C’est une fresque géante de visages ; certains sont rieurs, d’autres graves, dignes et intenses. Tous vivent ou ont vécu dans le quartier d’Imperial Courts à Los Angeles. Une partie du travail de Dana Lixenberg est à découvrir ce week-end à Paris Photo.
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1993 ou 2015 ? Impossible de savoir à quelle décennie appartiennent ces portraits de Dana Lixenberg. Entre ces deux dates, elle a photographié plusieurs générations d’habitants du quartier populaire d’Imperial Courts, dans le Watts à Los Angeles. Née en 1964, Dana Lixenberg a étudié la photographie à Amsterdam, où elle est née, et à Londres. Aujourd’hui, elle vit et travaille entre sa ville natale et New York. Elle consacre la majeure partie de son œuvre à l’Amérique et collabore régulièrement avec de grands titres de presse comme le New Yorker, ou le Time.
L’histoire de Dana avec l’Imperial Courts commence en 1992. Cette année-là, une vague d’émeutes éclate après que quatre policiers blancs, accusés d’avoir violemment battu Rodney King, habitant du quartier au moment des faits, sont acquittés et relâchés. Les émeutes ont duré six jours et ont fait une cinquantaine de morts et plus de 2 000 blessés. La photographe s’est rendue sur place l’année suivante dans ce qu’on imagine être un quartier dont les plaies sont encore à vif.
Elle sympathise avec Tony Bogard, ancien chef de gang devenu chef de la communauté locale. C’est grâce à lui que Dana Lixenberg est tolérée et peut travailler au plus près de la vie des habitants du quartier. Il est tué l’année suivante. Auprès du Monde, elle raconte :
“Au début, ils ont pensé que j’étais du FBI ou de la presse. Mais, chaque jour, je revenais avec les planches contact de la veille, et des Polaroid, et petit à petit ils m’ont acceptée. C’est le projet qui a fait de moi la photographe que je suis, il m’a façonnée, et j’ai vieilli avec les habitants. Je serai toujours liée à eux. […]
J’ai appris à connaître les gens et leurs relations… J’ai réalisé des photos de groupe, j’ai fait poser les enfants, puis les petits-enfants. Avec le temps, les gens ont été de plus en plus émus par les images, parce qu’il leur est arrivé tant de choses.”
Cette histoire éclaire toute la valeur que le travail de la photographe a prise pour le quartier : ce sont des témoignages, des œuvres qui racontent le quotidien et les liens qui unissent ces gens mis à l’écart du reste de la ville et de la société américaine. Elle immortalise ces sujets, de tous âges, à l’extérieur, comme un hommage à ce ghetto.
En 22 ans de fréquentation du quartier, elle place ainsi l’identité noire au cœur de son projet. Déjà récompensée en 1995 pour les portraits d’Imperial Courts, Dana Lixenberg a d’ailleurs remporté cette année le prix Deutsche Börse pour le livre tiré de son travail : Imperial Courts 1993-2015.
Au cours de sa carrière, Dana Lixenberg se rend plusieurs fois sur place. Ce travail gigantesque est en fait divisé en trois parties : les photos, le webdocumentaire (librement accessible en ligne) et le livre. Sur la plateforme dédiée, tout est encore divisé en trois parties : les portraits, les histoires filmées et les contributions des résidents d’Imperial Courts.
Les différents témoignages combinent les photographies de l’artiste avec d’autres media (vidéos, textes) pour retranscrire leur vie de quartier. L’ensemble vise à construire une historiographie participative du quartier, dont les habitants sont à la fois les personnages et les co-auteurs.
Le noir et blanc de ces portraits réalisés à la chambre photographique contraste avec l’image colorée des reportages vidéo. Autant les portraits mettent en avant l’individualité et le caractère de chaque habitant, autant les vidéos tournées avec la documentariste Eefje Blankevoort nous ancrent dans le présent et soulignent une sorte de triste permanence entre la vie en 1993 et aujourd’hui.
Le quartier de Watts avait déjà été le théâtre d’émeutes en 1965, suite à l’arrestation arbitraire d’une famille noire. Il n’a été au centre de l’attention médiatique que pour ces événements tragiques de 1965 et 1993, et il est comme oublié à nouveau aujourd’hui.
Elle est exposée à Paris Photo jusqu’au 12 novembre 2017.