Depuis l’automne 2017, Snezhana von Büdingen et son appareil photo suivent le quotidien de Sofie, une jeune Allemande atteinte de trisomie 21. La photographe, d’origine russe mais installée en Allemagne depuis ses 23 ans, affirme “préférer une réalité privée qu’une réalité sociale”. Meeting Sofie, sa série consacrée à la jeune femme, en est la preuve. Elle immortalise à chacune de ses visites dans la famille de Sofie le “monde intérieur” de cette dernière.
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Snezhana von Büdingen use de la photographie pour montrer la “beauté de la différence” et “contribuer à plus d’inclusivité et d’amour entre les humains”. En montrant la vie de Sofie – sa première histoire d’amour, son cœur brisé, sa relation avec sa mère –, la photographe rapproche ses états d’âme des nôtres pour changer les stéréotypes et abattre les barrières mentales. Nous avons eu la chance de poser quelques questions à l’artiste, qui s’est confiée quant à sa série touchante et romantique.
“Meeting Sofie”. (© Snezhana von Büdingen)
Konbini arts : Bonjour Snezhana, peux-tu nous raconter ta rencontre avec Sofie ?
Snezhana von Büdingen : En 2017, j’ai rencontré des enfants atteints de trisomie 21 dans le cadre de mon projet photo Mother. Sofie et sa mère auraient aimé participer mais elles ne pouvaient pas se déplacer jusqu’à mon studio, à Cologne, parce que c’était trop loin de chez elles. Elles m’ont tout de même invitée à venir leur rendre visite, en Allemagne de l’Est. Après avoir passé du temps avec Sofie et sa famille dans leur ferme, je me suis dit que je voulais vraiment réaliser une série autour d’elle. Quelque chose de très spécial s’est passé, dès le début.
“Je photographie des gens qui m’inspirent, me stimulent et me fascinent.”
Pourquoi voulais-tu la photographier ?
J’étais fascinée par sa personnalité, sa perception de la vie, ses interactions avec son environnement : tout cela fait d’elle une personne unique à mes yeux. J’adore réaliser des séries photo avec des personnes au destin extraordinaire. Je photographie des gens qui m’inspirent, me stimulent et me fascinent.
“Meeting Sofie”. (© Snezhana von Büdingen)
As-tu su rapidement quel genre de projet tu voulais faire avec elle ?
Pas tout de suite. Mais j’ai trouvé après ma première visite chez elle, en octobre 2017. […] J’ai été très inspirée par la maison et le jardin de la famille de Sofie. On dirait qu’ils sont séparés du monde moderne, dans une autre dimension spatio-temporelle.
L’ambiance de conte de fées du jardin, les vieilles peintures de paysages accrochées au mur, la lumière magique qui inonde la maison et, bien sûr, la nature paisible et harmonieuse de Sofie : tout ceci a influencé le sentiment si particulier que je ressentais là-bas, comme si j’étais éloignée de la réalité du quotidien. C’est cela qui m’a poussée à prendre ces photos dans ce style poétique et onirique.
“Meeting Sofie”. (© Snezhana von Büdingen)
La maison dans laquelle Sofie a grandi date du XVIe siècle. Ses parents sont antiquaires […]. Je pense qu’elle s’est imprégnée de cette atmosphère. Selon moi, l’environnement dans lequel on grandit nous influence inconsciemment. J’ai intégré dans les images de nombreux objets qui racontent l’histoire de cette famille. Par exemple, Barbara, sa maman, a toujours dans sa chambre le lit dans lequel Sofie est née (elle a accouché chez elle). J’ai aussi consciencieusement intégré aux photos le berceau de Sofie et d’innombrables photos et peintures.
“Sofie et moi sommes très proches, c’est sans doute pourquoi elle se montre sans fard : ses portraits reflètent son essence.”
Que voulais-tu montrer d’elle, de sa vie quotidienne ?
Je voulais montrer sa vie au jour le jour à la ferme, ses valeurs, son caractère. Quand je pense à elle, la première chose qui me vient en tête c’est sa gentillesse. Elle suit toujours son intuition. Si elle ressent quelque chose comme étant une injustice, cela la rend triste mais jamais agressive. Elle a quelque chose de très enfantin en elle. Elle sait ce qu’elle veut et peut être très insistante pour arriver à ses fins.
Elle est romantique et rêveuse, très calme dans sa vie quotidienne. Sofie a un mécanisme de protection inné : elle ne supporte pas les rythmes hectiques. Qu’importe ce qu’il se passe, elle ne se laissera jamais déborder par l’empressement. J’adore ça chez elle. On se précipite tellement dans la vie… Je voudrais en prendre de la graine […]. Sofie et moi sommes très proches, c’est sans doute pourquoi elle se montre sans fard : ses portraits reflètent son essence.
“Meeting Sofie”. (© Snezhana von Büdingen)
Avais-tu des idées préconçues à son sujet avant d’entamer ce projet ?
Non, pas du tout, je n’avais ni idées ni attentes particulières. J’essaie toujours d’approcher un sujet avec un esprit libre et un œil neutre. Ce qui me guide quand je prends des photos, c’est d’observer de façon attentive et de faire confiance à mon instinct. Je dirais que je suis plutôt une photographe intuitive, pas une stratège.
“Je dirais que je suis plutôt une photographe intuitive, pas une stratège.”
Comment les séances se déroulaient-elles ?
Les idées des photos me venaient en observant ses actions et ses réactions dans des situations quotidiennes. Cela pouvait avoir lieu pendant ses vacances avec son copain (auxquelles j’ai été conviée) ou à la piscine (son occupation fétiche de l’été), où je passais beaucoup de temps avec elle.
“Sofie avec le cheval blanc” dans “Meeting Sofie”. (© Snezhana von Büdingen)
La baignoire placée dans le jardin par son père et le nourrissage des chevaux m’ont menée à créer la photo Sofie avec le cheval blanc. Je n’avais aucune image déjà faite dans ma tête avant. Je me mets juste face à la réalité et m’y immerge. Les images et leurs métaphores inhérentes viennent sur le coup, notamment grâce à l’observation. Tout a un rôle à jouer : l’humeur de Sofie, les environs, ce qui se passait dans sa vie à ce moment.
Pourquoi voulais-tu la montrer avec d’autres gens, et qui sont-ils ?
Sofie n’a pas tant de personnes que cela autour d’elle. Elle passe le plus clair de son temps seule. Cela m’intéressait de voir comment elle interagissait avec les autres dans sa vie. Parfois, des amis de son frère (de deux ans son cadet) viennent chez eux et elle est toujours heureuse de pouvoir s’asseoir avec eux – cela transparaît dans la photo Sofie traîne avec les amis de son frère.
“Sofie traîne avec les amis de son frère” dans “Meeting Sofie”. (© Snezhana von Büdingen)
La première chose que j’ai remarquée à propos de sa vie sociale, c’est son lien avec sa mère, Barbara. Parfois, Sofie la provoque, la contredit ou est en colère contre elle. D’un autre côté, elle ne peut pas passer une heure sans elle. Depuis sa naissance, elle n’a jamais été séparée de sa mère, même pour une journée.
Évidemment, sa relation avec son petit copain Andy a été le thème de la série en 2017-2018 (Andy a quitté Sofie à l’automne 2018). Ils s’étaient rencontrés à l’école. Elle est allée dans une école spécialisée du voisinage jusqu’à ses 18 ans. La force principale de cette relation était l’amour de Sofie pour Andy.
Toute sa vie tournait autour de lui. Comme une obsession. Elle attendait toute la semaine de pouvoir passer le week-end avec lui. Chaque jour, elle allait à l’arrêt de bus pour l’attendre à son retour du travail et le voir seulement quelques minutes. Parfois, elle attendait une heure en avance à l’arrêt.
“Meeting Sofie”. (© Snezhana von Büdingen)
“Sofie ne s’est pas remise de cette histoire d’amour.”
Malheureusement, il s’est éloigné d’elle après la fin du lycée, jusqu’à complètement rompre le contact. Elle ne s’est pas remise de cette histoire d’amour. Elle ne peut pas m’expliquer en détails tout ce qu’elle ressentait pour Andy. Elle a un vocabulaire très limité et on communique davantage de façon intuitive que verbale. Je la connais tellement bien maintenant que je sais intuitivement ce qui la dérange ou comment elle se sent, à n’importe quel moment.
“Meeting Sofie”. (© Snezhana von Büdingen)
“Meeting Sofie”. (© Snezhana von Büdingen)
“Meeting Sofie”. (© Snezhana von Büdingen)
“Meeting Sofie”. (© Snezhana von Büdingen)
“Meeting Sofie”. (© Snezhana von Büdingen)
“Meeting Sofie”. (© Snezhana von Büdingen)
Vous pouvez retrouver le travail de Snezhana von Büdingen sur son compte Instagram et sur son site.