Etel Adnan était écrivaine, poète et journaliste, peintre, illustratrice et graveuse. Elle est née en 1925 à Beyrouth où ses parents se sont installés après avoir fui Smyrne qui prenait feu. “Je suis la fille unique d’une famille qui a vécu la guerre et l’exil comme conséquence de la guerre. Mon père était Syrien, officier de haut rang de l’Empire ottoman, et ma mère était une Grecque de Smyrne, dont le père était un sculpteur en bois.”
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Adnan était de toutes les origines, elle deviendra même États-Unienne. “L’être humain est multiple”, disait-elle, et Etel Adnan en était l’exemple parfait. Jeune, elle voulait être architecte. “J’avais 17 ans et j’ai dit à ma mère : ‘Je veux être architecte’.” Sa mère lui a répondu : “Tu n’as pas honte ? C’est un métier d’homme.” Elle songe alors à étudier la philosophie. “Songer est un mot qui peut difficilement décrire mon état d’esprit alors. J’étais impatiente, désireuse de partir et j’y suis parvenue.” L’artiste a 20 ans, elle s’envole pour Paris, puis pour la Californie où elle étudie et devient enseignante en philosophie.
Etel Adnan, Hovering 3, 2020. (© Galerie Lelong & Co.)
C’est là qu’elle commence à peindre de petites compositions abstraites, elle s’intéresse alors à la beauté immédiate de la couleur. “C’est en Californie qu’Etel est devenue peintre et cela se voit”, écrira d’ailleurs l’écrivain Jean Frémon sur Adnan. “Tableaux petits mais l’espace qu’ils ouvrent est ample, simple, généreux. Une respiration. Le grand large.”
Une œuvre plurielle
Deux éléments joueront ensuite un rôle essentiel dans son œuvre picturale, la découverte grâce à un ami artiste des leporellos japonais, ces livres accordéons dans lesquels elle pouvait mêler dessin, écriture et poésie. Ses livres d’artiste qu’elle commence à produire dès les années 1960 sont aujourd’hui collectionnés dans des musées. Sur ces carnets qui se déplient, elle écrivait de célèbres poèmes arabes, accompagnés de ses dessins à l’encre et à l’aquarelle. “Je tenais à ne pas utiliser la calligraphie classique, bien qu’elle soit admirable, pour mettre en valeur mon écriture personnelle qui, dans son imperfection même, introduit dans l’œuvre la personne qui écrit.” Elle utilisait leur format dépliable à l’horizontal comme un infini, “une libération du texte et de l’image”.
Etel Adnan, Al-Sayyab, La Mère et la fille perdue, leporello, 1970. (© Donation Claude et France Lemand/Institut du monde arabe)
Le deuxième élément qui la transforme, c’est la découverte du mont Tamalpais, une montagne située dans le Nord de la baie de San Francisco, qu’elle voyait chaque jour de sa fenêtre. Le critique et historien d’art Hans Ulrich Obrist, passionné par l’œuvre entière d’Etel Adnan, dit même que sa rencontre avec le mont Tamalpais fut “la rencontre la plus déterminante de sa vie”. “Son obsession pour cette montagne s’est révélée dans de nombreuses peintures et, après vingt ans d’intense contemplation, dans un livre essentiel, Voyage au Mont Tamalpais, qui explore les relations entre nature et art.” Adnan parlera du mont Tamalpais comme de son jardin.
L’exil
Au début des années 1970, Adnan retourne vivre à Beyrouth. Elle devient directrice des pages culturelles d’un quotidien francophone libanais mais une guerre civile qui durera plus de quinze ans éclate au Liban. Elle se décrit alors comme une exilée dans son propre pays. Elle ne reconnaît plus les rues, ni les lieux de son enfance. “Je découvrais – vivais – le sens profond de l’exil. Qu’est-ce que l’exil si ce n’est la perte violente et non choisie de tous les symboles vivants de l’identité de quelqu’un ? Et à ce moment-là, plutôt que ce soit moi qui parte, c’était Beyrouth qui me quittait et, nous le savons aujourd’hui, pour toujours.”
Etel Adnan, Sans titre, 1988. (© Galerie Lelong & Co.)
Elle écrira dans ces années-là, l’un des plus beaux romans sur la guerre du Liban : Sitt Marie Rose, l’histoire inspirée d’une femme ayant réellement existé, Marie Rose Boulos, qui a été exécutée par une milice chrétienne pendant le conflit. C’est ce même conflit qui a contraint Adnan de quitter Beyrouth et de retourner vivre en Californie.
Une recherche de la lumière, la couleur, l’amour
Malgré les années de guerre et l’exil forcé, Adnan, décédée en 2021, était une femme qui s’émerveillait du monde qui l’entourait, aussi bien des femmes et des hommes que de la nature. Sur ses dernières années, Adnan vivait à Paris et ne cessait jamais de créer et de se démultiplier. Elle produisait des dessins, des leporellos, des carnets, des romans, des poèmes, des peintures, des tapisseries et aussi des œuvres d’art publiques qui, d’une certaine façon, renouaient avec son souhait d’adolescence, celui de devenir architecte, métier qu’elle considérait comme le plus complet.
Dans sa vie, Adnan a constamment cherché la lumière, la couleur, l’amour. “L’amour commence par la conscience de la courbe d’une silhouette, la longueur d’un sourcil, la naissance d’un sourire. ‘Cela arrive !’ La présence d’un autre mobilise votre attention, vos sens. Ce sentiment grandit, devient désir de recommencer l’expérience. Cela devient un itinéraire, un voyage.” Ce voyage, Adnan l’a reproduit dans l’ensemble de son œuvre que l’on peut comparer à un long voyage amoureux. “Amoureux”, écrit-elle, “on devient un oiseau : l’on tend le cou et entend un chant que l’on n’attendait pas. On est sans voix […]. L’amour, sous toutes ses formes, est la chose la plus importante à laquelle nous soyons jamais confrontés, mais la plus dangereuse aussi, la plus imprévisible, la plus chargée de folie. Cependant, c’est le seul salut que je connaisse.”
Etel Adnan, Le poids du monde 40, 2019. (© Galerie Lelong & Co.)
Quelques œuvres d’Etel Adnan sont à retrouver dans l’exposition “Lumière du Liban” à l’Institut du monde arabe, jusqu’au 2 janvier 2022. Pour plus d’informations sur Etel Adnan, vous pouvez voir et explorer la Galerie Lelong.