C’est à l’âge de 17 ans que Stephen Shore a commencé à fréquenter la Factory, l’atelier expérimental d’artistes super prolifiques qu’Andy Warhol a fondé à Manhattan en 1963. La légende raconte que l’idée lui est venue de recouvrir les murs d’une couleur métallique après avoir vu l’intérieur de son amant et collaborateur Billy Name. C’est dans ce berceau froid et réfléchissant que le pape du pop art a donné naissance à nombre de ses plus grandes peintures et sculptures, ainsi qu’à ses premiers films underground.
À voir aussi sur Konbini
De ces deux belles années passées là-bas, entre 1965 et 1967, il en ressort une archive photographique riche de cette période et de l’effervescence qui régnait en ce lieu mythique et incontournable. Devant l’objectif de Stephen Shore, dansent et trépassent tour à tour les deux muses blondes de Warhol, la mannequin Edie Sedgwick et la chanteuse des Velvet Underground Nico ; les chanteurs Paul Morrissey et Lou Reed ; et une grande bande d’artistes, peintres, écrivain·e·s et musicien·ne·s. Sans oublier Andy.
Edie Sedgwick, Andy Warhol et des invités non-identifiés, 1965-67, imprimé en 2017, Nicola Erni Collection. (© Stephen Shore/Courtesy 303 Gallery, New York)
Si cette ère que le photographe nous fait vivre de l’intérieur a été compilée dans un ouvrage aux éditions Phaidon, le Tate Modern rendait plus récemment hommage à cette série dans le cadre d’une rétrospective sur Warhol. Inaugurée avant le confinement et la fermeture des musées à l’international, cette exposition est désormais visible en ligne.
De mémoire, lors de notre visite au Tate Modern, avant le confinement, cette salle était recouverte de papier peint argenté et réfléchissant, pour nous plonger dans un semblant de Factory. Quelques ballons débordaient de la salle suivante où l’installation Silver Clouds de Warhol était reproduite. Sur un mur, ses films-portraits expérimentaux Screen Tests montraient les personnalités qui fréquentaient régulièrement son cercle artistique, en noir et blanc. Huit images de Stephen Shore étaient affichées sur un autre pan de mur, dépeignant l’atmosphère intime de la Factory.
“Je me suis rendu compte que l’appareil photo n’était qu’un moyen technique de communiquer le monde”
Andy Warhol & Lou Reed, 1965-67, imprimé en 2017, Nicola Erni Collection. (© Stephen Shore/Courtesy 303 Gallery, New York)
Inspiré depuis son plus jeune âge par le photographe Walker Evans, Stephen Shore a 6 ans lorsqu’il reçoit sa première chambre noire. Huit ans plus tard, il vend ses premières photographies au MoMa, et trois ans après, il se retrouve au cœur de fêtes sous acides à la Factory. Précoce. Alors qu’il est en recherche constante de parfaire sa signature photographique, c’est au contact d’Andy Warhol que son art prendra une autre tournure.
Dans son livre Factory: Andy Warhol, il définit d’ailleurs son travail aux côtés de l’artiste comme “une emphase sur le commun, une élévation de l’ordinaire”. C’était la première fois qu’il était au contact direct et quotidien avec la scène artistique new-yorkaise. “L’art s’apprend beaucoup par osmose ; là est la valeur de l’apprentissage”, relatait-il à i-D.
Andy Warhol, 1965-67, imprimé en 2017, Nicola Erni Collection. (© Stephen Shore/Courtesy 303 Gallery, New York)
Andy Warhol ne le positionnait pas comme son apprenti mais comme son égal, lui demandant régulièrement son avis sur des projets. “[Andy] tirait son énergie des gens qui l’entouraient. […] Il ne s’asseyait pas en attendant que l’inspiration le frappe. Non, il essayait des trucs, il expérimentait”, raconte Shore qui avoue avoir beaucoup appris de cette pratique.
“Ce sont souvent les moments ordinaires qui te dévoilent ce qu’est la vie. […] Je m’intéressais au regard, je faisais attention à ce sur quoi se posait mon regard, et à l’évolution de regard selon les moments de la journée ; quand j’étais dans un ascenseur, quand je marchais dans la rue, dans un magasin. Je faisais attention à ça. Et je pense que l’intérêt et la fascination pour la culture contemporaine d’Andy Warhol m’ont influencé. […]
Je me suis rendu compte que l’appareil photo n’était qu’un moyen technique de communiquer le monde, quand on le voit à un moment de conscience augmentée. Je pense que cette expérience a fait de moi un meilleur communicateur. Faire attention aux choses de ton quotidien revient à faire attention aux moments de l’ordinaire. Je ne choisis pas des moments au hasard, je n’essaye pas de faire des choses ennuyeuses et inintéressantes. Je pioche des moments de vie ordinaires qui me semblent intéressants”, confiait-il dans une interview pour i-D.
Et ce sont ces moments ordinaires mais débordants d’énergie que l’on retrouve dans ses photos de la Factory. Une chose est sûre : Stephen Shore aura indéniablement été un témoin privilégié d’une époque de créativité inégalable.
Paul Morrisey & Edie Sedgwick, 1965-67, imprimé en 2017, Nicola Erni Collection. (© Stephen Shore/Courtesy 303 Gallery, New York)
La rétrospective sur Andy Warhol ainsi que la série de Stephen Shore au cœur de la Factory sont visibles en ligne, sur le site du Tate Modern.