On a testé un cours de dessin sur modèle vivante nue

On a testé un cours de dessin sur modèle vivante nue

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© Donnia Ghezlane-Lala/Konbini arts

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le , modifié le

De la frustration à la libération, on s’en est mis plein les mains.

C’est à Pantin, dans un bâtiment industriel aux grands plafonds et aux murs immaculés, que le duo du Paon nous a reçues, ma collaboratrice Lise et moi, pour un cours de dessin sur modèle vivante nue.

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Entre Paris et Lyon, cet atelier d’artistes donne des cours de dessin, de peinture, de lithogravure et de sculpture animée par une trentaine d’intervenant·e·s ayant une approche ludique qui désacralise le cours traditionnel d’arts plastiques. Chaque session est d’ailleurs suivie d’un apéro.

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Juliette et Margaux, les deux fondatrices, nous ont donc accueillies dans leur atelier, aux côtés d’autres journalistes et dessinatrices également invitées. En arrivant, nous posons immédiatement nos sacs, avant même de tenter des approches amicales de grandes personnes invitées dans des beaux endroits.

Connaissant mon faible niveau, je choisis la première rangée, comme une élève un peu fayotte. Nous commençons à photographier les alentours et à déambuler, un peu curieuses de tout ce qui nous entoure.

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C’est la première fois que nous prenons un cours de dessin. Tout est très bien indiqué, des panneaux indiquent le matériel à saisir : un porte-bloc, des feuilles de différents formats et couleurs, des crayons, des feutres, des fusains, des gommes, des pastels…

Mon cœur penche immédiatement pour les pastels et les fusains. Je choisis avec soin une sorte de bleu Klein, des tons beiges, pensant à la peau qui se révèlera devant moi plus tard. Je voulais m’en mettre plein les mains et me sentir comme Penélope Cruz dans Vicky Cristina Barcelona.

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Une activité décomplexante

Pas le temps de se présenter, le cours commence déjà, avec une musique en fond. Une introduction générale est faite par Margaux, puis ce sera au tour de Juliette d’animer l’atelier dessin, elle-même illustratrice.

Marie, la modèle vivante qui nous accompagnera tout le long de la session, arrive et commence à ôter son peignoir en satin. Ce simple geste résonne en nous ; on s’identifie à un vrai corps, un certain sentiment de liberté nous gagne et c’est décomplexant à souhait, même pour nous qui restons habillées, à la contempler.

Sa nudité nous renvoie au rapport que nous entretenons avec notre propre corps. On ne ressentait aucune vulnérabilité, aucune honte, aucun jugement, aucune intimidation. Ma collègue me dira plus tard : “À ce moment-là, j’ai su qu’on était là pour se laisser aller.”

© Lise Lanot/Konbini arts

HELP !

Juliette commence sa leçon en nous demandant d’oublier l’idée de technique, de perfection, de réalisme. Pas de “je ne sais rien faire de mes mains”, mais “de l’expérimentation”. Le rythme est intense et me perd un peu dès le début : les temps de dessin à contraintes sont très courts, entre trente secondes et deux minutes maximum.

On gribouillait plein de petites choses éphémères et avortées tandis que Marie prenait des poses très inspirées, parfois alambiquées. La perfectionniste frustrée que je suis n’a pas le temps de s’appesantir sur les détails, mais c’est le but, m’assure Juliette.

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Nous dessinons avec notre “main faible” (comprendre : celle avec laquelle nous n’écrivons pas) ; nous dessinons avec tout le bras, dans de grands gestes ; nous dessinons les vides et les formes géométriques que le corps de Marie nous renvoie ; nous dessinons sans regarder notre feuille, à l’aveugle, par images mentales de masses…

Si ces contraintes et notices conviennent à ma partenaire, moi, je finis par pouffer de mes esquisses rigides, de mes corps informes et de mes brouillons inachevés. Je sens le regard de Lise plein de compassion et d’encouragement, à mes côtés. Elle, elle trace, et ça a vraiment de la gueule. Certains de mes dessins, censés représenter un corps féminin (rappelons-le), ressemblent étrangement à des… chaises – oui, oui, le cubisme est peut-être en moi, quelque part.

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Ma libération – et un verre à vin renversé

Après avoir aiguisé notre regard, notre sens de l’observation et des perspectives, nous passons aux choses sérieuses. C’est là que ça devient plus intéressant pour moi. “On va désapprendre tout ce qu’on vient d’apprendre.” Ça me plaît. “On va essayer de se surprendre, prendre son temps”, poursuit Juliette, nous invitant à utiliser de la couleur, à nous faire plaisir.

L’exercice qui m’a libérée de ma frustration était celui de “l’accident”. Le but était de donner lieu à un “faux accident” et de créer autour : par exemple, froisser sa feuille, la déchirer, la salir, ou la recouvrir de gribouillis de pastels, comme j’ai choisi de faire. Bizarrement, mon fond était assez harmonieux et m’apportait un cadre même si les couleurs n’allaient pas ensemble en premier lieu.

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Sur cet “accident”, il fallait donc dessiner le corps de Marie en quelques minutes. Je m’y attelle avec une facilité qui me trouble, suite à tous mes échecs. Mon sein ressemble presque à un vrai sein, mes jambes ne sont plus des tiges droites, ses hanches sont assez proches de la réalité, et j’ai même le temps de gribouiller un chignon.

Mon cerveau parvient à décomposer son corps de manière à le rendre crédible – et non “chaise”. Ce n’est pas forcément beau et certainement pas parfait, mais c’est une proposition qui se vaut, me dis-je, et ça commence à prendre forme. Je suis gauchère, on dit que les gaucher·ère·s sont davantage connecté·e·s à leur part de créativité, et je commence à comprendre cette légende face à cet exercice plus libre.

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J’apprécie tellement mon tracé que je parviens à réaliser deux dessins durant le temps réglementaire, huit minutes, si je me souviens bien. Comme si je voulais dévorer ce moment et ne pas le laisser filer avant la prochaine épreuve finale “carte blanche”. Je me sentais presque artiste, et pourquoi pas tout quitter pour dessiner des femmes nues ?

Pour parfaire mon lâcher-prise, je provoque un réel accident en renversant mon verre une première fois, dans ma transe maladroite et idiote. Mais c’est vite épongé… jusqu’à ce que je le renverse une deuxième fois. “Laisse-le, il ne tombera pas plus bas, au moins”, sourit Juliette. Décidément, j’aime les accidents.

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Quelques pistes d’amélioration

Si ces exercices se sont étonnamment révélés à la fois frustrants et libérateurs pour moi, je venais tout de même avec des attentes précises, avec cet intitulé de “Drink & Draw”. Le cours a été quelque peu magistral, il n’y a pas eu d’échanges entre les participant·e·s, de retours très construits, je m’attendais à une ambiance de sororité décomplexée, et nous avons plutôt eu le droit à des échanges assez silencieux et timides.

On s’est assises, on a dessiné en silence, sans connaître nos prénoms. Je m’attendais à ce que chacune se présente, qu’on confronte nos dessins, qu’on se les montre, qu’on en parle, qu’il y ait un peu plus d’interaction. Difficile donc de se désinhiber totalement pour l’apéro qui suit. Cela ne nous a pas empêchées de goûter aux fromages et au délicieux houmous, en repartant ravies d’être sorties de notre zone de confort et d’avoir vécu quelque chose d’assez insolite.

© Donnia Ghezlane-Lala/Konbini arts

Si vous ne pouvez pas vous déplacer à Lyon ou à Paris, sachez que Le Paon donne aussi des cours en ligne retranscrits en direct deux à trois fois par semaine. Ces séances lives sont disponibles en rediffusion. Pour en profiter, il suffit de s’abonner.

Merci à Lise Lanot pour son accompagnement et ses retours d’expérience.