Sortir de l’ombre des milliers d’artistes femmes (et des personnes s’identifiant comme femmes) : sur son site Aware, l’historienne de l’art Camille Morineau répertorie minutieusement depuis six ans ces talents victimes de préjugés sexistes, en veillant à élargir ses recherches au-delà du monde occidental, vers l’Amérique latine, l’Afrique et prochainement l’Asie.
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Depuis sa création en 2014, le site bilingue (anglais et français) Aware (Archives of Women Artists, Research and Exhibitions) a déjà réalisé 700 notices illustrées d’artistes femmes, classées de manière alphabétique, avec le soutien d’universitaires de plusieurs pays, de mécènes et du ministère français de la Culture. Il en a mille autres en attente.
Un travail à la fois de titan et de fourmi, qui consiste à établir pour chaque artiste une notice principale, avec dix à douze illustrations de son art, et des liens par le biais de mots-clés avec d’autres artistes, des expositions et des catalogues, des interviews, etc.
Parmi les projets récents entrepris par Camille Morineau, l’entrée sur le site de 24 plasticiennes d’Afrique et de ses diasporas. “Deux ou trois fois plus d’artistes sont en attente. Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg”, indique l’historienne, ancienne élève de Normale Sup’ et présidente du conseil d’administration de l’École du Louvre.
Camille Morineau. (© Christophe Archambault/AFP)
Neuf expert·e·s sont venu·e·s à Paris pour choisir ces artistes et “les meilleures autrices” ont été mobilisées pour rédiger les textes, ajoute-t-elle. Parmi ces plasticiennes, la Kényane Magdalene Odundo, créatrice de poteries raffinées (exposées dans plusieurs grands musées), ou encore l’Égyptienne Huda Lutfi, dont l’œuvre dialogue avec les iconographies pharaonique, copte, arabe, africaine et européenne.
Camille Morineau, qui a découvert aux États-Unis les gender studies, veut sortir les femmes artistes de leur “invisibilité”. Car beaucoup restent invisibles, et les Frida Kahlo ou Camille Claudel sont l’arbre qui cache la forêt. “Il y a eu énormément d’artistes femmes, autant que d’hommes, mais elles ne sont pas vues, pas entendues”, déclare l’historienne, qui a été conservatrice au Centre Pompidou. Elle estime nécessaire d’éclairer “les mécanismes secrets d’invisibilité” et les modes de création des femmes retenues à la maison.
Remonter au XVIe siècle
Grâce au mouvement #MeToo, “ce sujet qui me valait des attaques il y a dix ans est devenu celui de tous, et pas seulement des féministes. C’est une pilule que tout le monde a dû avaler”. Il y a dix ans justement (en 2009), elle a été la commissaire de l’exposition au Centre Pompidou “elles@centrepompidou”, qui réunissait 500 œuvres d’artistes femmes tirées des collections, et a organisé en 2014 la rétrospective Niki de Saint Phalle au Grand Palais.
Cette année, elle co-organise un colloque pour l’exposition “Elles font l’abstraction”, consacrée, comme son nom l’indique, aux artistes femmes ayant participé à l’histoire de l’abstraction et qui doit ouvrir en mai 2021 à Beaubourg. “Nous avons une ministre et un président attentifs à ces questions”, déclare Camille Morineau. Le financement public (des ministères et de la Ville de Paris) du site Aware est passé de 20 % à 35 % en 2021 et la fréquentation a été multipliée par deux en 2020, à 40 000-50 000 visites par mois.
Les recherches de l’historienne portent essentiellement sur le XXe siècle, mais elle souhaite remonter le temps et explorer l’art au féminin jusqu’au XVIe siècle. Aware a déjà beaucoup travaillé sur des artistes latino-américaines et voudrait se tourner vers les talents féminins en Asie.
Dans le cadre de la “Saison Africa 2020” (reportée à 2021), Aware participe au “Focus Femmes” et ouvrira un forum sur “Les récits des femmes africaines artistes” en avril, avec l’École du Louvre. Le site produit également des films animés, Petites histoires de grandes artistes, destinés notamment aux enfants scolarisé·e·s, qui s’efforcent de démonter les stéréotypes masculin-féminin.
Avec AFP.