalés avec les codes de la culture arabe et du Louis Vuitton, par exemple. Quelle idée veux-tu transmettre à travers ces rencontres et contrastes. Est-ce que ces mondes sont si opposés, finalement, selon toi ?
Personnellement, mon but n’est pas de choquer ou de montrer les contradictions de ces mondes, mais plutôt de les fusionner et de les tisser ensemble. Bien sûr, je veux que mes images aient un message et j’essaye de l’amener avec de l’amour, du respect et de l’humour.
On peut voir effectivement beaucoup d’humour à travers tes photos. Est-ce que c’est important pour toi ? Est-ce une arme pour déconstruire les stéréotypes qui entourent la culture arabe aujourd’hui ? Est-ce que tu considères ton travail comme étant engagé ?
L’humour est tout ce que j’ai [clin d’œil]. Comme je l’ai dit, je veux utiliser l’amour et l’humour pour transmettre un message. Finalement, je veux rassembler les gens ! Surtout dans les temps que nous vivons, où c’est “nous” contre “eux”. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, on pense que nous n’avons plus besoin des autres. Et cela m’effraie. Mes messages politiques et mon engagement à travers mon travail sont assez simples : “Arrêtons le racisme et arrêtons de se penser meilleurs ou plus importants qu’un autre.”
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À une époque où le monde musulman est très stigmatisé, notamment en Europe, quels sont tes enjeux en tant qu’artiste marocain ?
Il y a deux enjeux dans mon message : le premier est de montrer au monde occidental qu’un musulman est capable de créer de l’art comme ils l’entendent [les Occidentaux, ndlr]. Je suis un photographe de mode qui a le luxe de connaître ces mondes différents parce que j’ai grandi dans une famille avec les traditions et valeurs marocaines. Mais quand je sortais, j’étais entouré par la culture occidentale. J’ai compris comment je pouvais faire entrer en collision ces deux mondes et créer, à partir de cela, un nouvel univers, à moi.
Beaucoup d’Occidentaux sont encore effrayés par les musulmans parce qu’ils pensent que nous sommes différents d’eux. Ils ne nous connaissent qu’à travers des clichés et du jugement, et c’est triste. Beaucoup de fois, j’ai dû me prouver à moi-même que je pouvais me faire respecter par eux parce qu’ils ne pouvaient pas croire qu’un “mec comme moi” (= un musulman) était capable de créer ce genre de photos.
L’autre enjeu est de montrer à la société marocaine (ou maghrébine) que leur culture peut être très artistique. J’utilise beaucoup d’objets typiquement marocains dans mon travail, et beaucoup de gens ne les trouvent pas spécialement artistiques puisqu’ils leur paraissent simples. Mais quand tu les utilises hors de leur contexte, ils deviennent intéressants et inspirants. Tout à coup, ces personnes deviennent fières de faire partie de cet héritage que j’utilise dans mon art.
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Est-ce qu’il y a une image dont tu es particulièrement fier et dont tu aimerais nous parler ?
J’ai fait cette photo de mes parents il y a quelques années. Ils tiennent et partagent un churro. C’est une image marrante et cela me rend très heureux de les voir comme ça. Ils semblent si heureux et fiers, donc tu peux imaginer comment je me sens, en sachant que pendant un long moment, ils m’interdisaient de prendre des photos dans leur maison [sourire].
Tu as fait cette photo très drôle d’une femme en niqab bleu qui fait référence à la couverture de Paper Mag avec Kim Kadarshian, photographiée par Jean-Paul Goude. Peux-tu nous expliquer comment tu as procédé, comment l’idée t’est venue à l’esprit, et s’il y a un message derrière ?
Quand j’ai vu l’image originale de Jean-Paul Goude [celle avec Carolina Beaumont, ndlr], j’étais très impressionné, bien avant que Kim Kardashian le fasse aussi. Et j’ai toujours voulu essayer de faire quelque chose de similaire mais qui reflète mon univers.
Le message n’est pas si lourd, je suis simplement quelqu’un qui aime considérer les choses avec humour. Et pour être honnête, la culture arabe est très drôle, elle n’est juste pas souvent associée à de l’humour [clin d’œil]. Cela ne doit pas tout le temps être lié à quelque chose de politique.
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Tu parles souvent du “Mousganistan” sur les réseaux. C’est ton pays à toi ? Comment tu as pensé cet univers ?
Lors de ces derniers mois de travail, je n’avais pas une idée claire de ce que je voulais faire de mes photos. Je n’avais pas encore d’exposition planifiée et j’avais une impulsion créative, je travaillais sur beaucoup d’idées que j’avais. Mais quand les gens ont vu mes photos, mon univers leur sautait aux yeux et ils disaient qu’il était singulier.
Un jour, j’ai écouté la chanson de M.I.A., “Freedun”, dans laquelle elle chante sur les personnes de la République du Swaggerstan [nom de pays inventé qui fait référence au “swag”, au style, ndlr]. À ce moment, le mot “Mousganistan” est venu à mon esprit et il représentait bien ce que je faisais.
D’ailleurs, en ce moment, tu es exposé en Belgique, peux-tu nous en dire un peu plus sur ce projet ?
C’est ma première exposition solo et elle porte sur mon travail personnel récent. Rien n’a été commandé, tous les concepts sont des idées que j’ai photographiées l’an dernier. Je n’ai jamais pensé à une exposition avec ces images quand je commençais tout le mouvement “Mousganistan”.
Quand je créais ces travaux, je ne savais pas où j’allais mais après un certain temps, les gens ont commencé à apprécier. Ils parlent de “mon univers” comme étant mystérieux, esthétique, absurde et surréaliste à la fois… J’ai donné dans le job de photographe de mode occidentale, j’ai compris comment cela marchait, et il me manquait quelque chose.
C’est pourquoi je suis revenu aux choses que je connaissais le mieux, des traditions culturelles à la manière dont j’ai été éduqué. Apparement, le mélange des deux est unique. [L’exposition est visible jusqu’au 24 mars 2019, dans le hall d’exposition du musée Zwijgershoek, à Saint-Nicolas, en Belgique, ndlr].
Dernière question : quels sont tes futurs projets ?
Je ne sais pas trop ce qui va arriver, actuellement, il y a beaucoup de choses qui se passent. Je profite simplement de cette expérience et je pense que le meilleur reste à venir [clin d’œil]. J’ai aussi une agence parisienne appelée “Handsome”, et ils croient beaucoup en moi, et comprennent mon travail. Ils me poussent dans une direction que je souhaite emprunter. Et j’ai hâte.
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