Si certains domaines de la photographie sont représentés au cinéma ou dans la presse, on ne sait que peu de chose sur le métier de photographe de nature morte. Nous avons rencontré une professionnelle de cet art, qui nous a raconté les dessous de son métier.
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Lorsqu’on parle de photographie artistique, de photographie de mode ou de photographie de portrait, les métiers qui se cachent derrière ces termes sont en général assez clairs. Sans forcément entrer dans les détails, on a toujours une petite idée de la nature de ces activités. Cela n’est pas forcément le cas pour la photographie de nature morte.
Du point de vue pictural, la nature morte consiste en l’assemblage d’objets inanimés, la plupart du temps des corbeilles de fruits et de fleurs, voire aussi des cadavres d’animaux. Si les artistes représentent des natures mortes depuis l’Antiquité, le terme n’apparaît qu’au XVIIe siècle, au moment où le genre devient particulièrement populaire.
Les représentations réalistes ne sont pas dénuées de symbolique et les natures mortes figurent aussi le passage du temps et la mortalité inhérente à l’homme. Cela signifie-t-il pour autant que le photographe de nature morte passe son temps à immortaliser des corbeilles de fruits ou à les arranger à la Arcimboldo ?
Pour y voir plus clair, nous avons rencontré Charlotte Evrard, photographe de nature morte basée à Paris, qui a beaucoup à dire sur son beau métier. Selon ses propres mots, la photographie de nature morte est une petite niche dans le monde de la photo commerciale, qui s’intéresse à tout ce qui est inanimé (d’où l’appellation de nature morte). Cela peut être des parfums, des cosmétiques, de la joaillerie, de la maroquinerie, des objets électroniques ou des meubles design.
Dans le vaste domaine de la photographie, la photographie de nature morte représente donc une spécialisation considérable. Charlotte Evrard a, elle, choisi de se focaliser sur le domaine du luxe et des “beaux objets”. Elle peut ainsi passer des heures, seule avec son objectif, à magnifier avec une précision inouïe une montre ou un sac en cuir.
Il y a une atmosphère caractéristique dans la photographie de nature morte, comme un “véritable microcosme à l’intérieur du monde de la photo commerciale”, explique la jeune femme. Elle souligne avec un sourire que son domaine paraît sûrement moins “sexy” que la photo de mode par exemple, puisque ces séances-ci se font souvent en musique et fourmillent de divers professionnels et assistants.
Le photographe dit : “Que la lumière soit !”, et la lumière fut
Contrairement à la photographie de mode, dans la photo de nature morte, l’équipe est souvent très restreinte et la relation entre le photographe et l’objet photographié devient presque intime. Après la rencontre, vient l’apprivoisement puis la photographie :
“Au milieu d’une pièce, il y a un objet, on allume la lumière et là on commence à découvrir un début d’histoire, à commencer à comprendre sa forme, sa réaction face à la lumière et au mouvement. Au fur et à mesure, on construit l’histoire en rajoutant une lumière ou un reflet pour finalement montrer un objet qui ne demandait qu’à être mis en valeur. J’aime cette idée de partir du noir pour montrer ce qui ne demandait qu’à être éclairé, c’est assez passionnant.”
À la façon du sculpteur qui dévoile une forme dans le bloc de marbre, le photographe vient éclairer et créer le sens qui se trouve dans la matière. Le photographe joue et travaille avec la lumière au millimètre près : “Une séance photo, c’est un choix permanent. À chaque seconde, on se demande si la lumière est mieux à gauche, à droite, un peu plus en haut ou en bas.”
En plus d’un travail d’artiste, c’est donc aussi un travail de physicien. Charlotte Evrard le confirme. Elle apprécie la rencontre que permet son travail entre des choix esthétiques et des connaissances physiques sur la lumière – le déportement des rayons et leur intensité, les matériaux et la façon dont ils interagissent entre eux.
La photographe devient chimiste lorsqu’elle prépare son plateau et fait exploser, par exemple, des roses à l’azote liquide pour une photo de parfum. Elle s’est ainsi fait livrer une énorme bonbonne d’azote liquide, dans laquelle elle a plongé des roses qui, au contact de l’azote, gèlent et deviennent très cassantes.
C’est avec une extrême précision qu’il faut ensuite placer ces fragiles roses sur le plateau, avant de les faire exploser à l’aide d’un élastique lâché à un temps très précis et à une vitesse très élevée. L’explosion des fleurs est captée en plein vol par une haute vitesse de flash qui permet de voir des choses que l’œil nu ne peut pas déceler.
Si le résultat est impressionnant, la mise en place est digne d’un “temple feng shui”, précise Charlotte Evrard, qui raconte que ses instruments de travail principaux vont de la pince à épiler à la petite broche. Le photographe de nature morte se retrouve comme un chef d’orchestre qui veille à ce que l’histoire d’un produit soit racontée de la plus belle des façons.
Comme le signale Charlotte Evrard : “On n’est pas tant là pour montrer le produit que pour raconter l’histoire qui va avec le produit.” C’est un travail de mise en scène et d’ambiance qui permet à l’éclairage de “mettre dans l’ombre, suggérer une courbe et sentir la matière, une touche brillante sur le côté par exemple”.
Vivre de la photographie de nature morte
Passionnée par les arts et plus particulièrement par la façon dont la photographie mêle arts et sciences, Charlotte Evrard a décidé de suivre des études de photographie aux Beaux-Arts. Si elle s’est tournée vers la photographie de nature morte, c’est justement parce que l’attention aux détails et la minutie dont il faut faire preuve s’accordaient à son caractère.
Après des expériences en tant qu’assistante, elle a pu fonder son propre studio et se constituer un carnet d’adresses. Il est important de se spécialiser et de faire connaître son travail, car les marques s’adressent aux photographes selon leur travail : les clients choisissent généralement des artistes avec lesquels ils s’accordent sur la façon de travailler.
Pour parler plus concrètement, cela signifie par exemple que pour un parfum, une agence de communication va commencer par travailler l’histoire autour du parfum et définir la ligne, et donc choisir à qui le produit s’adresse et quel message la marque veut transmettre.
La réflexion concernant les visuels de la campagne peut alors débuter et les plus grosses marques font appel à une acheteuse d’art, qui doit trouver un panel de photographes qui pourraient correspondre à la demande de visuels. Ces photographes montent chacun un projet et la marque désigne quel projet est le plus adapté à leur vision.
Qu’ils s’agissent des séances photo elles-mêmes ou de la mise en place de projets pour une marque, l’activité des photographes de nature morte est un travail de longue haleine. Comme dans de nombreux domaines, la plus belle prouesse de ces artisans de la lumière est de parvenir à faire croire que leur travail est d’une folle simplicité.
Vous pouvez retrouver le travail de Charlotte Evrard sur son site.