Fort d’une carrière d’un demi-siècle qui a marqué les esprits, le photographe vietnamien Nick Ut prend sa retraite.
À voir aussi sur Konbini
Né le 29 mars 1951 à Long An au Vietnam, Nick Ut s’apprête à fêter son 68e anniversaire. Un anniversaire qu’il célébrera au calme, puisqu’il a pris sa retraite en ce début du mois de mars. Photographe connu pour sa photo emblématique “Napalm Girl” (“La petite fille brûlée au napalm” en français), prise lors de la guerre du Vietnam (qui a duré de 1955 à 1975), sa carrière ne se résume pas pour autant à cette image.
C’est à 15 ans que Nick Ut (de son vrai nom Huỳnh Công Út) devient photographe pour l’agence de presse américaine Associated Press (AP), après que son frère, qui faisait aussi partie d’AP, a été tué au combat. Ut a donc pris la relève et a couvert la seconde décennie de la guerre du Vietnam pour l’agence de presse, avant de partir vivre à Los Angeles. Si Nick Ut est principalement connu pour cette image du conflit, il avouait il y a quelques années à un journaliste de Vice qu’il ne voulait pas être photographe de guerre :
“J’étais au Vietnam en 1972 donc je n’avais pas vraiment le choix. C’était mon frère le journaliste, mais il a été tué en 1965. Quand il est mort, j’ai pris sa place. Quand je suis arrivé aux États-Unis, j’ai couvert la guerre sociale. J’ai suivi la garde nationale quelque temps, mais même cela m’a donné des cauchemars de ce que j’avais vu au Vietnam.”
Une des premières photos virales du monde
À 19 ans, le 8 juin 1972, il prend la photographie qui va changer sa vie. D’une part parce qu’elle lui fait remporter de nombreux prix et le fait accéder à la postérité, mais aussi parce qu’il a pu sauver la petite fille présente sur la photo. Ce 8 juin, Nick Ut se trouve aux alentours de Trang Bang, un village à environ 40 kilomètres au nord de Saigon. Le village est assiégé par les Sud-Vietnamiens, et alors que la plupart des habitants ont déjà fui les lieux, l’armée bombarde les lieux avec du napalm.
Le photographe voit les habitants courir sur les routes, fuyant leur village. Une petite fille nue court en pleurant. Il met du temps à réaliser que si l’enfant est nue, c’est parce qu’elle a dû retirer ses habits enflammés. Son bras est couvert de napalm et Ut l’entend crier : “C’est trop chaud, je crois que je suis en train de mourir.”
Le photojournaliste a raconté, des années après, lui avoir donné de l’eau et être resté auprès d’elle afin de la calmer et de l’emmener à l’hôpital. C’est grâce à la carte de presse d’Ut que la petite a pu être admise aux urgences. Aujourd’hui, Kim Phuc est adulte et vit au Canada. Elle et son “sauveur” sont toujours en contact :
Kim Phuc et Nick Ut
En 1973, Nick Ut gagne le prix Pulitzer de la photographie d’actualité pour cette image, qui fait le tour du monde malgré le fait qu’elle n’ait pas été publiée immédiatement après avoir été prise. Celle-ci n’a été imprimée que le 12 juin 1972 dans le New York Times. Toujours pour Vice, le photographe confiait : “Il était illégal de publier de la nudité frontale féminine dans un journal quotidien, mais les éditeurs ont fini par décider que la gravité de l’image prévalait sur cette règle.” La photo a fait le tour du monde et est devenue l’une des images de référence concernant les atrocités de la guerre du Vietnam.
L’année suivante, en 1973, les États-Unis ont retiré leurs troupes du pays. Évidemment, la relation de cause à effet entre la publication de la photo et la fin de la guerre n’est pas à affirmer sans prendre de pincettes. Le site Mots d’images précise que la fin de la guerre était déjà en vue à l’époque, et que “sa très grande force iconique vient de sa propagation. Elle a été utilisée, récupérée et décontextualisée par d’innombrables mouvements idéologiques, politiques ou religieux”.
L’artiste Banksy a lui aussi aussi détourné l’image de la petite fille (voir ci-dessous), en l’entourant de Ronald McDonald et Mickey Mouse, deux figures du capitalisme américain. Au milieu des deux personnages souriants et nonchalants, la détresse de la petite est d’autant plus désarmante. Le montage rappelle la position de pions innocents qu’ont Kim Phuc et ses contemporains, perdus dans le jeu des puissances mondiales.
L’image a encore fait couler de l’encre il y a quelques mois, lorsque Facebook l’a censurée à cause de la nudité de l’enfant. L’équipe de Mark Zuckerberg a expliqué sa décision : “Bien que nous reconnaissions l’aspect iconique de cette photo, il nous est difficile de créer une distinction qui permettrait de publier la photo d’un enfant nu dans certains cas, et pas dans d’autres.” Cette annonce ayant crée un tollé sur Internet, le réseau social a finalement autorisé la publication de l’image.
Une carrière d’un demi-siècle qui documente l’évolution de nos sociétés
Il est intéressant de noter qu’une autre photographie de Nick Ut, également passée à la postérité, est une image prise exactement 35 ans après celle de la petite fille au napalm. Et dans les deux cas, c’est en photographiant une fille en pleurs que Nick Ut a vu ses photos faire le tour des médias. Lorsque Paris Hilton sort du tribunal le 8 juin 2007 pour être conduite en prison, les photographes se pressent autour de sa voiture. Nick Ut est le seul à immortaliser le visage de la jeune célébrité, en larmes sur la banquette arrière.
À des années lumières des préoccupations de la petite Kim Phuc trente-cinq and plus tôt, l’image de Paris Hilton en pleurs a pourtant fait le tour des tabloïds et des sites Internet en un clin d’œil. Concernant cette évolution de l’intérêt de la société pour l’actualité, le photographe affirmait en 2014 :
“Je me souviens que Michael Jackson est mort au même moment qu’un soldat était tué en Afghanistan. Michael Jackson a fait la une, mais je ne crois pas que les victimes de la guerre sont apparues sur une quelconque page ce jour-là. Et il ne s’agissait pas d’un tabloïd, mais d’un journal d’actualités. Les photographes de guerre vont dans des zones de conflit pour prendre des photos que personne ne veut voir, et ne verra probablement jamais.”
Du Vietnam à Los Angeles, de 1966 à 2017, Nick Ut a laissé durablement son empreinte dans le monde de la photographie et, plus largement, dans la documentation de notre monde. C’est une retraite bien méritée qu’il peut désormais s’offrir.