Dans les plus beaux endroits du monde – et surtout les plus touristiques –, une nuée de téléphones portables et d’appareils photo obstruent souvent le paysage. Cette habitude pose problème à de nombreuses municipalités. À Kyoto, dans le quartier historique de Gion, les autorités ont dû interdire aux touristes de prendre des photos, tant leurs prises d’images intempestives exaspéraient les locaux et commençaient parfois à devenir dangereuses. Même son de cloche en Autriche, où le petit village qui a inspiré le royaume de la Reine des Neiges est constamment assailli par des instagrameur·se·s en quête du cliché parfait.
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Cette tendance du “Show it or it didn’t happen” [“Montre-le ou ce n’est pas arrivé”, ndlr] aboutit à des clichés et des comptes Instagram très homogènes, comme le montre “Insta Repeat”, un compte qui compile les photos standardisées de paysages sur le réseau. Devant cet assaut de flashs, certains sites touristiques (comme Antelope Canyon, incroyable gorge toute en courbes située dans l’Arizona) proposent désormais des temps dédiés à la prise d’images. Sans ce temps imparti, les organisateur·rice·s savent pertinemment que les touristes se bousculeront et dérangeront la visite pour prendre leurs souvenirs.
Invitée à tenir une conférence TEDx, Erin Sullivan s’est demandé si photographier un moment nous privait d’en vivre pleinement l’expérience. La jeune femme est bien placée pour se poser la question : son travail consiste à photographier les plus beaux endroits du monde. Elle raconte que lorsqu’elle arrive dans un lieu touristique, elle voit souvent les gens sortir de leur voiture, prendre une photo et aussitôt repartir, sans même profiter de la vue.
La photo comme un art en pleine conscience
Pour la photographe, si notre première pensée lorsqu’on prend une photo est de la partager sur les réseaux, c’est qu’on devrait y réfléchir à deux fois avant de mitrailler chaque paysage traversé. Se poser la question de l’objectif de l’image permettrait de recentrer son expérience et de mieux apprécier “les subtilités de notre planète”, les “formes de la nature et sa lumière”. Pour la photographe, son travail consiste d’ailleurs précisément à “prendre le portrait de quelqu’un qu'[elle] aime”. Elle invite ses auditeur·rice·s à garder leur smartphone dans leur poche et à se demander s’ils ressentent là “une restriction ou du soulagement”.
Erin Sullivan ne pousse cependant pas les gens à ne plus prendre de photos. Au contraire, même dans les endroits les plus photographiés, il est toujours intéressant de tenter de repenser son art et de défier son imagination. “La photo peut faire partie d’une belle expérience, mais ne la laissez pas devenir une obstruction entre vous et la réalité”, rappelle-t-elle. De bons conseils, entre autres, pour les amateur·rice·s de photographie, qui peuvent exercer leur créativité tout en gardant bien ces paroles en tête.
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