La rédaction du magazine américain Rolling Stone avait déjà prévu la couverture de son numéro du mois de juillet depuis un moment. Cependant, “la mort tragique de George Floyd, l’indignation générale, la demande de justice, les manifestations et l’agitation” ambiantes l’a convaincue que le sujet “était trop important pour être ignoré”.
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Le directeur artistique de la publication, Joe Hutchinson, raconte s’être tourné vers Kadir Nelson : “Un des artistes les plus proéminents du moment [qui] s’intéresse à la culture et à l’histoire afro-américaine et les traite avec dignité et respect.”
L’artiste afro-américain a réalisé American Uprising (“Un soulèvement américain”), une œuvre forte qui présente une femme et un enfant noirs, bras tendus et poings levés, menant une foule de manifestant·e·s masqué·e·s, noir·e·s et blanch·e·s. À l’arrière-plan, entre les poings brandis vers le ciel et un drapeau américain, on peut lire les mêmes messages que ceux actuellement brandis à travers le monde : “Our Lives Matter”, “Justice for All Now”, “I Can’t Breathe”, “No More”, “Silence Is Violence”.
“American Uprising” en couverture du mois de juillet du magazine<em> ‘Rolling Stone’</em>. (© Kadir Nelson)
Le tableau de La Liberté guidant le peuple revisité
“J’étais vraiment flatté que Rolling Stone me demande de créer une peinture qui traite de ce qui se passe en ce moment dans le monde, souligne l’artiste. D’autant plus que le mouvement Black Lives Matter provoque une discussion attendue depuis trop longtemps au sujet de la couleur de peau et des États-Unis.” Dans l’idée de créer une œuvre forte et porteuse d’espoir, Kadir Nelson s’est inspiré de La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix.
Peinte en 1830, cette huile sur toile raconte, de façon allégorique, la révolution des Trois Glorieuses et ce soulèvement de Parisien·ne·s, “réprimé dans le sang, en réponse à une tentative de coup de force constitutionnel du roi Charles X pour bâillonner l’opposition libérale”. Par sa puissance et sa violence, l’œuvre est devenue un symbole fréquemment utilisé, et c’est pour cela que Kadir Nelson a voulu “créer quelque chose dans la même veine, afin de célébrer un point de bascule de notre histoire”.
“La Liberté guidant le peuple”, 1830. (© Eugène Delacroix)
L’artiste s’est inspiré de la composition pyramidale de Delacroix, rappelant même les nuages en forme de pointe au-dessus des deux protagonistes au premier plan. Chez le peintre français cependant, le ciel est sombre, les cadavres s’entassent au sol et les armes font légion. Chez Kadir Nelson, pas d’armes, ni de morts – si ce n’est le visage de George Floyd sur le T-shirt de la femme du premier plan. Derrière les nuages, le ciel est bleu clair, comme l’annonce, peut-être, d’un futur meilleur.
Les femmes et les enfants au centre
Chez Delacroix, comme chez Nelson, on retrouve au centre du tableau,une femme et un enfant. Et c’est bien l’un des aspects favoris de l’artiste, notamment “le visage de la femme et son foulard américain autour de son cou”. “Cela prouve son patriotisme, cette femme aime les États-Unis”, détaille le peintre.
“Il y a de l’espoir et de la vigueur dans sa posture et dans celle du petit garçon. Le catalyseur d’‘American Uprising’, c’était George Floyd. Cela a permis de montrer un contexte bien plus large de discriminations et de violences à l’encontre des Afro-Américains. Et les personnes qui réclamaient que les choses changent, c’étaient les femmes afro-américaines. Elles sont le fer de lance de ce changement.
C’est pour cela qu’il était important de mettre une femme afro-américaine au centre du tableau, parce qu’elles sont au cœur du mouvement. […] Je veux que tout le monde, et notamment les femmes et les enfants noirs, sachent qu’ils comptent, qu’ils ont le pouvoir de créer du changement dans le monde. Cette peinture vise à les mettre à l’honneur, à les célébrer et les inspirer à continuer ce qu’ils font, parce que ce qu’ils font est important.”
Plus que représenter la lutte antiraciste, Kadir Nelson souhaite lui insuffler courage et force collective : “On a tous des dons, des attributs, des forces uniques et on peut tous changer les choses, chacun à notre façon.” Sa couverture ne vise pas à raconter une redite de l’histoire (d’autant plus que les Trois Glorieuses de 1830 ont été “fatales à l’aventure révolutionnaire [et] aux aspirations des émeutiers parisiens, réprimés dans le sang par les troupes du maréchal Marmont”, rapporte France Inter), mais bien à se la réapproprier.